les ordes de sommeil
Le changement le plus significatif dans la recherche sur le sommeil en particulier, et dans l’étude du système nerveux en général, s’est produit avec la découverte des ondes du cerveau et l’avènement de l’électro-encéphalogramme. L’idée que le système nerveux était doté d’une activité électrique vit le jour à la fin du XVIIIe siècle. Le Bolognais Luigi Galvani fut le premier à démontrer que la stimulation électrique d’un nerf dénudé produisait la contraction du muscle auquel ce nerf était relié. Ses expériences de stimulation nerveuse sur les grenouilles font désormais partie du patrimoine de la science. Par la suite, il est devenu évident que la stimulation électrique de différentes zones du cerveau entraînait des mouvements dans différentes parties du corps ; en fait, la stimulation électrique fut utilisée pour établir une carte du cerveau. Il n’y avait pas loin de là à démontrer la relation qui existe entre les variations du voltage électrique de la surface d’un nerf et son activation. Le chercheur anglais Richard Caton fut le premier à examiner scientifiquement si, en utilisant un décalque électrique du cortex cérébral, il était possible de prouver l’activité des centres nerveux situés sous les électrodes. En 1875, en plaçant des électrodes sur la surface de la zone du cerveau liée à la vision, il découvrit qu’il pouvait détecter des variations de voltage en projetant une puissante lumière dans les yeux d’un animal. Ses recherches permirent aussi de mettre en évidence des variations spontanées de l’activité électrique, mais il n’attacha guère d’importance à ce phénomène. Pratiquement à la même époque, un scientifique polonais, Adolf Beck, mena des expériences analogues et aboutit aux mêmes conclusions. Beck résuma ainsi ses découvertes concernant l’activité spontanée à la surface du cerveau.
Cinquante ans après les découvertes respectives de Caton et de Beck, qui résultaient d’expériences effectuées sur des animaux, on eut la preuve définitive que le cerveau humain produisait lui aussi une activité électrique spontanée. Un psychiatre allemand appelé Hans Berger, travaillant pour l’hôpital psychiatrique d’Iéna, découvrit que l’activité électrique du cerveau humain pouvait être mesurée sur la surface crânienne. Berger commença à étudier l’activité électrique du cerveau dans le cadre de ses recherches sur des phénomènes parapsychologiques comme la télépathie et la téléki- nésie. Il pensait pouvoir affirmer que l’activité électrique du cerveau pouvait être mesurée pendant l’activité télépathique. Après un an d’expérimentations, il parvint à enregistrer l’activité électrique spontanée à la surface du cerveau et lui donna le nom d’« encéphalogramme ». Il prouva que l’activité électrique était réduite quand les organes sensoriels du sujet étaient affectés par des stimuli ou quand les processus mentaux du sujet étaient en pleine activité. Berger effectua ses expériences dans le plus grand secret ; l’entrée de son laboratoire était interdite, et il ne discuta de ses découvertes avec aucun de ses collègues. Sa première publication concernant l’activité électrique du cerveau parut en 1929, cinq ans après ses premières expériences. À partir de cette époque, il publia un article par an jusqu’en 1934. Les nazis le démirent de ses fonctions à l’hôpital psychiatrique d’Iéna en 1938, et, trois ans plus tard, il fut interné dans un autre hôpital psychiatrique à la suite d’une dépression. Étant psychiatre lui-même, il eut du mal à accepter son propre état psychique et il s’ôta la vie en se pendant. Ainsi s’acheva tragiquement la vie d’un homme dont les découvertes avaient entièrement révolutionné l’étude scientifique du cerveau. Aujourd’hui, on aurait du mal à imaginer comment il serait possible de diagnostiquer des désordres neurologiques ou de mener des recherches scientifiques sur l’activité cérébrale sans mesurer son activité électrique.
Cette découverte de l’activité électrique du cerveau a ouvert de nouvelles perspectives pour l’étude du sommeil. Au lieu d’enregistrer les mouvements d’un lit ou d’attendre qu’une balle de tennis tombe de la main d’un sujet, il devenait possible de fixer des électrodes sur la tête de ce sujet et d’enregistrer les variations spontanées qui se produisent dans son cerveau lors de la transition entre sommeil et veille. Je suis sûr que les premiers chercheurs ayant enregistré l’activité électrique du cerveau au cours de cette période furent complètement déconcertés quand l’appareil enregistra pour la première fois les ondes cérébrales d’un sujet endormi. Il n’est pas à exclure qu’ils se précipitèrent pour vérifier si leurs appareils fonctionnaient correctement, tant est grande la différence entre l’activité du cerveau d’un homme qui dort et de celui d’un homme éveillé.