Ce que nous apprennent les pandémies du passé
Les pandémies de grippe résultent de l’introduction, dans la population humaine, d’un virus nouveau contre lequel il n’existe aucune mémoire immunitaire. Le virus aviaire asiatique, le fameux A (H5N1) correspond à cette définition, mais il lui manque pour l’instant la capacité de transmission interhumaine et on ignore s’il sera capable de l’acquérir. De son côté, le virus qui nous préoccupe tant aujourd’hui, le A (H1N1) est facilement transmissible, mais il n’est pas entièrement nouveau car des virus du même type ont déjà affecté la population. Les premiers résultats d’enquêtes sérologiques rétrospectives ont déjà montré la présence d’anticorps spécifiques contre l’hémagglutinine de ce virus chez l’homme, surtout chez les personnes âgées.
Les épidémies de grippe sont-elles toutes semblables ou même comparables ?
Malheureusement non. En observant soigneusement les pandémies du xxe siècle, on peut noter qu’il n’y en a pas eu trois mais cinq, dont certaines sont passées presque inaperçues, leur impact n’ayant pas été plus marquant que celui des épidémies saisonnières.
Pour résumer un peu rapidement des points développés plus loin, il faut retenir six années-clés :
- 1918, bien sûr, avec la grippe espagnole, un désastre planétaire foudroyant, un peu occulté par la fin simultanée de la première guerre mondiale. Le professeur Crosby, de l’université d’Austin, au Texas, a même osé parler de «pandémie oubliée» pour qualifier ce drame planétaire qui a coïncidé avec les derniers mois du conflit et l’armistice. De quelques foyers seulement en début d’été, le virus avait à l’automne pris une force bien plus dévastatrice, devenant hautement contagieux et hautement pathogène, et faisant entre 20 à 50 millions de morts.
- Deuxième date-clé, 1948 : un variant de H1 déferle sur le monde, sans pourtant accéder à la qualité pan- démique. Ce virus, appelé A’ pour le différencier du A classique, ne cause que des épidémies localisées. C’est l’occasion du premier isolement du virus grippal en France.
- En 1957, on a affaire à une forte pandémie, quoique dix fois moins grave que celle de 1918 en termes de mortalité. Le virus nouveau, A (H2N2) se propage très rapidement : à partir de février, il ne met que trois semaines pour envahir la Chine et trois mois pour le monde entier. Ce virus très contagieux et fortement pathogène, fait trois millions de morts.
- On parlera beaucoup, car entre temps les médias sont devenus planétaires, de la grippe dite de Hongkong en 1968 : un nouveau virus, A (H3N2), envahit le monde depuis Hong-Kong. Il part vite, mais il mettra pourtant plus d’un an pour atteindre l’Europe. Il s’agit cette fois d’un virus contagieux, mais moyennement pathogène, ce qui cause tout de même 1,5 million de décès.
- Fausse alerte en 1976 : un virus venu du porc contamine un (ou quelques) soldats américains. Une réaction vigoureuse, mais prématurée et inutile provoque la vaccination de 40 millions d’Américains. Il ne fera qu’un seul mort.
- 1977 : le virus H1N1, qui avait disparu en 1957, refait surface. Il ne touche que les personnes de moins de 20 ans, les autres possédant une mémoire immunologique qui les protège. C’est ce virus qui est encore en activité : le A (H1N1) saisonnier, qui, malgré son étiquette, est différent du A (H1Nl) américain d’origine porcine d’aujourd’hui. Il est cependant moins dangereux que le virus A (H3N2).
Ainsi, sur cinq essais, le virus a réussi trois fois une percée pandémique grave. Il faut noter que les moyens de détection des épidémies se sont améliorés progressivement avec l’apparition, depuis les années 1980, de systèmes de surveillance nationaux et internationaux de plus en plus perfectionnés. Ils permettent aujourd’hui, avec l’aide supplémentaire d’Internet, de suivre jour après jour, la marche des épidémies. Cependant, la qualité des informations épidémiologiques obtenues aussi vite n’est pas toujours très bonne : les signalements se font d’abord sur des critères cliniques discutables, les examens de laboratoire pour la confirmation étiologique sont rares, surtout au début des épidémies et dans les pays qui n’en ont pas les moyens matériels, la mortalité n’est relevée que de façon peu utilisable. Le nombre réel de cas est donc incertain, avec des erreurs en plus ou en moins, les cas inapparents échappant de toute façon à la détection. Les dénominateurs nécessaires pour évaluer morbidité et mortalité ne sont donc pas accessibles ou sont biaisés, ce qui est toujours vrai aujourd’hui.
Les cinq premiers enseignements à tirer
On peut tirer de ce bref survol historique un certain nombre d’observations pratiques qu’il est sage de bien garder à l’esprit dans une situation de danger caractérisée par l’émergence, comme c’est le cas aujourd’hui, du nouvel A (H1N1) alors que le «candidat» A (H5N1) reste présent.
- Toutes les pandémies ne sont pas des catastrophes. Certaines avortent et il est très probable que d’autres à l’avenir auront un impact limité.
- Certains virus sont capables, après avoir couvé pendant quelque temps, de développer grâce à des muta- i ions spontanées et aléatoires trois caractéristiques qui les rendent dangereux : une forte transmissibilité chez l’homme, un pouvoir pathogène exacerbé et le fait d’acquérir une résistance aux antiviraux.
- L’acquisition et l’évolution de ces caractéristiques oui pour l’instant impossibles à prévoir.
- L’évolution est souvent diphasique, la deuxième vague étant la plus grave. Après la pandémie, ces virus rentrent dans le rang et deviennent des virus saisonniers, parfois cohabitant avec d’autres.
- La situation en 2009 a évolué. D’un côté, on dispose d’armes nouvelles : capacité de détection, réseaux de surveillance, vaccins, antiviraux, antibiotiques pour les surinfections bactériennes. Mais, de l’autre, les liaisons internationales beaucoup plus fréquentes et plus rapides et le développement démographique et l’urbanisation accélèrent la transmission.
Tandis que resurgit le spectre d’une pandémie sévère, et que les projections de l’OMS laissent entendre qu’un tiers de la population du globe pourrait être touché par le nouveau virus d’origine porcine A (H1N1), il semble opportun de se tourner vers le passé plus en détail pour en tirer quelques leçons raisonnables.