Les reves
Les rêves : pensées ou hallucinations ?
Quand Aserinsky et Kleitman ont découvert pour la première fois les mouvements oculaires rapides du sommeil, il était assez naturel qu’ils les mettent en relation avec le processus du rêve. Dement examina cette thèse de la manière la plus simple et directe : il réveilla les sujets pendant qu’ils accomplissaient ces mouvements oculaires et leur demanda s’ils étaient en train de rêver. En 1957, Dement et Kleitman publièrent le premier article décrivant le rapport entre les mouvements oculaires rapides et les rêves. Leurs sujets avaient relaté clairement et en détail des rêves à la suite de cent cinquante-deux réveils sur cent quatre-vingt-onze, pendant la phase de sommeil REM. Mais, après cent soixante réveils à des stades de sommeil différents, ils n’avaient pu raconter un rêve qu’à onze reprises. Ce taux de 80 % de succès dans la tentative de se ressouvenir d’un rêve pendant la période REM fut confirmé par d’autres études. Elles conduisirent à la conclusion que les rêves ne survenaient que pendant le sommeil REM et que le ressouvenir partiel qui se produisait à la suite d’autres stades du sommeil portait sur des bribes de rêves issues de sommeils REM antérieurs, qui se matérialisaient plus tard dans des stades du sommeil voisins.
Tout le monde ne partagea pas cet avis selon lequel les rêves ne survenaient que pendant le sommeil REM. On affirma que cette relation apparente était le résultat d’une erreur méthodologique. Quand on les réveillait d’autres stades du sommeil, les sujets étaient inconsciemment amenés à répondre négativement à la question : « Avez-vous rêvé ? » Quand on posait cette question à des personnes qu’on venait de réveiller, leur réponse pouvait varier, entre autres, en fonction de la signification qu’ils attribuaient au mot « rêve ». Bien qu’on admette, en général, qu’un rêve est une sorte d’activité cognitive qui se produit pendant le sommeil, la définition de cette activité peut varier radicalement d’un individu à l’autre. Il y a ceux pour qui un rêve signifie toute activité cognitive qui se produit au
cours du sommeil, quel que soit son contenu. D’autres ne racontent un rêve que si l’activité cognitive en question inclut des événements qui diffèrent de la réalité quotidienne. Il était donc probable que ceux qui étaient réveillés au cours d’autres stades du sommeil que celui du sommeil REM niaient avoir « rêvé » parce que leur expérience ne correspondait pas à leur conception du rêve.
David Foulkes, qui travailla d’abord à l’Université de Chicago, puis à l’Université du Wyoming, fut le premier à tester cette hypothèse scientifiquement. Il reformula la question posée aux sujets ; au lieu de leur demander : « Avez-vous rêvé ? », il leur demanda : « Quelque chose vous a-t-il traversé l’esprit avant votre réveil ? » Ainsi, la réponse des sujets n’était plus limitée aux rêves. Et, en effet, les études de Foulkes et celles de chercheurs plus tardifs ont montré un bien plus haut pourcentage de réponses positives après un réveil à la suite d’un stade de sommeil autre que le stade REM, en comparaison de celui obtenu par les premières études de laboratoire qui avaient été limitées aux récits de rêves purement visuels. Quand on fit la comparaison entre les récits de sommeil REM et ceux des autres stades, il devint clair qu’il existait une différence importante dans leurs caractéristiques. Des sujets qui s’éveillaient de stades autres que le sommeil REM faisaient état, dans la plupart des cas, de pensées, de fragments de pensées ou de fragments d’idées. Ces comptes rendus différaient profondément de ceux effectués après le sommeil REM, qui comprenaient le plus souvent le développement d’une intrigue et une pléthore de détails et de sentiments. Par exemple, un étudiant qui passa un grand nombre de nuits dans le Technion Sleep Laboratory fit le rapport suivant, en s’éveillant d’un sommeil stade 2 au début de la nuit : « La pensée de l’examen de maths que nous avons eu hier m’a traversé l’esprit. » C’est un sujet tout à fait identique qui apparaît dans le rapport effectué par un autre étudiant qui s’éveillait de son troisième sommeil REM : « J’ai rêvé que j’étais assis dans le bâtiment Ullman et que j’étudiais des maths. Je connaissais le professeur, mais j’étais incapable de reconnaître aucune des autres personnes qui se trouvaient autour de moi. Ma calculatrice de poche était placée devant moi sur le bureau, et, je ne sais pour quelle raison, j’étais en train d’étaler dessus de la mayonnaise et du ketchup quand vous m’avez réveillé. »
Le grand nombre de comptes rendus qui étaient faits après un réveil d’un autre stade du sommeil que le stade REM fut considéré
par certains chercheurs comme une preuve que le courant de la conscience ne cesse jamais. Le cerveau produit une activité cogni- tive pendant tous les stades du sommeil et de la veille. La raison pour laquelle les comptes rendus qui suivaient le réveil d’un sommeil REM étaient plus riches dans leur intrigue et dans leurs détails que ceux effectués après un sommeil stade 2, affirmaient- ils, est que la conservation des activités cognitives dépend de l’excitation du cortex. À de plus hauts degrés d’excitation, comme dans le sommeil REM, correspondraient alors des comptes rendus beaucoup plus détaillés.
Une autre forme d’activité cognitive, liée au sommeil tran- sitionnel (ou sommeil stade 1), est appelée « hallucinations hypnagogiques ». Pendant le processus de l’endormissement, qui est progressif et dure plusieurs minutes, un grand changement se produit dans le processus de pensée. A partir de la pensée polarisée par l’attention de la veille, on passe à une pensée de plus en plus associative et de moins en moins attentive, au fur et à mesure qu’elle devient plus imagée. Les images peuvent changer rapidement, sautant d’un sujet à l’autre et d’une vision à l’autre. Dans beaucoup de cas, il y a une continuité assez claire entre les dernières impressions sensorielles expérimentées juste avant l’endormissement et le contenu des hallucinations hypnagogiques. Comme nous le verrons, ces hallucinations peuvent être modifiées par l’utilisation de stimuli externes.