Les accidents de travail et les maladies professionnelles
S’il est un domaine qui affecte tout particulièrement la santé humaine, et qui est en même temps tributaire du bien-être physique de la population, c’est celui du travail. L’homme passant la majeure partie de sa vie adulte à exercer un métier, les accidents et les maladies professionnelles méritaient bien que l’on y consacre ce dernier article.
Les risques d’accidents
Parmi les responsabilités du chef d’établissement de n’importe quelle activité économique, il en existe une qui a directement trait à l’intégrité physique et psychique du travi1le u r. Préserver la santé de son personnel et, par là, son aptitude à exercer les fonctions qui lui as- surent (à lui ainsi qu’à la société qui l’emploie) son revenu est une tâche primordiale. Cette préoccupation est d’ailleurs partagée par les pouvoirs publics qui édictent régulièrement des règles visant à mieux garantir la sécurité sur le lieu de travail, à prévenir les risques d’accidents et à octroyer un hiérarchique confie le maniement d’une nouvelle calandreuse ou d’un four thermique récemment installé à un opérateur qui n’a pas eu le temps d’en apprécier toutes les caractéristiques. Les responsables de la médecine du travail ont dressé une échelle de gravité des accidents suivant les conséquences que l’événement peut entraîner pour l’opérateur. Ainsi classe-t-on dans la catégorie des «incidents» des événements inopinés qui, tout en causant des dégâts matériels, ne blessent heureusement pas sérieusement l’ouvrier. Les «accidents», eux, se classent en trois catégories :
• les accidents avec arrêt, ayant entraîné au moins une journée pleine d’interruption de travail;
- les accidents entraînant une incapacité permanente ;
- les accidents mortels.
On trouve dans les statistiques publiées par les organismes de sécurité sociale toutes sortes d’accidents présentant des degrés de gravité très divers. Parmi les plus graves, retenons hormis les décès – les brûlures profondes, l’amputation d’une ou plusieurs phalanges, voire d’un membre, la cécité ou la perte d’un œil, la paralysie partielle…
Les accidents les plus fréquents
Il est difficile d’établir pour plusieurs pays des statistiques précises des accidents selon leurs types ainsi que celles de leurs conséquences sur la population active, car chacun d’eux a sa propre manière de recenser ces données. Ce- pendant, des formules permettent de mesure l’«accidentalité» d’une entreprise.Par exemple,la détermination du tauxde fréquence des accidents s’établit par le rapport suivant : Il résulte de ces études un tableau de fréquence des accidents par branche d’activité. On peut voir dans l’encadré de la page de gauche ce qu’il en est pour un pays comme la France. Comme on le voit le bâtiment et les travaux publics réunissent les accidents les plus fréquents. Toujours pour cette branche d’activité, le taux d’accidents graves est le plus élevé avec 7,5 pour un million d’heures travaillées. Parmi les causes les plus fréquentes d’accidents légers et sérieux se trouvent les manipulations d’objets (24 %), les accidents de plain-pied (19 %) survenant
au poste de travail, suivis des chutes de hauteur (16%), des mouvements accidentels d’objets (6,65 %), des transports manuels (5,15 %). Quant aux matières explosives, à l’électricité, aux rayonnements ionisants et aux accidents de pression, ils ne sont responsables que d’à peine 2 % d’accidents.
Les maladies professionnelles
La difficulté d’appréciation des maladies professionnelles réside dans l’établissement de la relation de cause à effet. La notion de temps joue un rôle primordial dans l’estimation de ce rapport. Un laborantin exerçant depuis 1985 et qui se déclare victime en 1995 d’une pneumoconiose peut voir l’affection dont il souffre étiquetée comme «complication ^ ou séquelle d’un accident du travail» et non comme «maladie professionnelle» car cette pathologie peut être causée par un faisceau de causes difficiles à identifier avec précision. Ce qui n’enlève rien à l’importance de sa maladie ni à la qualité des soins dont il peut bénéficier. L’extrême complexité de la mise en œuvre épidémiologique et préventive des risques du travail a conduit à dresser des tableaux de pathologies industrielles. Une maladie professionnelle est donc la conséquence d’une exposition plus ou moins prolongée à une substance portant atteinte à l’intégrité physique (et quelque fois quelquefois psychique) du travailleur dans l’exercice de son métier. Ce peut être l’inhalation de vapeurs ou de gaz, la réception de bruits lésionnels, la soumission à des secousses ou à des irradiations, l’absorption de molécules ou de poussières étrangères… la liste est longue. En se référant au premier groupe de pathologies décrit dans l’encadré de la page 189 (maladies dues au plomb et à ses composés), nous trouvons désignée une liste d’effets pathologiques secondaires qui comprend l’anémie (caractérisée par une hémoglobine sanguine inférieure à 13 g/100 ml chez l’homme et 12 g/100 ml chez la femme), l’encéphalopathie aiguë, le syndrome douloureux abdominal paroxystique, les neuropathies périphériques, les troubles neurologiques organiques à type d’altération des fonctions cognitives (trouble psychique), l’insuffisance rénale chronique, des syndromes biologiques associant des anomalies sanguines ou urinaires.
Les causes des maladies professionnelles
A quoi sont dues ces affections dont la gravité est quelquefois telle qu’elle peut handicaper le travailleur pour le restant de ses jours ? Les affections péri-articulaires sont provoquées par des travaux imposant des mouvements ré- pétés ou forcés de l’épaule, de préhension ou d’extension de la main, un appui prolongé sur le coude, une position accroupie prolongée, une station prolongée sur la pointe des pieds… Les surdités, elles, sont causées par les travaux sur métaux par percussion, abrasion ou projection (on y trouve comme exemples le décolletage, l’emboutissage, le martelage, le rainage, etc.),l’utilisation de marteaux et perforateurs pneumatiques, les tissages sur métiers, l’utilisation de propulseurs, réacteurs, moteurs thermiques, à compression, l’emploi d’explosifs, le broyage, le concassage, le travail sur rotatives d’imprimerie, l’emploi d’arcs électriques, les travaux à proximité d’aéronefs.. .
Ne pas grossir les risques
C’est dire combien la population active court un risque quand elle n’est pas parfaitement informée des conséquences de son assiduité au travail que lui demande ses employeurs. Ces risques grossissent face aux éventuelles négligences toujours possibles de la sécurité dans l’atelier et aux lacunes d’une infrastructure inadaptée (mauvaise préparation du matériel, vices de fabrication, évacuation des locaux mal préparée, centres de soins éloignés, etc.), comme on peut en trouver des exemples dans des zones économiques à faible pouvoir d’achat. Afin de mieux comprendre l’incidence de ces risques sur la personne humaine au travail, nous analyserons deux domaines majeurs particulièrement responsables de la dégradation de ce qu’on appelle dans le jargon sanitaire l’hygiène industrielle
Les risques chimiques
Il existe actuellement environ 5 000 molécules fabriquées par l’homme, sans compter celles (quelques centaines) régulièrement inventées chaque année. À cela il faut ajouter les centaines de milliers de préparations toxiques couramment employées.
– Les micro-organismes, d’origine exogène ou endogène , constituent un risque d’infection non négligeable. Ceux exogènes sont des germes existants dans l’air : ce sont des bactéries ; ceux endogènes sont émis par l’homme : émission de squames, particules d’expectoration, etc. Suivant les conditions de l’environnement, on peut dénombrer quelques germes à plusieurs centaines de germes par mètre cube d’air, voire plus. Les risques de contamination les plus élevés résident cependant dans les laboratoires de microbiologie où certaines manipulations comme la centrifugation, favorable à la dispersion de micro-organismes pathogènes, sont de loin les plus dangereuses. Les maladies contractées par voies respiratoires sont les maladies contagieuses dues aux bactéries et aux virus (diphtérie, tuberculose, coqueluche, infections streptococciques…) ainsi que celles dues aux moisissures (mycoses de l’arbre bronchique, allergies). farine et des grains de récolte est un terrain favorable à ce genre de maladies. La maladie du poumon du fermier est une affection respiratoire grave bien connue, causée par une moisissure : Aspergillus fumigatus.
-Les aérosols et les poussières sont d’autres sources d’affections respiratoires qui existent dans pratiquement toutes les activités industrielles. Les aérosols, qui se définissent comme «une suspension dans un milieu gazeux de particules solides de vitesse de chute négligeable», les poussières (émises par exemple par l’action du broyage ou du meulage), les fumées et le brouillard (aérosol liquide provenant d’une condensation de vapeur par exemple) sont quatre phénomènes chimiques inévitables en milieu industriel. Les pathologies liées à cette pollution industrielle sont des fibroses pulmonaires et diverses intoxications (dues à l’amiante, au plomb, ou à d’autres métaux lourds). Les statistiques montrent que l’asbestose et la silicose figurent en bonne place dans les maladies professionnelles indemnisées.
– Les vapeurs et les gaz représentent une autre famille de risques toxicologiques importants. Les ouvriers travaillant dans les stations-service, les raffineries de pétrole, les usines de fabrication de solvants ou de peintures, les laboratoires de cosmétique, etc. y sont particulièrement exposés. L’emploi du benzène, du plomb, du tétrachloré- thane, du mercure, du toluène, du phosphore, dans les différentes spécialités industrielles est responsable d’affections diverses : dermite irritative, troubles gastro-in- testinaux, anémies, leucémies, névrites ou polynévrites, neuropathies…
Les risques physiques
L’environnement professionnel de l’ouvrier abonde par ailleurs en risques de nature physique susceptibles d’altérer sa santé. Les plus connus sont le bruit, les vibrations mécaniques, le milieu thermique et les rayonnements.
– Les effets du bruit sur l’homme ont fait l’objet d’études considérables. Si, dans certains cas, le bruit informe le travailleur de la bonne marche d’une machine, ou de l’imminence d’un danger, il constitue en règle générale une nuisance dont la gravité peut aller jusqu’à provoquer des lésions graves et irréversibles. Suivant son intensité (moyenne ou forte entre 55 et 85 décibels), il perturbe l’accomplissement de certaines tâches, entrave la communication, provoque une fatigue auditive et nerveuse. D’intensité plus forte (au-delà de 85 décibels), il provoque des lésions auditives permanentes qui favorisent la surdité. Selon une enquête effectuée dans les années quatre- vingt, 25 % des salariés se plaignent de bruits occasionnels très forts ou très aigus et 16 % entendent difficilement une personne qui lui parle normalement. Le tableau de la page 193 renseigne précisément sur l’impact de différentes sources sonores.
– Les vibrations mécaniques sont tout aussi nuisibles pour le corps humain qui les subit de manière répétée plusieurs années durant. Ces vibrations peuvent être aléatoires ou périodiques (comme le bruit). Transmises aux membres supérieurs par les mains ou à l’ensemble de l’organisme elles provoquent des troubles qui se situent généralement au niveau des poignets, des coudes, des doigts et des mains. Elles produisent à la longue des affections ostéo- articulaires, circulatoires, musculaires ou encore neurosensorielles
On trouve parmi les activités responsables de ces pathologies l’utilisation d’outils et de machines-outils tenues à la main (machines percutantes : marteaux piqueurs, burineurs, fouloirs, perceuses à percussion, tronçonneuses, meuleuses, scies sauteuses) et les travaux de martelage, de forge, de chaudronnerie, de percussion… La conduite d’engins mécanisés (tracteurs routiers et agricoles, engins de chantier…) expose à des vibrations généralisées sur tout le corps. Les affections ostéo-articulaires occasionnées sont surtout des arthroses du coude, des ostéonécroses, des crampes de la main, des atteintes vasculaires cubito-pal-maires.
– Les ambiances thermiques constituent un autre volet du risque industriel. L’homme étant un «homéotherme» (nécessitant une température corporelle constante), il tolère difficilement de grands écarts de température. De plus, les modifications thermiques importantes influencent considérablement sa concentration mentale et son efficacité au travail, favorisant alors les risques d’accidents. Un exemple en est l’altération de la dextérité manuelle en cas de baisse de température. Les conséquences sur la santé de températures trop élevées ou trop basses sont connues. La vasoconstriction est un des phénomènes liés au refroidissement corporel. L’hypothermie (refroidissement général du corps), les Gelures et les engelures localisées peuvent en résulter. À l’opposé, une élévation sensible de la température provoque la sudation et la vasodilatation. L’hyperthermie et la déshydratation en sont des conséquences directes. Des affections chroniques et aiguës sont observables sans être pour autant différentes de celles affectant d’autres secteurs démographiques (rhumes, atteintes respiratoires, pneumonies, céphalées, fatigues, accidents de déshydratation, irritations cutanées…).
-Les rayonnements. Sous cette rubrique se classent à la fois les rayonnements ionisants (émis par des radioéléments), les rayonnements radio électriques non ionisants (radiofréquences et hyperfréquences), les rayonnements ultraviolet, visible et infrarouge et l’éclairage.
– Les rayonnements ionisants sont surtout présents dans les activités de radiologie médicale et industrielle, dans celles faisant appel à l’emploi de radio traceurs ou d’irradiateurs ainsi que dans les milieux d’exploitation de l’énergie nucléaire. L’irradiation externe et la contamination sont deux risques d’exposition connus. Par irradiation externe on entend le phénomène de pénétration du corps humain par les photons X et y (gamma), les particules p (bêta) et les neutrons (particules élémentaires faisant partie des noyaux atomiques). Les cellules vivantes subissent graves perturbations. La contamination s’entend comme la pollution de l’air, de poussières, de gaz, de solides ou de solutions par des substances radioactives. Le danger, dans ce dernier cas, réside dans le risque pour le travailleur d’inhaler ou d’ingérer des particules radioactives qui irradient les tissus de l’organisme. La manipulation de substances radioactives naturelles (minerais d’uranium par exemple), l’emploi mal maîtrisé de substances utilisées à des fins médicales ou chimiques, les accidents d’étanchéité de dépôts ou de centrales énergétiques sont les principales sources pathogènes Parmi les affections consécutives, citons les anémies, les blépharites, les conjonctivites, les radiodermites, les radiolésions et les radionécroses osseuses, les leucémies et les cancers broncho-pulmonaires.
– L’influence des rayonnements électromagnétiques non ionisants a pour conséquence de favoriser des effets thermiques sur l’organisme, dans des conditions prolongées. Le personnel le plus exposé est celui travaillant dans les télécommunications (télémesures. télévision…), dans certains secteurs industriels (dispositifs électrothermiques divers, préchauffeurs…) ou scientifiques (fusion de produits, résonance magnétique…). Mais il ne faut pas négliger l’incidence sur l’organisme de l’emploi régulier d’écrans d’ordinateur non protégés par des filtres ad hoc.
— Les UV, l’infrarouge et les rayonnements visibles sont responsables de perturbations thermiques cutanées. Ils peuvent provoquent des érythèmes (rougeur de la peau), et même carrément brûler les tissus. Les yeux sont particulièrement exposés.
— l’éclairage des locaux et des bureaux peut également poser des problèmes d’ordre pathologique. Deux grandeurs entrent en jeu dans la mesure de l’éclairage : l’éclairement (quantité de lumière reçue suivant la surface) et la luminance (luminosité de la surface considérée déterminée en candela par mètre carré). Les conditions d’un bon éclairage doivent éviter l’éblouissement, respecter un équilibre des luminances, assurer bien sûr un éclairement suffisant, éviter les phénomènes stroboscopiques des fluctuations dues à l’alternance du courant électrique et, si possible, assurer une harmonie des couleurs.
Le rôle du médecin du travail
À titre indicatif, le coût des risques professionnels qui s’évalue en prenant en compte les frais de soins dispensés aux victimes d’accidents et de maladies (secours, hospitalisation, consultation, prescriptions, indemnités et rentes versées en cas d’incapacité) dépasse 5 milliards de dollars pour un pays de l’importance de la France. Ces coûts ne comprennent pas les frais de réparation de matériel ni ceux occasionnés par les salaires versés au personnel absent de son poste, ni le manque à gagner causé par les accidents. Le rôle du médecin du travail en matière de prévention et de sécurité est bien sûr essentiel. Sa mission consiste à conseiller le chef d’entreprise ainsi que le personnel sur les points suivants : l’amélioration des conditions de travail, la protection du personnel contre les risques et les nuisances, sa formation en matière de sécurité, l’adaptation des postes et des techniques de travail à la physiologie humaine. Pour mener sa mission à bien, le médecin du travail dispose d’un ensemble de moyens lui permettant d’intervenir sur le terrain comme les examens médicaux, l’utilisation de locaux et de matériels sanitaires, de dispositifs de premiers secours sur place, l’appel à des moyens de secours extérieurs, et les procédures de recherches et d’enquêtes épidémiologiques.