Palmarès des dix jugements erronés les plus souvent rencontrés en matière d'atteinte de l'oreille
Vous souvenez-vous de Pat, la patiente mentionnée dans la préface, avec ses multiples symptômes concernant l’oreille ? Je n’avais pas encore terminé l’interrogatoire, ni pratiqué d’examen (d’une manière ou d’une autre, la rédaction de ce texte s’est interposée). Pour reprendre où nous en étions restés, ses symptômes et les données de l’interrogatoire semblaient, au premier abord, très compatibles avec un syndrome algique de l’articulation temporo- mandibulaire (ATM). Je doutais que l’on trouve un épanchement d’oreille moyenne ou une infection.
Un interrogatoire plus poussé et circonspect révéla que Pat était plus stressée que d’habitude dans sa vie et que son dentiste avait décelé des signes d’usure des dents liés à un bruxisme. Elle semblait tendue et exprima de nombreuses doléances. Elle décrivit ses sensations vertigineuses comme des étourdissements plus que comme des vertiges vrais. Cependant, pressée de questions sur son oreille droite, elle répondit que cette sensation de plénitude était plus marquée qu’à d’autres moments et que son audition lui semblait vraiment diminuée et accompagnée de distorsions. Il y avait un grondement comparable au bruit de « conque marine », sans que sa voix paraisse cependant particulièrement forte dans cette oreille.
À l’examen, les deux membranes tympaniques (MT) de Pat semblaient légèrement voilées. Cependant, leur mobilité à l’otoscope pneumatique s’avéra satisfaisante. L’examen aux diapasons révéla un test de Weber latéralisé à l’oreille gauche. Le test de Rinne fut normal des deux côtés – conduction aérienne meilleure que la conduction osseuse. À la question de savoir dans quelle oreille elle entendait le diapason 512 le plus fort, la gauche ou la droite, elle répondit qu’il était nettement moins fort à droite et semblait être sur une note différente. Le dépistage à l’audioscope à 25 dB HL montra une absence de réponse à 500 Hz et 1 kHz à droite. Le reste de l’examen ne révéla rien de remarquable hormis une certaine sensibilité subjective bilatérale des ATM avec de petits craquements palpables du côté droit. À l’évidence, il y avait des constatations en faveur d^ l’ATM mais il y avait aussi une hypo- acousie de perception droite. Cela exigeait un bilan plus poussé.
Un audiogramme proprement dit fut fait et montra sur l’oreille droite des pertes de 60 dB HL à 250 Hz, 45 dB HL à 500 Hz, et 35 dB HL à 1 kHz. L’hypo- acousie était de perception, sans Rinne. Toutes les autres fréquences dans les deux oreilles étaient normales. La tympanométrie montra une pression normale dans les deux oreilles moyennes. Ainsi, les tympans voilés étaient juste cicatriciels et il n’y avait pas de problème d’oreille moyenne.
Pat avait des signes évidents, et les symptômes, d’une atteinte chronique de l’ATM, mais elle avait aussi un hydrops cochléaire aigu (syndrome de Lermoyez) dans l’oreille droite ! Je n’étais pas certain de savoir si cet hydrops était déjà arrivé à d’autres reprises dans le passé ; et si, oui ou non, Pat développerait un jour une maladie de Ménière à part entière, avec vertige. Heureusement, cependant, un interrogatoire et un examen de l’oreille circonspects, s’appuyant sur une bonne connaissance des atteintes de l’oreille, m’avaient évité de passer à côté du diagnostic. Après l’audiogramme, nous discutâmes des deux diagnostics et commençâmes à planifier le traitement. Diurétiques et corticoïdes à doses dégressives seraient prescrits pour l’hydrops et des conseils furent donnés à propos du bruxisme et au recours possible au port de gouttières la nuit pour l’ATM.
Le cas de Pat est un bon exemple des défis et des chausse-trappes du diagnostic en matière de problèmes d’oreilles. Il y a bon espoir que la lecture de ce texte ait pu enrichir votre savoir sur les maladies de l’oreille et leur analyse. La circonspection de votre interrogatoire, de votre examen au cabinet et de votre bilan auditif initial ont toutes les chances de vous permettre d’élucider un problème comme celui de Pat.
Si j’en crois mon expérience, quand des erreurs diagnostiques surviennent, c’est habituellement de la façon suivante. L’interrogatoire d’un patient parfois influencé par un diagnostic préconçu conduit le praticien à une conclusion hâtive. Puis l’examen de l’oreille, orienté en fonction de l’impression première, va manquer d’exhaustivité et d’exactitude.
Les patients n’entrent pas toujours dans des cases diagnostiques et Pat non plus. Certaines personnes racontent des histoires tout à fait incroyables, avec des doléances multiples. Chez d’autres individus stoïques, cela se résume à une phrase et un seul symptôme. L’expérience montre que c’est chez ces patients qui ont les doléances les moins nombreuses et les plus spécifiques qu’on a le plus de chances de découvrir des anomalies, mais les deux types sont susceptibles d’avoir un problème sérieux. En tout cas, le savoir et l’honnêteté intellectuelle peuvent contribuer à éviter de faire un diagnostic commode mais inexact.
Et maintenant, permettez-moi de faire l’article pour ma spécialité. Si un clinicien a des doutes sur un problème d’oreille, demander l’avis d’un ORL peut être plus utile et moins coûteux que des traitements prolongés sans diagnostic précis ou un scanner ou une IRM « visant tous azimuts ». Je suis reconnaissant à tous les praticiens qui m’ont adressé des patients au cours des années ; les défis ont rendu ma vie intéressante et gratifiante. Cela a été amusant de « se creuser les méninges », de traiter ces patients tels des amis, et de les réadresser en retour à leurs médecins traitants. Il serait utile, à titre de révision, de mentionner les dix erreurs les plus courantes que j’ai vues, au cours des années, commises par certains cliniciens en matière de problèmes spécifiques de l’oreille. Ces erreurs ne se sont pas produites souvent, et habituellement le patient a été adressé au spécialiste à temps. Venant de lire le texte, les erreurs mentionnées doivent vous être familières, mais vous pouvez toujours vous reporter au paragraphe correspondant qui est cité à propos de chaque exemple. L’ordre dans lesquels ces items sont mentionnés n’a pas de rapport significatif ni avec leur fréquence, ni leur importance.
- Une surdité brusque est diagnostiquée et traitée à tort comme une atteinte de l’oreille moyenne avec des décongestionnants, des anti- histaminiques ou même des antibiotiques. Un diagnostic correct et un traitement précoce par des corticoïdes par voie générale et d’autres mesures peuvent améliorer l’issue et prévenir d’une hypoacousie définitive.
- Une otite externe aiguë diffuse (oreille de nageur) est traitée par antibiothérapie orale ne couvrant pas Pseudomonas et sans préparation à usage local. Cette atteinte douloureuse est pratiquement toujours due à Pseudomonas. Des gouttes auriculaires antibio-corticoïdes appropriées, sur une mèche si nécessaire, constituent le traitement de choix.
- Un syndrome douloureux de l’ATM ou myofacial est diagnostiqué et traité comme une atteinte de l’oreille. Assez souvent, un tympan légèrement cicatriciel est considéré comme un signe d’atteinte de l’oreille moyenne et le patient est traité pour dysfonctionnement tubaire ou épan- chement de l’oreille moyenne. Un interrogatoire et un examen approfondi peuvent éviter cette erreur.
- Un individu âgé ayant un déséquilibre généralisé est traité avec de la méclizine. Cet antihistaminique est indiqué dans les nausées et les vertiges. Il peut aggraver nettement un déséquilibre chronique en provoquant une somnolence.
- Des infections chroniques de l’oreille externe avec otorrhée épaisse sont traitées avec des gouttes antibiotiques. Presque toujours, il s’agit d’infections d’origine fongique. Un prélèvement avec examen bactériologique et fongique doit être fait, puis un traitement approprié incluant des topiques peut être mis en route.
- Passer à côté d’une hypoacousie chez le jeune enfant. Il est rare que le nourrisson manifeste une gêne ; seule la mère ou un autre membre de la famille proche sont susceptibles de le faire. On peut passer à côté des signes discrets d’une otite séreuse chronique. Qui plus est, il peut s’agir d’une hypoacousie de perception sans atteinte de l’oreille moyenne. Un interrogatoire et un examen circonspects complétés par une tympano- métrie et une évaluation de l’audition vont déceler la plupart des problèmes.
- Le vertige paroxystique positionnel bénin est soit ignoré, soit diagnostiqué par excès. Cette atteinte est une cause fréquente de vertige récurrent, et les données de l’interrogatoire et de l’examen sont caractéristiques. L’électronystagmographie (ENG) peut trancher en cas de doute diagnostique. La manœuvre d’Epley pratiquée à bon escient est un traitement fiable.
- Un corps étranger est enfoncé plus en profondeur dans l’oreille par un soignant bien intentionné. La détermination de la nature du corps étranger par interrogatoire et examen doit être suivie par le choix d’une instrumentation appropriée. « Contourner et prendre à revers » le corps étranger, en particulier s’il est dur comme dans le cas de perles, est essentiel. Le recours à l’ORL pour la première tentative est le plus souvent la meilleure option.
- Passer à côté d’un cholestéatome. Cette inclusion épidermique invasive dans l’oreille moyenne et la mastoïde peut être prise pour une infection de l’oreille moyenne banale.
- N’importe quel type de doléance d’oreille combinée avec n’importe quel type de sensation vertigineuse diagnostiquée comme « infection de l’oreille interne ». On doit garder à l’esprit que les « compartiments » externe et moyen de l’oreille sont séparés de l’oreille interne et que leurs atteintes provoquent rarement un vertige vrai. Le fait de s’être familiarisé avec les chapitres cliniques, en particulier le 7 et le 8, peut donner au lecteur une bonne connaissance des causes des vrais vertiges d’origine labyrinthique.
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