Un cancer sans être malade
Un jeudi soir, il reçut un coup de téléphone désespéré, ù propos d’un ami qui souffrait d’un grave cancer du pancréas. Lenny vivait à New York. À l’hôpital Memorial Sloan-Ket- tering – un des meilleurs centres de cancérologie aux États- Unis -, on lui avait annoncé qu’il ne lui restait plus que quelques mois à vivre. Le cancer du pancréas est de fait un des plus virulents qui soient. Mais Lenny était un personnage de roman. Grand, au rire tonitruant et aux colères légendaires, il avait toujours aimé le poker et le casino. Il avait reçu de mauvaises cartes, mais, une fois de plus, il allait tenter sa chance jusqu’au bout. Béliveau avait-il une méthode quelconque à lui suggérer ? Lenny était prêt à aller au bout du monde pour se soumettre à n’importe quel protocole expéri mental…
Au bout du fil, la femme de Lenny avait du mal à parler, tant sa gorge était serrée : « Ça fait trente-deux ans que nous vivons ensemble, dit-elle. Nous ne nous sommes jamais séparés. Je ne peux pas croire que ça va finir comme ça, aussi brutalement. Il nous faut juste un peu de temps, un peu de temps… »
Béliveau se fit envoyer le dossier médical par fax et, dès le lendemain matin, il éplucha les bases de données internationales sur les protocoles de recherche les plus récents. Mais sur le cancer du pancréas, ils étaient très peu nombreux, et ceux qui existaient ne prenaient pas de patients à un stade aussi avancé. Le cœur lourd, il rappela la femme de Lqiny le soir même pour lui annoncer son échec. Elle était en larmes : « J’ai entendu parler de votre intérêt pour les effets de l’alimentation sur le cancer. Je vais m’occuper de Lenny de A à Z tous les jours jusqu’à la fin. Il fera tout ce que je lui dirai. Si vous avez des suggestions, nous les essayerons toutes. Nous n’avons rien à perdre. »
Il n’y avait de fait rien à perdre. Si ses idées étaient justes, c’était le moment d’en faire profiter quelqu’un qui en avait vraiment besoin. Tout le week-end, Béliveau se plongea dans la base de données MedLine, recueillit des articles tous azimuts sur les aliments ayant montré une action contre le cancer, calcula les concentrations de composés phytochi- miques qu’on peut espérer atteindre avec les quantités habituelles en cuisine, évalua la biodisponibilité et l’assimilation par l’intestin… Au bout de deux jours de travail intense, il arriva à la première liste d’« aliments contre le cancer » dont il devait faire plus tard un livre promis à un succès extraordinaire au Canada2–3. Elle comprenait, notamment, les différents choux, les brocolis, l’ail, le soja, le thé vert, le curcuma, les framboises, les myrtilles, le chocolat noir. Ce dimanche soir- là, il rappela la femme de Lenny pour lui communiquer la liste, assortie d’une explication clé : « Le cancer est comme le diabète. Il faut s’en occuper tous les jours. Vous avez quelques mois : il va falloir manger de ces aliments répartis sur tous les repas et ne jamais dévier. Il ne s’agit pas d’en prendre “à l’occasion”. Il faut consommer ces aliments tous les jours, trois fois par jour. » Il indiqua aussi ce qui devait être proscrit : tous les corps gras, excepté l’huile d’olive ou l’huile de lin, pour éviter les oméga-6 qui activent l’inflammation. Il lui donna quelques recettes japonaises qu’il connaissait bien et qu’il aimait particulièrement. La femme de Lenny prenait des notes : « Je vais lui préparer ça tous les jours », promit-elle. C’était la seule chose à laquelle elle pouvait encore se raccrocher.
Les premiers jours, elle appela souvent. Elle faisait scrupuleusement tout ce qu’elle avait promis, mais elle avait peur. Au téléphone, elle pleurait encore : « Je ne veux pas le perdre… je ne veux pas le perdre… » Au bout de quelques semaines, sa voix était différente : «C’est la première fois qu’il se lève depuis quatre mois, annonça-t-elle. Aujourd’hui il a mangé avec appétit… » De jour en jour, l’embellie se confirmait : « Il va mieux… Il marche… Il est sorti de la maison… » Béliveau n’en croyait pas ses oreilles. C’était tout de même un cancer du pancréas. Le plus terrible, le plus agressif, le plus foudroyant. Mais il n’y avait pas de doute. Quelque chose était en train de se transformer dans le corps épuisé de Lenny.
Lenny survécut quatre ans et demi. Longtemps, sa tumeur s’était stabilisée et avait même régressé de près du quart. Il avait repris ses activités habituelles, ses voyages. Son cancérologue à New York disait qu’il n’avait jamais vu une chose pareille. Tout se passa pour un temps comme s’il avait porté son cancer sans en être malade, même si son organisme finit par succomber. Quand Richard Béliveau raconte l’histoire, il en rougirait presque. « C’était la première fois que je faisais ce genre de recommandation. Évidemment, il s’agissait d’un cas unique. On ne pouvait rien en conclure. Mais tout de même… si c’était possible ? » Pour un chercheur qui avait consacré sa vie à la biologie de la chimiothérapie, c’était un choc. Mais au fond, qu’est-ce qui empêche de mieux manger pendant une chimiothérapie, ou après ? D’autant qu’il n’y a aucune contre-indication. Les jours suivants, Richard Béliveau continua à se réveiller la nuit. « Qu’est-ce que je fais avec ça ? se demandait-il. Est-ce que j’ai le droit de passer à côté d’une contribution aussi importante à la santé publique ? Est-il acceptable de ne pas explorer cette approche par les aliments de façon systématique, de façon scientifique ? » C’est à ce moment-là qu’il décida de lancer son laboratoire^dans le plus grand programme de recherche jamais entrepris sur les effets biochimiques des aliments anticancer. Depuis, les résultats sont tels qu’ils bouleversent de fond en comble les idées sur la meilleure manière de se protéger du cancer.
Vidéo : Un cancer sans être malade
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