Les risques NRBC
Avec le plan blanc, tout l’hôpital se mobilise et se reconfigure. Il entre dans une phase critique où, en quelques dizaines de minutes, il doit modifier complètement son fonctionnement pour faire face à un afflux de victimes. Cet afflux de victimes prend une dimension très particulière quand on rentre dans le cadre des risques NRBC. Ce sigle signifie « nucléaires-radiologiques, biologiques et chimiques ». C’est une triade infernale qui peut provoquer de très nombreuses victimes. Bien souvent, lorsqu’elle est évoquée dans la presse ou les médias, c’est de manière inappropriée et sans tenir compte des spécificités de ces différents problèmes.
NRBC, c’était avant tout des armes utilisées par des militaires dans des guerres. Mais ces armes, si elles sont utilisées à faible concentration sur une population civile, simplement en répandant des produits toxiques ou en créant une explosion avec des matières contaminantes, produisent de très nombreuses victimes. Il ne s’agit pas toujours de victimes graves. De ce point de vue, l’appellation d’origine anglo-saxonne d’armes de destruction mas-sive (weapons of mass destruction) n’est absolument pas justifiée. Elles ne détruisent pas mais désorganisent en faisant de nombreuses victimes et en semant un climat de grande panique simplement parce qu’elles frappent une population qui n’est pas préparée.
Dans ce contexte, les victimes sont souvent, pour l’hôpital, le premier signe annonciateur d’un tel phénomène. Elles vont se concentrer très vite sur les endroits où on peut les prendre en charge. Très clairement, la qualité de cette prise en charge est l’élément essentiel de la réponse du système. Si on ne sait pas prendre en charge les victimes, il y a un vrai risque pour elles (graves séquelles, voire mort), alors que, si on sait s’organiser et les soigner, on a toutes les chances d’en sauver le plus grand nombre. On voit bien que l’enjeu organisationnel peut devenir vital.
Pour bien se représenter ce qui peut se produire dans une telle situation, il suffit de se reporter à la figure 3 qui représente les afflux de victimes dans les hôpitaux selon les types de problèmes rencontrés. La courbe en pointillé indique l’afflux de victimes à l’hôpital lorsqu’on est face à un phénomène d’intoxication aiguë par un composé chimique. Dans un laps de temps relativement court (qui n’est pas indiqué parce qu’il dépend de l’agent chimique en cause), de très nombreuses victimes vont se précipiter dans un certain nombre de services d’urgences. Une pression énorme est exercée sur ce service avec, pendant quelques heures, un afflux majeur. C’est très différent lorsqu’il s’agit d’un modèle épidémique, par exemple d’une contamination bactériologique. Au départ, on ne dénombre que quelques cas. Le problème n’est pas alors de gérer une pression soudaine et importante, mais de repérer le phénomène pour agir et si possible avant qu’il ne prenne trop d’ampleur, c’est-à-dire avant qu’un trop grand nombre de personnes en soient victimes. Autrement dit, si vous ne parvenez pas à identifier le problème, si vous ne le voyez pas, si vous ne pouvez pas l’arrêter et s’il s’agit d’une maladie contagieuse, il n’y a pas de limite, ça peut aller très loin, vers des phénomènes très difficilement contrôlables en termes de santé.
L’hôpital est le siège d’un impact fort. Cet impact fort dépend de plusieurs facteurs. Certains ne dépendent pas seulement de l’hôpital dans ces circonstances, mais aussi par exemple de la rapidité de la spécificité de l’alerte, de la prise en charge préhospitalière, etc. On peut aussi envisager la possibilité de renforts : si l’hôpital reçoit de nombreuses victimes, on peut non seulement utiliser le personnel, mais aussi projeter devant l’hôpital du matériel (de décontamination dans le cas d’intoxication chimique) ou des équipes de réanimation qui viennent assister cet hôpital à l’endroit où les victimes se concentrent. Les facteurs de l’hôpital lui-même jouent un rôle dans la gestion de ce phénomène et dans l’impact de ce dernier. Si l’hôpital est à la porte de la catastrophe, il peut être pris de court. Si l’afflux de victimes dépasse de dix fois les capacités de l’hôpital, la situation est évidemment d’autant plus grave. La préparation opérationnelle des équipes est un facteur qui, lui, joue en notre faveur, même si la circonstance dépasse largement ce qui était envisagé.
Dans des circonstances NRBC, c’est probablement le nombre de victimes qui fait la différence par rapport aux situations évoquées précédemment. Mais il y existe un risque supplémentaire majeur pour l’organisation et la compréhension du public. Il y a dans un phénomène NRBC des victimes primaires : des gens viennent à l’hôpital parce qu’ils se sont retrouvés pris dans cet événement, mais ces victimes peuvent elles-mêmes devenir un agent vulnérant, contaminant et, de ce fait, engendrer des victimes secondaires parmi les personnels de secours et de santé. Pour prendre en charge les victimes, il faut aussi que l’équipe soignante sache se protéger. Un attentat ou un accident NRBC peut transformer l’hôpital en véritable cible. On peut même se demander dans le contexte du terrorisme si ce n’est pas l’objectif : toucher au cœur notre société, toucher le système de santé lui-même, c’est- à-dire la possibilité de prise en charge et de réaction.
Comment organiser une réponse adéquate ? Il y a une double composante, d’une part médicale (il faut des connaissances particulières dans ce contexte nucléaire, radiologique, chimique) et d’autre part organisationnelle (organiser l’hôpital pour faire face à quelque chose qui peut contaminer et incapaciter les équipes soignantes).
Dans ce cadre, on doit déterminer des niveaux de compétence : tout le monde ne peut pas intervenir de la même façon. Chaque établissement hospitalier a la mission, à l’heure actuelle, de déterminer quel peut être son rôle, spécialisé ou non, dans la prise en charge des victimes. Il faut déterminer les services désignés pour accueillir les victimes et la mise en place de procédures spécifiques. Tout cela est envisagé non seulement au niveau des établissements hospitaliers, mais également au niveau des départements. L’ensemble des hôpitaux et des structures de soins d’un département, sous le contrôle du préfet pendant la crise, se retrouve à mettre en place un schéma organisationnel qui va permettre de répartir les victimes en utilisant au mieux les ressources de chaque établissement. Par exemple, on ne demandera pas à une petite clinique spécialisée dans l’ophtalmologie de prendre en charge les réanimations ; en revanche, elle pourra avoir un rôle adapté à ses compétences et à ses structures.
Cette organisation dépasse même le cadre du département pour s’étendre jusqu’à la zone de défense. Les zones de défense sont des fragments du territoire national qui peuvent devenir, en cas de nécessité, complètement autonomes. Des préfets de zone de défense désignent, avec les professionnels, les médecins des SAMU, les DASS, les ARH, les hôpitaux qui vont prendre en charge les victimes et ceux qui vont organiser le réseau lors d’un problème nucléaire, chimique ou biologique.
le risque chimique:
Le risque chimique est omniprésent. Des camions de matières dangereuses, il en passe tous les jours sur le périphérique, certains même traversent Paris, il y a des usines dans les départements de la petite couronne, certaines grandes villes françaises comme Lyon ont des pôles chimiques en plein centre-ville… Ce n’est donc absolument pas un risque hypothétique, et l’on peut avoir une même réponse pour l’attentat terroriste et pour l’accident industriel. Cela a un gros avantage puisque cela permet une communauté d’actions, de matériel, de protocole pour la prise en charge des patients.
Pour avoir une idée de la dimension que peut prendre un tel phénomène, il faut se remémorer l’accident de Bhopal, en décembre 1984. L’explosion de cette usine chimique est survenue à la suite d’une petite erreur de manipulation qui a entraîné l’explosion d’une cuve. Un nuage extrêmement toxique d’isocyanate de méthyle va être projeté dans l’atmosphère (42 tonnes vaporisées en quelques minutes) et se répandre sur la ville, laquelle est surpeuplée et peu développée. L’effet sur la population est catastrophique. De très nombreuses victimes dans les rues se précipitent en suffoquant vers le seul hôpital de la ville, un hôpital mal équipé avec peu de matériel, de personnel médical, etc. Aucune prise en charge préhospitalière n’est mise en place. De nombreuses personnes vont mourir à défaut de soins.
Les professionnels de la médecine de catastrophe ont tiré de l’accident de Bhopal des enseignements importants en ce qui concerne la prévention, qui n’est pas un enseignement médical mais néanmoins le plus important, et quant à l’organisation médicale. L’organisation médicale face à un risque toxique aussi violent est fondamentale car la lourdeur du bilan va être la conséquence directe de l’absence de prise en charge, notamment des grandes détresses vitales. Dans le cas de Bhopal, c’était la suffocation.
Un autre exemple beaucoup plus récent peut être donné. Il s’agit de l’attentat dans le métro de Tokyo au gaz sarin, en 1995. Le sarin sous forme liquide a été vaporisé à 8 heures du matin, à une heure de pointe, et a provoqué de très nombreuses intoxications. Cet attentat a fait 12 morts, et près de 5 000 victimes, dont un millier seront hospitalisées. Le lieu où s’est déroulé l’attentat est important : c’est un grand centre, un grand nœud ferroviaire qui a été touché. L’attaque a lieu à 7 h 55. Dans les minutes qui suivirent, de nombreuses victimes ont afflué dans les hôpitaux et notamment à l’hôpital Saint-Luc, qui est un hôpital moderne, équipé de 700 lits. Ces victimes sont arrivées à pied aux urgences, seules, en pleurant et en se couvrant les yeux. Quelques minutes plus tard, arrivèrent des ambulances avec des victimes plus graves, allongées. En une heure, les urgences de l’hôpital Saint- Luc recueillent 500 victimes, dont la majorité venues par leurs propres moyens. Il n’y eut pas, ou peu, de décontamination à l’extérieur de l’hôpital. L’attentat et le sarin ont été identifiés très tardivement, on n’a pas pu utiliser les médicaments qui pouvaient endiguer l’intoxication. Personne ne savait qu’il fallait se protéger des victimes. Par conséquent, le personnel du service d’accueil a été contaminé en donnant les premiers soins. Dix minutes plus tard, l’ensemble du personnel d’accueil était devenu incapable d’accomplir sa fonction. Ces gens ne sont pas morts, mais ils ont été malades durant plusieurs jours, incapables de prendre en charge les victimes plus touchées.
Les messages de Tokyo ont guidé notre action. Dans un pays moderne où la qualité des soins est importante, comme c’est normalement le cas au Japon, où l’accès aux soins est à peu près identique à celui qu’on a en France, les victimes se sont précipitées vers un hôpital qui n’était pas prêt pour les prendre en charge. Ces victimes ont contaminé l’hôpital, les hôpitaux ont été submergés dans l’heure qui a suivi.
La réponse au risque chimique est donc vraiment la plus difficile à anticiper. C’est ce qui peut arriver de plus complexe, de plus brutal et probablement toucher le plus de monde. Il faut donc réagir sur le site de la catastrophe, s’organiser pour prendre en charge les victimes au plus près, il faut utiliser les hôpitaux qui ont l’expertise et qui donc peuvent se protéger et disposer des médicaments et des moyens qui permettent de détecter le phénomène ; il faut également réfléchir au réseau entre ces hôpitaux pour que toutes les structures puissent participer.
En termes pratiques, cela signifie que, sur le terrain, une zone d’exclusion doit être balisée. Les gens devront être pris en charge à l’intérieur de cette zone. Des chaînes de décontamination des victimes devront être mises en place, afin d’éradiquer le risque toxique et faire en sorte que les victimes qui arrivent à l’hôpital ne soient plus contaminantes. Conjointement, on doit préparer l’hôpital à l’accueil. Le personnel médical doit par exemple revêtir un équipement spécifique prévu pour ce type de contamination. Cela signifie aussi qu’ils doivent pouvoir accomplir les gestes classiques de soins avec cet équipement. D’une manière générale, l’hôpital dans son ensemble doit acquérir une culture « militaire » et l’adapter à sa culture médicale.
le risque biologique:
Un autre risque est le risque biologique. La France s’est dotée du plan Biotox. Sa traduction concrète au niveau des hôpitaux est la suivante : de très nombreux agents peuvent être utilisés pour créer une épidémie artificielle. Certains ont déjà connu une médiatisation extrême et ont malheureusement fait des victimes. La réponse médicale dans ce contexte doit là aussi prendre en compte le fait que les victimes peuvent propager le phénomène et la catastrophe. La progression se fait de façon assez lente au départ pour ensuite devenir explosive. La réponse à ce risque fait appel à des principes simples. Il s’agit d’hospitaliser les premières victimes dans des hôpitaux qui savent les prendre en charge et reconnaître l’aspect exceptionnel de la maladie qui les touche, et donc qui peuvent très rapidement endiguer l’augmentation des victimes dans les jours qui suivent.
Il faut aussi se protéger. Les tenues qui seront revêtues sont plus proches de celles que l’on rencontre dans les services de réanimation et ceux de maladies infectieuses. De ce point de vue, le personnel médical et soignant retrouve une culture qu’il connaît et maîtrise. Cette protection est essentielle car le personnel peut également devenir le vecteur de propagation de l’infection.
Dans ce contexte, ce qui est problématique, c’est la gestion de la montée en puissance. On n’assiste pas à un afflux initial important, mais à la prise en charge de quelques patients hospitalisés) mis à l’isolement dans des services spécialisés. Puis, avec l’augmentation du nombre de victimes, un certain nombre de services (services de maladies infectieuses dans ce contexte) devront être recrutés, puis tous les hôpitaux qui s’orientent avec le plan blanc vers la prise en charge de ces victimes et, enfin, si nécessaire, tous les hôpitaux de la zone de défense. Le SAMU joue un rôle important car les premiers cas vont pouvoir être repérés par téléphone. Si les premiers cas sont rapidement repérés, ils seront transportés avec un maximum de sécurité et vers le bon hôpital, c’est-à- dire l’hôpital référent, celui qui a l’expertise, qui va analyser le cas et donner à la fois les meilleures chances au patient et également les meilleures chances pour bloquer l’épidémie.
Le charbon (ou anthrax, en anglais) rentre dans cette catégorie d’agents infectieux biologiques. Cette maladie, qui touche la peau et surtout le poumon, est une pneumonie mortelle. C’est ce qui s’est produit aux États-Unis où des lettres pleines de bacilles d’anthrax ont été envoyées et ont provoqué la mort de plusieurs personnes. En France, des lettres suspectes ont dû être traitées, mais aucun bacille d’anthrax n’a été découvert. En revanche, cela nous a fourni un exercice grandeur nature. On a pu se rendre compte de ce que pourrait être une infection et de ce que pourrait être la prise en charge dans nos services. Plusieurs leçons en ont été tirées.
Un autre exemple significatif est celui de l’épidémie du SRAS. Il s’agit d’une épidémie naturelle, mais qui se rapproche de manière étonnante de ce qui pourrait se produire par exemple lors d’un attentat biologique. La France a joué un rôle très particulier dans cette épidémie. Au cours des premiers jours, un appel au secours a été envoyé de l’hôpital français d’Hanoi et le gouvernement français y a envoyé une mission constituée de médecins. Nos équipes sont restées plusieurs semaines dans cet hôpital, enfermées avec les patients, à mettre au point un traitement qui a été repris ensuite par l’ensemble des structures qui ont reçu ces patients. Très rapidement en France, on était informé du problème et surtout de la contagiosité et du fait que les premières victimes, après les premiers patients, étaient les médecins et les infirmières. Ceci a conduit à une réponse médicale tout à fait particulière, assez voisine de celle qu’on aurait utilisée en cas d’attentat épidémique.
On a donc utilisé ce plan avec un contrôle des admissions des patients suspects extrêmement sévère, c’est-à-dire qu’on a amené les gens à l’isolement dans les hôpitaux qui étaient les hôpitaux référents pour ce risque. Ils n’ont pas été amenés n’importe comment, par n’importe quelle ambulance, mais par des gens qui connaissaient le risque, qui étaient protégés en conséquence et qui ont organisé les transferts dans les meilleures conditions possibles. Cela était rassurant pour les victimes qui comprenaient parfaitement qu’elles étaient prises en charge par un dispositif efficace et extrêmement sûr. Cela a certainement joué un rôle majeur dans le contrôle de l’épidémie sur le territoire français.
À Toronto, l’organisation médicale a été différente et les victimes ont été plus nombreuses. Les Canadiens ne possèdent pas de SAMU, ils n’avaient pas d’hôpital référent. Ils ont donc réparti les victimes dans tous les hôpitaux. La conséquence a été l’augmentation du nombre de malades dans tous les hôpitaux et la contamination des médecins et des infirmières. On voit bien que, dans un pays dont les structures médicales sont très développées, la moindre erreur ou le moindre retard dans les réactions peut entraîner une augmentation importante de l’épidémie. La marge de sécurité est extrêmement faible. Le risque biologique nécessite une organisation très spéciale. Le seul avantage de ce risque, c’est qu’il est proche de la connaissance et de la culture médicale.
le risque nucléaire:
Le risque nucléaire et radiologique est probablement l’un des risques qui effraie le plus. Le cas que nous allons étudier est celui d’une dirty bomb, c’est-à-dire d’un explosif standard autour duquel sont placées des matières radiocontaminantes, des déchets nucléaires ou éventuellement quelque chose qui pourrait provoquer une explosion nucléaire si on atteignait la masse critique de réaction de fission nucléaire. On peut aussi exposer les gens à une source de radiothérapie provoquant des rayons extrêmement forts. Évidemment, le cas d’une minibombe atomique est envisageable et provoquerait des dégâts absolument faramineux. Néanmoins, la dirty bomb représente
aujourd’hui un risque réel car elle est devenue facile à réaliser.
Une action terroriste qui utiliserait une telle bombe provoquerait non seulement une explosion qui blesserait des individus, mais en outre une matière contaminante se répandrait, particulièrement dangereuse dans le cas d’une contamination par voie interne. Tant que la matière contaminante reste à l’extérieur de l’organisme, on peut l’enlever, notamment au moyen d’une douche. Dès lors qu’elle vient à se fixer sur les organes, elle va provoquer une activité nucléaire dans l’organisme conduisant à des lésions internes importantes.
La réponse à ce type de risque consiste d’abord à tout faire pour éviter la contamination. Les gens peuvent être blessés, mais ce qui rend la situation plus critique et létale, c’est la contamination.
On met donc en place sur le terrain des moyens pour limiter ce phénomène. On utilise tout un système de détection des taux de radioactivité. On contrôle la zone d’explosion, on monte des douches gonflables qui permettront de décontaminer les gens, et on traite au plus vite dans les hôpitaux les mieux équipés les urgences les plus graves. L’hôpital jouera, comme dans le risque chimique, un rôle important dans la décontamination des victimes avec ici une toxicité qui est bien moindre puisque la radioactivité elle-même ne donnera des signes chez ces patients que des jours, des semaines, voire des mois après. À l’inverse du risque chimique, le risque nucléaire n’est pas un risque vital immédiat.
Décontaminer les victimes peut être extrêmement simple dans ce contexte. Ainsi, par exemple, on va déshabiller en utilisant une certaine technique, en évitant que les poussières radioactives ne rentrent dans ses voies aériennes, donc en mettant un masque à la victime. Le simple fait d’ôter les vêtements élimine 90 % de la radioactivité externe. Si en plus on dispose d’une douchette proche avec un peu d’eau et de savon, on supprime encore 8 % de contamination. Les moyens sont à la fois simples et efficaces.
Il est néanmoins nécessaire de se protéger contre les sources nucléaires, et la meilleure protection est le plastique. On va donc, par exemple, couvrir de plastique les pièces de soins ou encore les brancards. Il en va de même pour le personnel médical dont la tenue sera plastifiée.
On le voit, le risque nucléaire, psychologiquement effrayant, est en réalité le plus facile à gérer pour les services d’urgences. Il n’a pas beaucoup de spécificité thérapeutique. Les moyens de décontamination sont simples (la protection peut être rapidement efficace à l’hôpital ; ce n’est pas tout à fait vrai sur le terrain où les pompiers doivent se protéger un peu différemment). Il n’y a pas de risque vital immédiat. Là encore, le plan prévoit un volet précis expliquant comment ce type de victimes doit être pris en charge à l’hôpital, quels sont les matériels dont on a besoin, quels sont les médicaments et où les trouver.
la prise en charge psychologique:
Toute catastrophe, dès lors qu’on y est impliqué, provoque un stress énorme. Quand en plus on vous explique qu’il y a un risque de contamination, que l’on voit apparaître le personnel médical ‘dans des tenues spécifiques (masques, tenues de protection, etc.), cela crée une panique supplémentaire. Il est donc important de pouvoir prendre en charge psychologiquement l’ensemble des individus en leur expliquant la nature du risque et la réalité du danger auquel ils sont confrontés (par exemple, dans le risque nucléaire, si on ne respire pas, qu’on garde juste sa bavette et surtout qu’on ne va pas se traîner par terre, on ne risque quasiment rien). Il faut inciter les gens à adhérer à la prise en charge et à ses procédures spécifiques. Par exemple, il est important que la file d’attente soit organisée (et que son organisation soit acceptée par l’ensemble des personnes) afin les victimes les plus gravement touchées soient traitées en priorité. Or, dans un tel contexte, cela n’a rien d’évident et nécessite un entraînement, une prise en charge spécifique du personnel médical et paramédical.
Un deuxième point essentiel est l’information. Il est fondamental que, dans les minutes qui suivent et dès que l’on commence à comprendre ce qui se passe, on puisse utiliser les médias avec des procédures spéciales pour limiter le phénomène de panique et de rumeur. Cela sert par exemple à orienter au mieux, c’est-à-dire vers la filière qui pourra prendre en charge les personnes impliquées. Enfin, éventuellement cela permet d’inciter les gens à effectuer des mesures simples. En cas de contamination par des matières radioactives, le préfet de police de Paris demanderait à tous les gens passés à proximité du lieu de la contamination d’ôter leurs vêtements, de les mettre dans un sac et de se doucher. Pour que ce message, qui permettra de limiter considérablement les dégâts, s’il est appliqué, soit entendu, tous les moyens médiatiques pourront être utilisés.
Dans la gestion médicale des catastrophes, nous sommes en fait loin du domaine médical classique. Aussi y a-t-il un enjeu de formation majeur pour les personnels médicaux. Nous formons en France à l’heure actuelle les médecins en fonction des zones de défense et des hôpitaux, aux procédures à mettre en place dans les situations que je viens de détailler. Cette formation se déroule sur plusieurs jours et comprend des travaux pratiques et du maniement.
Le problème dans les situations de catastrophe consiste, on l’a vu, à gérer l’afflux de victimes. Il y a des limites à cette gestion, particulièrement visibles lors de la période caniculaire de l’été 2003. En l’espace de cinq jours, les hôpitaux à Paris ont reçu plus de 2 000 victimes et malheureusement beaucoup de personnes sont décédées à l’hôpital. Cette catastrophe était tout à fait inattendue. On possédait des plans qui ont été mis en œuvre, mais la réponse médicale n’était pas suffisante. L’afflux de victimes à l’hôpital était une conséquence déjà dramatique de quelque chose qui aurait dû être pris en charge préalablement, et notamment sur un dispositif social de prévention, ce que savaient nos collègues américains puisqu’ils avaient connu un phénomène similaire quelques années auparavant.
Ceci montre bien que l’organisation de l’hôpital pour répondre à l’afflux de victimes est importante, mais qu’elle n’est pas le seul problème ; des problèmes existent en amont en termes organisationnels et c’est de la cohésion de ces différents dispositifs que vient l’efficacité.
Il faut comprendre que le plan blanc n’est pas la réponse à tous les phénomènes de saturation des hôpitaux. Utiliser sans frein le plan blanc est dangereux : mobiliser tout un établissement dans un dispositif visant à prendre en charge un seul type de victimes et abandonner les autres types de soins n’est pas satisfaisant. Certains soins peuvent, par exemple, être temporairement reportés mais cela ne peut ni durer ni se répéter trop souvent. Et s’il permet de faire face à une catastrophe, il a un coût non négligeable. Il se paie cher parce qu’il désorganise durablement l’hôpital qui ensuite doit rattraper le retard. D’autre part, le déclenchement intempestif du plan blanc lui fait perdre de sa force. C’est une arme quasi absolue qui va permettre de mobiliser tout le monde, mais qui ne doit être utilisée que vraiment lorsqu’on est en face d’une catastrophe et avec parcimonie. On ne peut pas mobiliser à chaque fois de cette manière l’ensemble des personnels et des infrastructures. Il est et doit rester la réponse aiguë à un phénomène aigu, catastrophique, un phénomène de mobilisation majeure.
Ce plan blanc est en pleine évolution. À la suite de tu canicule, le législateur se penche sur le plan blanc 4e manière efficace. La loi de santé publique modifie le plan blanc. On prévoit l’extension de son domaine, des mesures plus spécifiques, des possibilités de mobilisation partielle pour éviter justement que le prix à payer par l’hôpital soit trop lourd en termes organisationnels. C’est donc un sujet loin d’être clos.
Vidéo : Les risques NRBC:
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Les risques NRBC: