La thèse de la culpabilité
Plus la maladie est source d’angoisse, plus elle amène d’incertitudes, d’appréhension, de doutes, d’interrogations, plus massive sera l’attente. Peu importent lage, le sexe, le quotient intellectuel, le milieu social. Si le médecin est rassurant, sûr de lui et de sa science, s’il consacre du temps, de l’attention, de l’indulgence, de la compréhension, si en un mot, il apporte du sens et de la chaleur, il pourra espérer favoriser et amplifier l’action de son traitement. C’est sur un limon d’angoisse et d’espérance que s’enracine et croît l’effet placebo, composante majeure de l’effet thérapeutique.
Perte d’intégrité individuelle, la maladie est le douloureux rappel de notre condition de simples mortels. De ce fait, elle représente une blessure narcissique, brèche ouverte dans l’image idéale de soi que chacun porte. Et puisqu’il faut bien une explication, la maladie sera interprétée comme une punition, châtiment divin d’une faute originelle que seule la mort permettra d’expier. La religion judéo-chrétienne en fait ainsi une épreuve envoyée par Dieu pour mettre à l’épreuve les mortels; c’est le sens de la parabole de Job que cela n’empêche d’ailleurs pas de faire une véritable réaction mélancolique de deuil. Une épidémie, un malheur collectif sont aussi considérés comme une punition divine venue sanctionner une faute commise soit par le souverain, soit par l’ensemble du peuple.
Les Égyptiens, collectivement coupables puisque leur chef Pharaon avait refusé d’affranchir les Hébreux’ eurent ainsi à subir les douze plaies. Souvent, c’est le sacrifice d’une victime désignée comme bouc émissaire que les prêtres médecins de jadis utilisaient à titre d’exorcisme. À Athènes, un certain nombre de personnages, prisonniers, errants, déviants, étaient ainsi gardés, élevés, choyés même, en prévision d’un éventuel malheur, guerre, catastrophe naturelle ou épidémie. Lorsque l’un de ces malheurs arrivait, ce qui ne manquait jamais de se produire en ces temps difficiles, le Pharmacos était extrait de sa « réserve », vêtu richement, paré de bijoux et finalement, juché sur un char décoré. Il était ensuite promené dans les rues de la ville, jusque dans ses moindre recoins afin d’en mieux exorciser le mal, en extraire le moindre miasme, le tout sous les ovations et la vénération de la foule. Enfin, il était au mieux expulsé, au pire exécuté. C’est probablement parce que l’intention thérapeutique était évidente dans ce rite que le nom de Pharmacos donné à ces malheureux est devenu l’ancêtre de la pharmacologie.
La plupart des religions et des cultures ont entretenu le sentiment de culpabilité qui, d’un simple point de vue de marketing, permettait aux prêtres, médecins, sorciers, hommes médecine, haruspices et autres thaumaturges de s’attacher plus solidement leur clientèle. Comment ne pas révérer un personnage qui se présente comme intermédiaire entre soi et la divinité vengeresse, l’intercesseur unique, personnage obligé pour celui qui implore la guérison ? Il n’est pas du tout certain que, même dans ce siècle plein de certitudes et de progrès scientifiques, le médecin ait totalement perdu cette fonction sacrée. Bien que les ouvrages de vulgarisation aient probablement contribué à détourner une partie de la patientèle vers les guérisseurs patentés ou non, il n’en reste pas moins que le Docteur a gardé une partie de ce+te aura, mystérieuse et redoutable, détenteur de secrets inaccessibles, garant d’une rédemption ardemment souhaitée. Et à bien regarder ce qui se passe ailleurs, dans d’autres cultures, là où la médecine ne repose pas sur un fondement scientifique comme en Occident, on découvre d’ailleurs des pratiques aux motivations étonnamment semblables. À la rencontre de l’autre et à la découverte du même?