Les utilisateurs Décrivent l'effet de la substance
Nous nous intéresserons d’abord aux récits directs des utilisateurs, récits écrits, le plus souvent, à la première personne et qui se donnent i m ni ne le compte rendu d’un effet constaté subjectivement par l’auteur du récit lui-même. En nous penchant sur ces textes, nous allons retrouver la trace laissée par les modifications qu’induit la substance. Nous allons retrouver, comme aurait pu dire Balzac, ce qui de la substance est passée dans l’encre. Bien entendu, ce que nous lisons est li un d’être l’image directe, dans une conscience humaine, de l’effet de la substance (même si ces textes se donnent assez volontiers comme n In). Il s’agit, à chaque fois, de compositions complexes dans lesquelles la situation particulière de l’auteur, ses intérêts spécifiques, la mellification qu’a pour lui le récit qu’il fait (est-ce à la demande d’un lier,s ou bien de sa propre initiative, est-ce pour démontrer une thèse « ni bien pour raconter une histoire, etc.), a son importance, même si on n’a, le plus souvent, accès qu’à une partie de ces informations. Commençons par examiner les récits qui peuvent être trouvés dans les éludes scientifiques ou médicales sur les amphétamines. Nous nous tournerons ensuite vers des textes plus personnels. Enfin, nous examinerons les textes de commentaire sur les amphétamines.
Les récits tirés d’études «scientifiques»
Nous examinons donc, tout d’abord, les récits tirés d’études « scientifiques ». Nous mettons des guillemets, ici, de part et d’autre du mot « scientifique », car la nature des textes dont nous allons parler est en fait assez diverse et hétérogène. On ne peut guère les faire figurer sous un concept unifié, comme s’ils répondaient à des critères bien définis ou si les principes qui en ont guidé l’élaboration présentaient une certaine unité méthodologique. Ces textes ont toutefois en commun le fait de reprendre, de façon plus ou moins détaillée, les récits d’impressions d’utilisateurs de ces substances intentionnellement provoqués par un expérimentateur dans le but d’en préciser les propriétés. Les récits sont souvent assez sommaires et généralement accompagnés des commentaires de ceux qui sont à l’origine de l’étude, lesquels ont, par conséquent, vraisemblablement sélectionné les récits qui leur paraissaient les plus propres à démontrer les thèses qu’ils voulaient défendre. De sorte que les thèses en question sont comme des résumés des récits, et les récits, des illustrations des thèses.
C’est dans l’article de M. H. Nathanson, un médecin de Los Angeles qui entreprend la première étude scientifique (conforme au standard du test en double aveugle) sur l’effet des amphétamines, qu’on trouve quelques-uns des tout premiers récits recueillis auprès de personnes ayant absorbé des amphétamines. Le Dr Nathanson (un ami de Gordon Ailes à qui ce dernier a fourni des préparations d’amphétamines) donne des comprimés de Benzédrine à 55 volontaires et des comprimés identiques ne contenant aucun produit actif (placebo) à 25 personnes. Il les interroge ensuite pour recueillir leurs impressions. Aucune ambiguïté n’est possible en ce qui concerne l’interprétation des résultats. Si les personnes qui ont reçu le placebo ne fournissent que des récits assez sobres et mesurés, celles qui ont reçu le produit actif déclarent avoir ressenti une impression importante ou moyenne (pour 47 des 55 participants au test). Ils soulignent, le plus souvent, la vive impression de bien-être qu’ils ont éprouvée, et ils décrivent un sentiment d’exaltation : «Je me suis senti bien, rien ne me semblait impossible », « mon esprit était comme surélevé tout au long de la journée », « mon esprit était comme tonique, pétillant», «j’ai pu organiser mon travail avec facilité et efficacité », « mon esprit fut limpide, tout au long du jour et même la nuit ». L’effet de l’amphétamine, se demande Nathanson, serait-il de provoquer une sorte d’hubris chimique ? Et il souligne son étonnement face à la teneur presque uniformément positive des impressions qu’il enregistre.
Poul Bahnsen, à la même époque, au Danemark, propose des amphétamines à une centaine de sujets normaux à qui il demande de remplir un questionnaire la veille de inexpérience, puis un autre le lendemain. Il se déclare impressionné de constater que, dans une grande majorité de questionnaires, les personnes font des remarques similaires : le traitement accroît leur désir de travailler en général. Il leur donne le sentiment qu’il est plus facile de commencer. Les personnes disent ressentir un sentiment général de bien-être, de bonne humeur, de loquacité, d’excitation et d’euphorie. Très peu d’entre elles disent avoir éprouvé un sentiment négatif comme de l’anxiété, par exemple. Quelques-unes disent avoir ressenti des symptômes physiques : tension musculaire, mal de tête, diminution de l’appétit. Presque toutes considèrent l’expérience comme plaisante et souhaitent reprendre des amphétamines.
Au milieu des années 1950, des expériences conduites par Louis Lasagna, John M. von Felsinger et Henry K. Beecher sur diverses substances psychotropes (opiacés et amphétamines) concluront que seules ces dernières sont capables « d’accroître le fonctionnement cérébral ». Des témoignages, à cette occasion encore, seront recueillis : « Soudain, mon corps se sentit léger, et je me sentais, moi, heureux. Une substance délicieuse. » Ou encore :
Un sentiment général de bien-être s’est emparé de moi, je me sentais capable de réaliser n’importe quelle tâche. Et je me sentais confiant en mes capacités. J’ai commencé à ressentir un profond sentiment de force, de contrôle de moi-même, de confiance, et même de pouvoir. Je ressentais les mêmes émotions que lorsque je joue du piano dans mes meilleurs moments. Un sentiment d’euphorie et de satisfaction, qui n’est pas sans rappeler les sentiments qui accompagnent la satisfaction sexuelle. Tous les sentiments d’inadéquation et de dépression que j’éprouve généralement paraissaient supprimés et même assez ridicules.
Et les auteurs de l’étude commenteront ces résultats en soulignant que même si les amphétamines sont réputées produire un sentiment d’euphorie, ils furent surpris de constater à quel point l’expression de ce sentiment et le mot même d’euphorie revenaient régulièrement dans les réponses aux questionnaires. Et c’est bien là ce que nous pouvons retenir de ces témoignages. Même si la substance agit chez chacun de façon différente, même si, en d’autres termes, sa pharmacologie (comme celle de tous les psychotropes) est éminemment variable, certains termes reviennent et semblent dessiner les traits d’une figure centrale qui se déploie autour de la notion d’euphorie.