Tabac et autres drogues
Comme nous l’avons vu, toutes les consommations de drogues’ ont des traits communs, dépendent étroitement de processus neurobiologiques et comportent beaucoup de similitudes. Toutes les substances «addictives» peuvent entraîner chez l’animal des comportements d’auto-administration; les sensations psychiques qu’elles determinent ont pour conséquence de créer un renforcement comportemental. La séparation entre drogues dures et douces est artificielle et repose uniquement sur des données politiques et législatives avec deux types de produits:
• les drogues licites que sont l’alcool, le tabac et, a un faible degré, le café;
•les drogues illicites, interdites que sont l’heroi’ne, la cocaïne, le haschich, les amphetamines (l’ecstasy)…
C’est également souvent une question de culture: au Yémen, a Djibouti, la consommation de khat est extrêmement répandue, aussi banale que le tabac pour les européens; les feuilles de cette plante sont mâchée et libèrent une substance psychostimulante, proche des amphetamines. Mais, en Europe, le khat est interdit: ceci explique l’aventure d’un industriel du Yémen qui, venant en Suisse pour affaires avec sa provision de khat, s’est trouve en état d’arrestation a l’aéroport de Genève pour trafics de drogues!
Les drogues psychodépressives
Les opiacées, avec divers dérives naturels ou de synthèse, reproduisent les effets de la morphine, principe essentiel de l’ opium, sue pro venant du pavot indien. L’heroine, un dérive de la morphine, est la substance la plus utilisée, surtout par voie veineuse: son injection entraîne un plaisir très intense, le «flash», le «shoot», suivi d’une alteration de nombreuses fonctions psychologiques. L’alcool, les benzodiazepines ou tranquillisants ont également des propriétés psychodepressives.
Les drogues psychostimulantes
Les plus actives sont la cocaïne, les amphétamines et a un moindre degré la nicotine, le khat… et éventuellement le cola, la caféine.
Chez les consommateurs d’hero’ine, le tabagisme est constant, sous forme de cigarettes, avec toujours une consommation très importante, de l’ordre de trente a qua- rante cigarettes par jour et une très forte dépendance. Dans tous les reportages télévises consacrés aux toxicomanes, les personnes filmées dans les services de cure ont pratiquement toujours une cigarette a la main. Les études expérimentales des effets des drogues chez le rat ou la souris démontrent clairement qu’il y a un renforcement du plaisir, du système de récompense avec l’utilisation simultanee de la nicotine.
— II en est de même chez les utilisateurs de cocaïne, que ce soit le « sniff» sous forme de poudre par voie nasale, ou le «crack» sous forme de vapeurs inhalées ou de solutions injectées. II est bien évident que chez les utilisateurs prolon- ges d’heroine ou de cocaïne, le problème de 1’arret du tabac est secondaire par rapport aux autres drogues, tout au moins dans un premier temps.
— Actuellement, on assiste au développement rapide et inquiétant de l’« ecstasy», drogue proposée sur le marche clandestin et dérivée des amphetamines, le plus souvent de fabrication artisanale, fournie sous forme de comprimés ou de capsules; elle est surtout consommée de façon ponctuelle dans les soirées «raves», en association avec l’alcool, les cigarettes, les musiques bruyantes, les lumières en « flash », tous ces mélanges excitants pouvant aboutir a des accidents aigus dramatiques.
Le cannabis (haschisch ou « H »)
Le cannabis ou chanvre indien secrète a la surface de ses feuilles une résine plus ou moins riche en un produit psy-chotrope puissant, le tetrahydrocannabinol (THC); les teneurs en THC peuvent varier de 1 a 40% selon l’espece, le moment de la récolte, le climat et le mode de préparation. Les feuilles hachées et les extrémités fleuries peuvent être fumée directement: e’est la marijuana ou «herbe», peu riche en THC (1 a 5 %). La forme la plus utilisée est la résine
— le haschisch ou « shit» qui doit être chauffée et melan- gee a du tabac pour obtenir des cigarettes artisanales, les «joints » ou « petards », contenant 2 a 6 milligrammes et plus de THC par cigarette.
Le THC est un psychotrope puissant; son absorption entrame rapidement une sensation agréable de détente, de douce euphorie, d’apaisement de l’anxiete, comparable aux effets aigus de l’alcool. L’association au tabac est indispensable pour que la résine puisse être fumée; l’apport de nicotine renforce l’action psychique du THC; pour les utilisateurs, un «joint» a beaucoup plus d’effets euphorisants qu’une cigarette.
La consommation de haschisch est de nos jours de plus en plus répandue et le fait de fumer un «joint» tend rapidement a se banaliser, surtout chez l’ adolescent et l’adulte jeune. Le problème est politique, puisque, aux Pays-Bas, la vente et l’utilisation de cette drogue sont libres; le trafics est donc facile. II y aurait en France actuellement 4 a 5 millions de fumeurs de « H », occasionnels ou réguliers; la consom¬mation de résine de cannabis dépasserait cent tonnes par an! II n’est que d’interroger les jeunes pour apprendre que devant certains collèges et lycées et dans les rues, le haschisch circule quasi librement et qu’il est très facile de s’en procurer; il est surtout utilise lors des sorties, des soirées…
Dans notre consultation, les utilisateurs de « H » sont de plus en plus nombreux: la plupart du temps, ce sont des adultes jeunes, avant trente ans. Parfois, le fumeur de haschisch fume cinq a dix joints par jour avec son paquet de cigarettes. Le plus souvent, la consommation reste moderne en soirées, se faisant essentiellement entre amis, surtout dans les situations conviviales «ou le joint circule».
—Tel est le cas de ce couple d’enseignants, tous deux ages de 27 ans et qui souhaitaient arrêter de fumer, en raison d’un projet de grossesse; ils avaient des antécédents anxiode- pressifs et étaient en psychotherapie. Ils fumaient chacun un paquet de cigarettes par jour, mais en plus, tous les soirs, un ou deux «joints », qui leur permettaient de mieux s’endormir. Une ou deux fois par semaine, ils participaient a des soirées avec des amis ou la consommation de « H » etait abondante. Ils sou-haitaient certes arrêter de fumer, mais ne voulaient pas renoncer a leurs réunions amicales oil, bien entendu, ils ont continue a fumer des «joints».
II leur a ete explique que l’echec de leur démarche était quasi certain; le joint comportant toujours du tabac, la dépendance a la nicotine ne peut pas s’effacer… et ce qui devait arriver arriva: alors qu’ils avaient arrête de fumer pendant les trois mois de période de vacances, en dehors de tout contact avec les fumeurs de «H», des la rentrée scolaire, lors d’une soiree entre amis, les joints ont circule et ils ont recommence a fumer; les mêmes causes produisent évidemment les mêmes effets!
Cette consommation de plus en plus banalisée de haschisch soulevé de nombreux problèmes:
— Le « H » est pratiquement toujours utilise avec du tabac; le fumeur de « H » est donc en même temps un fumeur de cigarettes, le plus souvent a forte consommation et depen¬dant. La cigarette précède le haschisch.
— La résine de cannabis – ou H – est souvent trafiquée: pour augmenter le volume du bloc de résine, et donc les bénéfices, des produits divers sont ajoutes: cire, bougie, cirage, mastic, matières plastiques… en brûlant, tous ces produits dégagent évidemment de nombreux toxiques, dont les effets patholo- giques sont vraisemblables.
— A court terme, les risques de consommation de « H » sont minimes; le THC entraîne a la longue une dépendance psychique forte, mais peu de dépendance physique, si la consom-mation reste faible. Ces faits conduisent certains a proposer la pénalisation du haschisch, pour éviter les trafics.
— Mais a long terme, il y a un double risque: d’une part, 1’ augmentation progressive de la consommation et la surve- nue possible d’une dependance physique difficile a traiter, d’autre part, des complications chroniques graves; si faction psychique du THC est rapide, il se fixe également dans les tissus ludiques, et en particulier le tissu cérébral, d’ou il n’est libere que lentement et progressivement, sur une durée d’environ une semaine. Des
complications graves sont alors possibles, en particulier cardio-respiratoires et surtout neuro- psychiques, se manifestant par des troubles de la mémoire et de la concentration intellectuelle, un état de passivité, de détachement décrit sous le nom de « syndrome amotivationnel», de « deficit énergétique ».
Le « H » pose véritablement un problème de société, suscitant des positions passionnelles. La réalité est difficile a appréhender. «Que les gens curieux de connaître des jouis- sances exceptionnelles, sachent donc bien qu’ils ne trouveront dans le haschisch, rien de miraculeux, absolument rien que le naturel excessif…» disait Baudelaire.
Connaissez-vous les « bidies » ?
Les « bidies » sont de toutes petites cigarettes courtes et fines, fabriquées artisanalement dans les villages en Inde, chacun ayant sa recette; ils comportent toujours du tabac auquel sont associées diverses plantes, soit psychoactives tel le bétel, soit des aromates; ils ont tous un goût différent sui- vant la composition. Ils sont enveloppes dans une feuille de «tembumi», le temdu ou arbre a kaki, contenant vraisem- blablement des substances psychotropes.
Prodigieuse aventure que les voyages! Au cours de vacances en Inde, Tune de nos consultantes, sevrée de son tabac depuis plusieurs mois, a cède au plaisir de ces bidies, si petits, si minces, si sympathiques… et les a trouves si bons qu’elle a continue a en fumer pendant son séjour: mais au retour, plus de bidies, alors les cigarettes les ont largement remplaces et elle refume maintenant plus d’un paquet par jour. Ces bides sont en effet redoutables pour induire la dépendance; leur rendement en nicotine est d’environ trois milligrammes par cigarette, malgré leur petite taille, et les diverses plantes ajoutées interviennent vraisemblablement dans 1’induction de la dépendance.
Mais il n’est pas besoin d’aller si loin… un autre ex-fumeur a lui aussi recommence a fumer, après un dîner dans un restaurant indien, ou la coutume veut que, pour terminer le repas, les bidies soient offerts et cela semble si agréable et si anodin. Le piège est la: attention aux tentations de l’exo- tisme facile, méfiez-vous des bidies!