Les fondements la chirurgie esthétique
La chirurgie esthétique est fondée sur le principe que la correction du corps permet de favoriser le langage du corps.
Le corps est notre interface avec le monde. Il nous permet de parler. Même silencieux, la largeur de nos épaules, l’aspect de notre ventre, l’arrondi des fesses, la forme des cuisses, la façon que nous avons de marcher, de nous tenir sur nos pieds, de bouger nos bras, les façons que nous avons de sourire ou de regarder sont hautement significatifs de notre caractère et de nos principes moraux.
Un corps qui s’exprime peut être rendu muet ou bégayant par des malformations ou par des défauts qui sont mal supportés.
Il est très difficile pour un philosophe ou un psychanalyste de supporter l’idée que le corps est un langage à lui tout seul et que cette immédiateté du langage du corps peut, chez certains patients, entraîner des désordres aussi importants qu’une névrose.
Une opération peut dans certains cas éviter de prendre des médicaments pour toute la vie pour essayer de cacher cette insupportable insatisfaction d’être comme l’on est et comme on n’a pas envie de s’accepter.
L’autre image qui nous vient à l’esprit est que certains patients ont une image d’eux-mêmes qui est déformée dans la réalité.
Mais ce n’est pas en réalité une image déformée. C’est qu’ils ont deux images d’eux-mêmes : l’image que leur projette le miroir, et une autre image qui est celle qu’ils voudraient être. C’est un peu comme quelqu’un dont le regard ne serait pas au point sur une image de ce qu’il en réalité, mais plutôt sur celle qu’il souhaiterait être. Et ces patients n’ont alors de cesse de devenir ce qu’ils se voient potentiellement être. Qu’il s’agisse de l’insatisfaction de la courbure du nez ou de la forme des paupières plus ou moins alourdies, de l’insatisfaction sur une silhouette trop épaissie ou une image prématurée de vieillissement du visage ou du cou, ces patients sont demandeurs d’un geste qui est une véritable réparation de leur déformation, une mise au point photographique et chirurgicale sur une réalité possible et hautement désirée.
Il est donc un peu stupide de considérer que la chirurgie esthétique n’est faite que de futilités ou de demandes exprimées par des femmes riches ou par des
gogos séducteurs pour essayer d’être mieux dans leur peau pour faire plus l’amour avec qui bon leur semblera.
Certes, la dimension sexuelle de la chirurgie esthétique ne peut pas échapper. La chirurgie esthétique participe à la quête du jouir.
La véritable raison en profondeur de ces modifications reste la satisfaction de soi-même dans le but d’une séduction, qu’il s’agisse d’une auto-séduction avec un auto-érotisme ou qu’il s’agisse d’une séduction dirigée vers l’autre, c’est-à-dire vers la ou les personnes vers lesquelles le patient souhaiterait aller.
Ce qui explique que les motivations de la chirurgie esthétique peuvent être à la fois confuses, complexes voire contestables.
C’est le propos de toute quête narcissique.
Toutes ces motivations, si elles ont un arrière-plan un peu trouble, aboutissent néanmoins à une insatisfaction profonde de l’état présent et une non-adaptation au monde qui entoure les patients.
Ce décalage avec la réalité peut être assez facilement accepté chez des gens très bien équilibrés qui feront avec ou qui vont surmonter leur handicap par une autre façon d’être : par la culture, par le sport, ou par la philosophie ou la psychanalyse.
Mais dans un certain nombre de cas, ces tentatives ne seront pas suffisantes pour effacer totalement l’objet passionné que le patient a au fond de son cœur : une meilleure image de lui-même dès le lever sans avoir à faire aucun effort, simplement être bien, simplement être mieux dans sa peau sans se poser trop de questions.
C’est pourquoi ces patients vont vers le chirurgien esthétique avec une sorte de rage ; ils vont tourner autour de la cohorte des chirurgiens esthétiques pour trouver celui qui va s’accorder le mieux à leur personnalité et répondre de la façon la plus directe à leur demande.
Les patients sont alors prêts à payer même des sommes folles à quelqu’un qui accédera à leur demande. Mais, pour le chirurgien, il faut considérablement se méfier de ces requêtes qui peuvent être parfois exagérées, sans rapport avec la réalité.
Toute la difficulté de notre métier est de faire la part entre la demande raisonnable qui exprime une insatisfaction profonde de l’être et une demande de folie lui exprime simplement un désir de fuite de la réalité.
Entre ces deux caps se situe une voie moyenne qui permet néanmoins une intervention alors que toute demande un peu exacerbée, un peu teintée de passion du d’inadaptation au réel doit être rejetée ; le patient doit impérativement faire ‘abord une psychothérapie, subir une évaluation, car sinon l’intervention ne peut
que rater dans son cas, ou entraîner des désordres plus graves qui n’existaient pas auparavant.
Ainsi, la chirurgie esthétique fondée sur le langage du corps ne doit pas méconnaître l’état d’esprit. Si le corps présente une fêlure, une fissure ou une incapacité à s’assumer, c’est bien parce que c’est dans la tête que cela se passe.
Cette très impérative formation en psychologie du chirurgien esthétique est essentielle. Or, elle ne vient pas toute seule, ni spontanément ni rapidement. Il faut être malheureusement passé par un certain nombre d’échecs, d’erreurs, d’insatisfactions pour que l’expérience s’accumule et fasse comme une sédimentation sur une plage et entraîne de quoi pouvoir se baigner à pieds nus sans se blesser dans l’eau de mer splendide.
C’est au fil du temps que ce sable s’est accumulé, c’est au fil de l’expérience que le chirurgien va gagner en qualité d’écoute et dans l’art difficile de savoir dire non et de refuser une opération à un patient qui serait trop demandeur et incapable d’assumer sa demande.
C’est pourquoi l’argent n’est pas le seul moteur de la chirurgie esthétique, loin de là. L’argent est certes un moyen de vivre et une récompense pour le chirurgien qui fait l’effort de mettre ses mains à la disposition du patient, et même qui va mettre ses mains à l’intérieur de son corps pour essayer de le modifier ; de le modifier d’une façon efficace pour le rendre plus beau, encore plus parlant, encore plus chantant dans le quotidien de la réalité, mais néanmoins, cet argent ne saurait résumer à lui seul le motif d’un acte opératoire.
C’est toujours en tant que médecin, médecin guérisseur, médecin réparateur, que le chirurgien esthétique doit aborder son activité ; c’est cela qui fera de nous une cohorte de chirurgiens fiers d’être ce que nous sommes ; non pas des charlatans, ou des mercantiles, ou des commerçants établis sur le marché de la maladie ou du malaise pour profiter de l’argent des autres.
Une jeune fille de seize ans se présentait avec une cicatrice d’appendicite qui ne fermait pas.
Réopérée à quatre reprises, le chirurgien voyait avec stupéfaction la plaie se rouvrir. Les services de chirurgie réparatrice étant considérés comme les endroits spécialisés des plaies qui ne guérissent pas, c’est par téléphone que nous avons reçu le diagnostic d’une plaie qu’on ne parvenait pas à se refermer chez une jeune fille.
Déjà, Raymond Vilain, notre maître, nous avait expliqué que le diagnostic d’auto-manipulation se faisait un peu par téléphone quand une plaie n’arrivait pas à cicatriser avec les moyens usuels de la science et de la technique du pansement.
Lorsque cette patiente arriva, nous vîmes avec étonnement une très jolie jeune fille avec une cicatrice d’appendicite ouverte, longue d’environ huit centimètres
qui, à force d’avoir été réopérée pour être refermée, restaurée, greffée, n’en était pas moins comme deux lèvres boursouflées et écartées, rouges, sanieuses avec un dépôt purulent au fond.
Cette jeune fille était par ailleurs en parfaite santé.
Après quarante-huit heures d’hospitalisation, tous les paramètres de prélèvements de bactéries au niveau de la plaie, d’études complètes de son corps ou de ses capacités immunitaires se révélaient absolument normaux.
Bien que nous ayons demandé aux infirmières de la surveiller, elle ne fut jamais prise « la main dans le sac », c’est-à-dire qu’on ne l’avait jamais prise en train de grattouiller son pansement.
Son jeune fiancé venait la voir régulièrement.
C’est lui qui nous livra les clefs du problème : cette jeune fille avait été violée dans l’enfance et refusait obstinément d’avoir un rapport sexuel avec lui.
Ayant présenté une appendicite aiguë, cela avait été un moyen pour elle d’échapper à cette espèce de sacrifice de son corps qu’elle ne voulait admettre à aucun prix.
Et en fait, c’est en pleine nuit, quand tout le monde dormait, qu’elle prenait une compresse : elle frottait sa plaie de telle sorte que, comme une jouissance, cela lui permette d’imaginer que les lèvres de sa plaie étaient les lèvres de son sexe.
Elle en tirait ainsi le bénéfice aussi bien de la jouissance que la non-nécessité le succomber au désir de son jeune amoureux.
Quel plus beau langage que celui-là !
Il fallut presque un an de psychothérapie à cette jeune fille pour parvenir à un équilibre.
Nous la fîmes sortir le lendemain du diagnostic sans jamais l’accuser de se jucher le bas-ventre, car cela l’aurait mise en dépression grave presque suicidaire.
Nous avons donc simplement expliqué à ses parents qu’elle guérirait sans aucune chirurgie et sans aucune médecine, après quelque temps.
La plaie se cicatrisa toute seule en six semaines environ grâce à la psychothérapie qui dut remonter très loin, jusqu’aux années où elle avait été victime d’un viol qu’elle n’avait même pas avoué à ses parents.