L'infiniment petit et l'infiniment grand du placebo
Les dimensions des comprimés interviennent dans l’effet final. Un comprimé minuscule est présumé concentrer en lui une puissance énorme. C’est la mythologie du nain surpuissant que Toulouse-Lautrec a gaillardement illustré lorsque, plaisantant sur sa très petite taille qui contrastait avec les dimensions et la vigueur revendiquées de sa virilité, il se comparait à une « théière munie d’un énorme bec verseur ». Un comprimé géant, très difficile à déglutir, sera, lui aussi, supposé contenir une énorme quantité de principe actif, donc d’efficacité.
Des couleurs et des formes suggestives
Au Moyen Âge, « pour guérir de la jaunisse, il n’était que de trouver du plantain poussant sur une maison, et sur ce plantain pisser matin et soir, jusqu’à ce que, ce plantain dépérissant, la jaunisse se mourût aussi ». Il est certain qu’au cours de la jaunisse, les urines sont très colorées. On pensait donc à l’époque que le jaune le la jaunisse sevacuait en urinant. Sa nocivité était d’ailleurs prouvée puisque le plantain, mauvaise herbe input pour sa résistance, y succombait. C’était une sorte de preuve toxicologique de la sortie du poison. I . urine agissant en quelque sorte comme un désherbant, l’herbe disparaissait à peu près au moment de la guérison spontanée de la maladie. La théorie des signatures de Paracelse illustre pareillement l’impor- lance de ce chapitre haut en couleurs. L’illustre praticien pensait en effet que la forme et la couleur du remède pouvaient indiquer l’organe sur lequel il était sensé agir. Un remède jaune tel que le suc de la grande chélidoine était donc indiqué pour le foie dont la bile est d’une couleur comparable ; la feuille de la pulmonaire dont la forme évoque le poumon était indiquée pour la bronchite. C’est pour des raisons strictement identiques que le ginseng dont la racine rappelle le corps humain est toujours utilisé en Orient et de plus en plus en Occident. La mandragore fait encore l’objet de considérations analogues dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier. On est aujourd’hui, encore et toujours, en pleine magie.
En cette toute fin de xxe siècle, les services galé- niques des laboratoires les plus modernes consacrent une très grande attention à ces deux facteurs qui permettent une mémorisation souvent supérieure à celle du nom. On sait en effet que tel comprimé anxiolytique bi ou quadrisécable sera plus facilement cité et réclamé par le patient, du fait de son originalité et de sa souplesse d’emploi. De même pour la couleur : « Vous savez bien Docteur, le médicament que vous m’avez prescrit, ce petit cachet jaune pâle ! »
Vert, jaune, bleu… la symbolique des couleurs est tellement ancrée dans l’esprit du public aujourd’hui qu’elle en est devenue vraie. Le vert, de nos jours, évoque la nature, l’écologie, la non-pollution de l’organisme. Ceci explique peut-être qu’une molécule identique contenant la même dose d’un tranquillisant, l’Oxazépam, se soit révélée objectivement plus efficace verte que rouge ou jaune. Il faut y croire pour le voir ! D’autres études ont montré que l’anxiété est mieux combattue si la pilule est bleue. Le rouge ou le jaune vif seraient, eux, plutôt stimulants. Et allez savoir pourquoi, le marron devrait de préférence être réservé aux laxatifs ! Il n’est pas impossible d’ailleurs que la couleur possède une valeur symbolique transculturelle. Sur le marché des batiks, à Lomé au Togo, les « Marnas Benz » proposent de gros sacs en plastique emplis de gélules, échouées là après on ne sait quel périple humanitaire. Elles précisent que telle couleur « c’est pour la tête », telle autre pour le ventre. Grâce aux diverses inscriptions ou sigles portés par les laboratoires sur les gélules, il est possible d’identifier un certain nombre de produits. Il est alors frappant de constater que souvent, les indications des Mamas Benz correspondent assez bien à celles préconisées officiellement !
Vidéo : L’infiniment petit et l’infiniment grand du placebo
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