Nourriture et cœur, une histoire d’amour
Les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de mortalité dans les pays industrialisés. Après avoir été longtemps un problème de riches, l’athérosclérose (sclérose de la paroi artérielle) touche largement les couches défavorisées des pays développés, comme la population des pays en voie de développement.
Les facteurs de risque sont bien connus (hypercholestérolémie, hypertension, tabagisme, diabète, obésité, inactivité physique). L’alimentation est de toute évidence un facteur déterminant pour la prévention de ces maladies. D’ailleurs, c’est pour cette pathologie que les études de prévention nutritionnelle ont été les plus approfondies. Le succès de cette prévention a été révélé par l’efficacité des régimes méditerranéens et présenté initialement comme un « paradoxe français ». De quoi s’agit-il : malgré une forte consommation de matières grasses, une partie de la population française était mieux protégée des pathologies cardio-vasculaires que les peuples du nord de l’Europe ou les Américains. Curieusement dans un premier temps, l’accent fut mis sur l’efficacité de la consommation de vin rouge et d’huile d’olive plutôt que sur celle des fruits et légumes. En fait, les facteurs de protection impliqués sont nombreux (fibres alimentaires, oméga-3, antioxydants, phytomicronutriments, etc.), et les diverses populations du Bassin méditerranéen en bénéficient. Le respect de la pyramide alimentaire de type méditerranéen permet de retarder les accidents coronaires vers les phases les plus avancées du vieillissement. Ce modèle d’alimentation utilise une très grande diversité de produits végétaux, relativement peu de viandes ; la consommation de poissons est plutôt élevée, l’apport en acides gras est équilibré, et les apports globaux en micronutriments sont abondants et diversifiés. Il est évidemment possible de s’appuyer sur ce type d’alimentation ou d’autres modèles tout aussi protecteurs, en Asie par exemple, pour l’adapter aux ressources alimentaires disponibles dans les diverses régions et généraliser ainsi une prévention nutritionnelle efficace. Il est évident que des modèles de prévention peuvent être élaborés avec des ressources alimentaires bien différentes ; l’huile d’olive, le vin, les poissons ne sont pas en soi indispensables à la prévention dans la mesure où un ensemble d’autres produits peut fournir une gamme similaire de facteurs de protection. (Il vaut mieux, par prudence, ne pas négliger la consommation de poissons pour se protéger du risque cardio-vasculaire.) Il est important de bien comprendre les mécanismes du développement de l’athérosclérose afin de les contrer au mieux par des mesures nutritionnelles appropriées.
De très nombreuses études ont cherché à mettre en lumière les mécanismes sous-jacents de l’évolution des maladies cardio- et cérébro-vasculaires. Historiquement, les recherches ont été centrées sur le rôle des acides gras et du cholestérol. La théorie lipidique a permis de mettre en évidence le rôle athérogène des acides gras saturés joints au cholestérol, engendrant des dérives vers une phobie du cholestérol alimentaire alors que ce composé est largement synthétisé par l’organisme. En opposition à cette dérive, certains acteurs de la santé, encouragés par les lobbies, en arrivent à marginaliser des mesures diététiques de base pourtant efficaces contre le risque de surconsommation de produits animaux riches en graisses saturées ou en cholestérol. Des conseils diététiques de modération sont d’autant plus efficaces qu’ils sont relayés par des recommandations positives sur l’apport d’huiles végétales pour équilibrer la nature des acides gras et la consommation de produits végétaux riches en fibres indispensables à l’élimination du cholestérol.
À l’exception de quelques cas d’hypercholestérolémie d’origine génétique, il est relativement facile de contrôler la cholestérolémie, de disposer d’une répartition équilibrée du cholestérol dans les lipoprotéines par une alimentation de type méditerranéen ou qui peut être assimilée à ce modèle. Manger en abondance des fruits et légumes, consommer du pain complet plutôt que du pain blanc, cuisiner avec des huiles végétales sélectionnées pour l’équilibre des acides gras et l’apport en micronutriments (huiles vierges), modérer la consommation de sucres et de produits animaux riches en acides gras saturés, ne constitue pas une ligne de conduite alimentaire bien difficile ou compliquée. Pourtant une approche médicamenteuse s’est largement développée sur le principe un peu simple qu’il était plus facile et plus sûr d’intervenir par la pharmacologie plutôt que par la nutrition. On oublie simplement dans ce raisonnement que la nutrition préventive résout bien d’autres problèmes que l’homéostasie du cholestérol. Même si la nature du cholestérol circulant intervient dans les dépôts lipidiques présents sur la paroi de certaines artères, cela ne suffit pas à enclencher le processus pathologique aboutissant aux accidents circulatoires.
Une autre théorie complémentaire de la théorie lipidique a attribué un rôle clé à l’oxydation de certaines lipoprotéines qui a lieu au sein de la paroi artérielle lorsqu’elle est le siège d’une production d’espèces oxygénées réactives. L’altération des acides gras insaturés analogue au rancissement des graisses (intitulé peroxydation) joue effectivement un rôle très dommageable pour la paroi artérielle. Ce processus contribue à mobiliser certains types de cellules sanguines afin qu’elles jouent un rôle d’éboueur vis-à-vis des lipoprotéines altérées riches en cholestérol. Cette voie d’élimination des lipoprotéines oxydées revêt un rôle déterminant dans la formation de la plaque d’athérome. Ces peroxydations sont fortement favorisées par le tabagisme et/ou le manque d’antioxydants, cependant la simple administration médicamenteuse d’antioxydants ne suffit pas à assurer une bonne prévention des maladies cardio-vasculaires.
Patiemment les chercheurs ont élaboré une théorie plus globale qui permet de mieux relier l’étiologie des pathologies cardio-vasculaires aux modes alimentaires. D’après les théories actuelles, ces pathologies correspondent à un dysfonctionnement global de la paroi (endothéliale) des vaisseaux en relation avec la complexité des éléments du système circulatoire. Les lipides ingérés sont susceptibles d’agresser l’endothélium vasculaire, or, dans une journée, les périodes d’absorption lipidique sont plus longues que celles où nous sommes à jeun. Finalement, pour protéger la paroi des vaisseaux, pour prévenir à la fois les peroxydations lipidiques, les processus inflammatoires et diverses dysfonctions endothéliales, l’apport de substrats énergétiques en glucose, en acides gras, en certains acides aminés doit être équilibré et accompagné d’un bon environnement de minéraux et de micronutriments protecteurs.
Il est important aussi d’agir sur les facteurs nutritionnels susceptibles de prévenir la thrombose pour éviter la formation des caillots sanguins à l’origine des accidents circulatoires. Un rôle particulièrement protecteur est attribué aux acides gras à très longue chaîne présents dans la chair des poissons gras pour prévenir les infarctus du myocarde et les risques de survenue de mort subite par troubles du rythme cardiaque.
Progressivement le développement des connaissances scientifiques a donc permis d’avoir une vision beaucoup plus intégrée des liens entre nutrition et pathologie cardio-vasculaire. La prévention de ces pathologies implique la quasi-totalité des facteurs nutritionnels même si certains d’entre eux agissent plus indirectement sur la fonction endothéliale. Dans ces conditions, il est permis d’émettre quelques doutes sur la portée de la gestion de la santé par une approche principalement centrée sur la pharmacologie trop éloignée de la maîtrise des facteurs nutritionnels. Il est même surprenant de constater que des médicaments anticholestérol (de la famille des statines) peuvent être distribués sans preuve avérée d’hypercholestérolémie.
Il est remarquable d’observer à quel point l’alimentation présente deux facettes par rapport au bon fonctionnement vasculaire. D’un côté, une alimentation riche en acides gras saturés et indigente en facteurs de protection peut être notre pire ennemie, contribuer à abréger prématurément la vie d’une personne par l’accident cardiaque, lui faire perdre son autonomie, sa raison par l’accident cérébro-vasculaire ; d’un autre côté, une bonne alimentation est indispensable à la protection de nos vaisseaux sanguins, à la dynamique du cœur et des autres organes induisant ainsi un bien-être extraordinaire, une envie de bouger, de vivre, un bon état de forme. La diversité des facteurs de protection vasculaire présents dans les aliments est étonnante, et il semble que l’homme s’acharne à mal se nourrir si l’on en juge par l’incidence si élevée des pathologies vasculaires.
Les produits végétaux sont particulièrement abondants en facteurs de protection. Dans les fruits et légumes, par exemple, il semble que la quasi-totalité de leurs composés exerce des effets bénéfiques : les fibres alimentaires facilitent l’élimination du cholestérol, le potassium est un élément clé pour prévenir l’hypertension, certaines vitamines comme l’acide folique diminuent la teneur d’un facteur athérogène (homocystéine), les antioxydants participent à la prévention des peroxydations lipidiques, d’autres micronutriments protègent directement l’endothélium vasculaire, favorisent la vasodilatation des vaisseaux. Ces aliments permettent aussi de bien réguler le métabolisme énergétique, ce qui est favorable à la protection cardio-vasculaire. Les fruits et légumes n’ont pas le monopole de la protection, et bien d’autres aliments d’origine végétale ou animale sont de véritables amis du cœur. Il est difficile d’imaginer par exemple à quel point les légumes secs sont des aliments hypocholestérolémiants et efficaces pour la couverture des besoins nutritionnels. Il y a aussi une belle logique de protection dans la chaîne alimentaire : les céréales pourvues de la complexité de leurs fibres, minéraux et micronutriments sont plus protectrices que les céréales raffinées, les huiles vierges meilleures que les huiles raffinées, les graisses des animaux terrestres moins athérogènes lorsque ceux-ci ont bénéficié d’une alimentation naturelle de qualité, la chair des poissons sauvages bien plus bénéfique que celle des poissons d’élevage nourris avec des succédanés de nourriture marine.