Alimentation entérale continue
Indications
Les indications de l’alimentation entérale continue sont celles où l’alimentation habituelle est impossible ou difficile. L’utilisation de la voie digestive de façon ininterrompue marque un progrès technique et thérapeutique considérable, et la nutripompe qui permet cette alimentation à faible débit continue pallie aux incidents fréquents survenant dans le procédé basé sur l’utilisation de la gravité : accélération intempestive, obstruction des tubulures. Ce procédé permet un ralentissement important de la vitesse du transit digestif, l’obtention de taux caloriques élevés sans intolérance, et surtout la rapidité de la progression quotidienne du niveau calorique.
Réalisation
- Les sondes. — Elles sont souples, non mouillables, faites en élastomère de silicone. Leur longueur est de 100 cm pour la voie nasopharyngée et 50 cm pour la gastrostomie. Leur diamètre intérieur ne descend pas au- dessous de 3 mm. Des connecteurs tronconiques assurent une fixation étanche avec les prolongateurs.
- Les nutripompes. — Elles comprennent un groupe propulseur formé par une pompe à galets et un groupe agitateur permettant le brassage du contenu d’un récipient de 1 000 ml. Un variateur de vitesse assure une gamme de débit de 0,1 à 14 ml par minute.
Un type plus perfectionné permet la réfrigération des mélanges nutritifs à 4° pendant une durée de 24 heures. Le volume du récipient peut alors atteindre 5 000 ml.
• Les mélanges. — Ils doivent présenter les caractéristiques suivantes :
- Apporter les nutriments en quantité nécessaire, soit, pour une « unité alimentaire » de 1 000 calories (4 200 k.1), 35 g de protéines, 21 g de lipides et 170 g de glucides.
- Présenter une facilité de digestion et d’absorption intestinale.
- Être enrichis en sels de sodium et potassium en fonction des entrées et des pertes (contrôle des ionogrammes sanguins et urinaires).
- Lorsqu’il est nécessaire d’assurer des apports énergétiques très élevés ( >2 500 kcal, > 10 000 kj) il est souvent utile de limiter l’apport protéique à 80-90 g/j.
De plus en plus on utilise des préparations alimentaires prêtes à l’emploi, et des préparations de produits spécifiques (augmentation selon les besoins des taux protéiques, lipidiques ou glucidiques). Ces préparations sont réalisées par plusieurs laboratoires pharmaceutiques, et permettent aux diététiciennes et aux infirmières une intervention simple et immédiate (voir aliments diététiques).
La ration quotidienne moyenne est, en général, un multiple simple de l’unité alimentaire, donc de 1 000 calories (4 200 kJ). C’est ainsi que, débutant le premier jour d’une réalimentation par une unité, on augmente chaque jour suivant d’une demiunité (soit 500 calories) (2 100 kj), parallèlement à un accroissement de la vitesse de 0,5 ml/minute par jour. On arrive ainsi en 7 jours à un passage de 4 000 calories par 24 heures sur la base de 3 ml/minute, soit 4 300 ml par 24 heures.
Très rapidement on obtient un gain pondéral et une nette amélioration de l’état clinique (état général, état local, cicatrisation).
Précautions
La durée moyenne de ce type d’alimentation est d’une quinzaine de jours. La surveillance doit être très attentive (principalement quant à la vitesse de la nutripompe, et à la propreté de la sonde et des connecteurs), pour éviter les complications. Celles-ci peuvent être :
- bénignes : nausées, pharyngites, vomissements, diarrhée : elles n’entraînent pas l’arrêt de la diétothérapie, mais son aménagement,
- graves : bronchopneumonie de déglutition qui impose le retrait immédiat de la sonde.
A l’arrêt de l’alimentation par sonde, ou si l’alimentation orale est possible d’emblée, on commencera par une alimentation liquide, fractionnée et sans résidu, stricte (voir tableau ci-après).
Le principe de ce régime est de supprimer :
- tous les aliments contenant de la cellulose afin de ne pas stimuler les sécrétions digestives et le péristaltisme intestinal ;
- les graisses cuites, qui augmentent le transit par stimulation des sécrétions biliaires et pancréatiques ;
- le lactose, du fait de la fréquente limitation lactasique.
Par exemple, on pourra donner les mélanges liquides ci-contre empruntés au Pr Trémolières, répartis en 6 prises de même volume.
De nombreuses préparations industrielles sont en vente pour ce type d’alimentation (voir Produits diététiques dans la 3cmc partie de l’ouvrage).
S’il n’y a pas eu d’alimentation entérale continue préalable, on commencera par des rations quotidiennes de 500 ml avec 500 calories et 25 g de protéines. Puis on augmentera quotidiennement de 200 ml avec 200 calories dont 12,5 g de protéines, pour atteindre en 10 jours 2 000 calories et 115 g de protéines (voir tableau de réalimentation au chapitre Pathologie digestive).
S’il y a eu une réalimentation entérale continue préalable, on reprendra l’alimentation per os aux mêmes taux protéique et calorique que ceux du dernier jour de l’alimentation entérale.
Puis, suivant la tolérance individuelle, on passera à un régime sans résidu large, présenté sous forme semi-liquide ou pâteuse, en introduisan! progressivement les aliments qui étaient interdits, et en fractionnant toujours les prises alimentaires.
Peu à peu on réintroduira des aliments naturellement mous ou rendus mous par cuisson, trempage, maturité, écrasage, tamisage pour parvenir à un régime pauvre en fibres.
Parmi les légumes, on pourra choisir : salade cuite, endive cuite, carotte cuite, courgette sans pépins, haricot vert extra-fin, fond d’artichaut, boîte d’asperge, betterave rouge, blanc de poireau.
Plus tard on pourra donner certaines crudités assaisonnées d’huile et de citron : tomate sans peau, ni pépin, salade verte tendre sans côte, laitue.
Viandes, poissons, abats seront d’abord homogénéisés, puis coupés finement, puis en morceaux à mastiquer.
Si le lait était totalement supprimé, il serait progressivement réintroduit en l’incluant dans des préparations. Plus tard il pourra être consommé pur.
On pourra donner des fruits très mûrs sans peau, ni pépin : banane, pêche, poire, pomme crue râpée, orange douce, pulpe de raisin, etc.
En fonction de la maladie initiale certains interdits diététiques peuvent subsister. La durée de cette période transitoire dépend évidemment de l’étiologie : de quelques jours chez un anorexique à tube digestif intact, à quelques semaines pour des amputés du tube digestif.
Surveillance
- Cas du sujet sans aspiration, sans fistule, sans diarrhée : la perte fécale d’azote, en dehors de toute diarrhée, étant de l’ordre de grandeur de 1 g/j., elle pourra être négligée (si le poids fécal est s* 100 g, s’il y a fistule ou aspiration, il est indispensable de tenir compte de ces pertes, en mesurant le volume recueilli et en y dosant l’azote).
On pratiquera journellement un dosage d’azote urinaire sur un échantillon des urines de 24 h mélangées, et on comparera la perte d’azote à l’apport, en se souvenant que 1 g d’azote équivaut à 6,25 g de protéines. Par exemple, le sujet reçoit 60 g de protéines per os ; sa diurèse est de 1,5 1, la concentration d’azote est de 10 g/l (ce qui équivaut à 20 g d’urée/1, mais les dosages d’azote ont l’avantage de tenir compte de l’élimination de l’azote urinaire non uréique). La sortie est alors égale à 15 g/j., l’apport est égal à 10 g/j. (60 g/6,25) et le bilan est négatif de 5 g.
Il est illusoire d’espérer équilibrer le bilan d’azote en pleine période d’agression chirurgicale, et un bilan négatif de 2 à 5 g/j. est inévitable pendant quelques jours.
Si la période de négativité du bilan devait se prolonger, on essaierait d’augmenter les apports : par exemple, dans l’hypothèse précédente, à 90 g (= 15 g d’azote), et on jugerait de l’efficacité de cette mesure sur un nouveau bilan. Si l’augmentation d’excrétion d’azote est égale à l’augmentation de l’apport, la mesure a été illusoire, si elle est inférieure, la mesure est bénéfique.
- Cas de pertes extra-urinaires : au cours des diarrhées profuses, la perte d’azote peut dépasser 10 g/j. ; il en est de même au cours des fistules et des aspirations : un dosage quotidien de la teneur en azote sera nécessaire. Les pertes extra-urinaires seront compensées gramme pour gramme car, à la différence d’élimination unique urinaire, ces sorties d’azote ne sont soumises à aucune régulation les adaptant à l’état nutritionnel.
- L’inspection des masses musculaires permettra de suivre leur utilisation progressive au cours de la maladie. Mais la persistance de masses musculaires encore imposantes ne met pas à l’abri d’une dénutrition protéique aiguë, car la mobilisation des protéines à partir des muscles est très lente.
- L’appréciation du pli cutané abdominal entre pouce et index, ou mieux à l’aide d’un compas spécial, renseignera sur la diminution des réserves adipeuses.
La marge de sécurité n’existe plus lorsque ces plis sont de l’ordre de grandeur de 1 cm.
- L’équilibration en eau et en électrolytes sera suivie plutôt sur la diurèse et l’ionogramme urinaire que sur l’ionogramme sanguin. En effet ce dernier peut demeurer non perturbé lorsque l’adaptation physiologique à un défaut d’apport se fait par des diminutions de volume plutôt que de concentration.
On n’oubliera pas qu’à chaque fois que cela est possible l’apport entéral d’eau et d’électrolytes est mieux supporté, plus souple et plus efficace que par voie veineuse.
Suivant la cause de la dénutrition, il faudra apporter quelques modifications au régime, ou quelques précautions supplémentaires.
Certains de ces régimes sont développés dans les chapitres correspondants :
— pathologie digestive, diabète, anorexie mentale, alimentation du vieillard ;
Dans les dénutritions liées a l’environnement :
Même dans les pays industrialisés prospères, il existe une dénutrition pour cause sociale. Aux U.S.A., on a évalué ce chiffre à 5 % de la population.
Cet ordre de grandeur est vrai aussi pour la France. 11 s’agit de sujets exclus ou s’étant exclus du système social, individuellement (« clochards ») ou en groupes (fondés sur une idéologie ou une mystique particulières), tic travailleurs immigrés dont le rituel alimentaire a été brisé par le dépayse
ment et qui ne sont pas adaptés aux habitudes alimentaires du pays d’accueil, ou encore de vieillards isolés aux ressources financières très faibles.
L’interrogatoire alimentaire est parfois difficile soit à cause de l’hostilité ou des barrières linguistiques, soit encore à cause du sentiment de pudeur empêchant parfois le vieillard d’avouer la modicité de ses ressources.
Le déficit énergétique sera là encore apprécié par le pli cutané ; le déficit protéique par le dosage de l’albumine plasmatique et les excrétions urinaires d’azote des 24 heures. La réalimentation, en particulier protéique, se fera uniquement par voie orale : elle sera très progressive, car d’une part les positivations des bilans d’azote seront obtenues avec des apports modérés, et d’autre part les réalimentations trop brutales sont susceptibles de provoquer une maladie aiguë de réalimentation, survenant souvent autour du dixième jour, et se manifestant soit par des diarrhées profuses sans aucune infection intestinale, soit par des collapsus parfois brutaux et mortels. On procédera donc par palier : par exemple de 100 calories et 5 g de protéines tous les 3 jours en partant du niveau présent.
Dans les dénutritions par trouble du comportement alimentaire :
- Régime d’exclusion des fonctionnels digestifs : il s’agit de sujets chez qui la consommation de tel ou tel aliment ou groupe d’aliments provoque une sensation d’inconfort digestif et chez lesquels n’existe aucune lésion organique décelable. Les exclusions alimentaires sont cumulatives et associent, d’une part des auto-prescriptions, d’autre part le souvenir d’interdits médicaux plus ou moins fondés. Outre la reprise des explorations parfois nécessaire, à la recherche d’une lésion somatique, le temps essentiel est l’interrogatoire alimentaire suivi d’une prescription prenant en compte la totalité des interdits imposes par le sujet, et utilisant des produits de remplacement assurant une ration alimentaire suffisante et équilibrée. Évidemment, aucune systématisation des prescriptions n’est possible.
- Dénutritions au cours des traitements des états de pléthore : il s’agit le plus souvent de sujets obèses ou se croyant obèses, et de sujets sachant que leur taux de cholestérol est trop élevé.
Le régime suivi par les obsèses comporte très souvent une ration protéique basse et des subcarences vitaminiques. Pour prévenir cette erreur, il faut s’assurer par l’interrogatoire alimentaire que ce régime comporte une quantité suffisante de protéines (au moins 55 g/j.), de calcium (500 mg/j.), de fer (18 mg chez la femme en période d’activité génitale), et, lorsqu’il s’agit d’un régime monotone de longue durée, de conseiller par précaution la prise d’un mélange polyvitaminique. Les explorations de la dénutrition protéique seraient celles déjà décrites ; elles
sont en règle inutiles car les mesures préventives auront de toute façon les effets curatifs nécessaires.
Les dénutritions iatrogènes secondaires à un traitement imparfait de l’obésité sont la forme de carence d’apport la plus fréquente dans notre société. Un cas particulier, survenant par épidémies, est celui des régimes « dissociés », ou des « cures » à base d’un seul aliment, ou encore des « cures de jeunesse ». Signalons l’apparition récente d’une nouvelle cause de dénutrition iatrogène, observée chez les sujets n’aimant pas les laitages écrémés ni le poisson, et qui suppriment par ailleurs de leur alimentation les oeufs, la viande et le fromage par crainte du « cholestérol ».
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