Le phénomène de l'urgence : Réagir vite et bien
En médecine d’urgence, la mise en œuvre rapide d’une réaction adaptée se heurte d’abord à l’obstacle de la compréhension des symptômes. L’événement de survenue soudaine et menaçant, que ressent le malade, n’est pas seulement une surprise, dont la compréhension serait par ailleurs immédiate. En effet, les symptômes dont le malade témoigne ne sont pas des signes directement compréhensibles. Leur compréhension suppose un savoir particulier que le médecin a mis plusieurs années à acquérir. Cette compréhension réclame un délai qui, en urgence, est toujours vécu comme contradictoire, par le malade, avec son souhait d’être soigné au plus vite, et par le médecin, désireux aussi d’agir sans retard mais également de ne pas commettre d’erreur d’interprétation. Or les pièges sont nombreux. Il est probable que, à cette phase cruciale, la pratique de la médecine d’urgence accentuera encore demain le recours à des médecins expérimentés.
Le malade confronté à l’urgence reste, malgré son émotion, un acteur rationnel. Il a compris, ces dernières années, que l’hôpital lui offrait en un condensé ce que la médecine de ville ne pouvait lui offrir que de façon partielle ou séquentielle : un accueil à toute heure, un assemblage de savoirs et d’équipements auxquels il est possible de recourir sans déplacement supplémentaire, le sentiment que ces moyens sont disponibles gratuitement. Ainsi, alors que l’épidémiologie des urgences a peu varié, le nombre des passages aux Urgences a beau¬coup augmenté ces dernières années. L’hôpital attire les malades aux Urgences comme l’aimant la limaille de fer. En France, de 1990 à 1998, le nombre de passages aux urgences hospitalières a augmenté de 43 % ; de 1998 à 2002, il a encore cru de 20 %. En Île-de-France, près de trois millions de personnes sont passées aux urgences en 2002.
Dans le futur, les enjeux pour la prise en charge des malades en urgence à l’hôpital se situent à plusieurs niveaux : s’efforcer de ne pas voir affluer aux Urgences ceux dont l’état n’en relève pas (la frontière est cependant ténue entre l’urgence médicale et la manifestation d’une situation de désarroi socioéconomique, face à laquelle l’hôpital apparaît comme un refuge) ; expliquer à ceux qui se rendent aux Urgences de l’hôpital que l’attente est la rançon du succès de ce dernier et qu’un mécanisme de tri conduit à faire passer en priorité, non pas le premier arrivé, mais celui dont l’état de santé semble le plus menacé (l’attente aux Urgences est toujours vécue comme hautement paradoxale) ; assurer une plus grande fluidité dans la circulation des malades au sein de l’hôpital, afin que ceux qui pourraient en sortir le fassent et que ceux qui devraient y entrer le puissent ; développer les mesures d’organisation permettant de faire face aux menaces collectives de tous les types et à leurs composantes sanitaires (les grands plans de secours en sont la traduction, mais leur efficacité doit être enrichie par la mise en forme permanente du retour d’expérience et par la mise en œuvre régulière d’exercices d’entraînement). Le progrès de la médecine d’urgence de demain tient pour une grande part à des mesures d’information, d’éducation et d’organisation.
La médecine d’urgence continuera cependant de se heurter à la question des distances. Si l’appel suscité par l’observation de la souffrance individuelle et de la menace vitale en son sein est capable de mobiliser nos sociétés, la distance freine beaucoup cette ardeur. Lorsque la distance est grande, seules des catastrophes massives jointes à une médiatisation très active sont en mesure de déclencher des réactions de secours sanitaire à l’échelle internationale dans des délais compatibles avec la survie de quelques-uns. Le SAMU-Monde est encore à inventer.
La réaction urgente a pour objet principal la préservation de la vie. En médecine, son efficacité est grande et son champ ne cesse de s’élargir. Le malade, le blessé ou le sauveteur qui vit cela dans sa chair ou sa pratique, peut en souligner les bienfaits. Mais si la technique donne à l’homme la capacité de vaincre le temps et l’espace, elle sait aussi lui faire payer le prix de cette conquête. Le souci de la durée l’emporte alors parfois sur la signification des expériences. Dans le cadre de la mort subite, comme un texte, la procédure de sauvetage dévide l’enchaînement automatique des actions à conduire. Si l’on n’y prend garde, l’urgence tend à porter la médecine hors de toute norme. À la marche sans limite des progrès de la réaction urgente en médecine doit donc faire face une autre démarche, celle qui consiste à apprendre aussi toujours plus à mourir.
Vidéo : Le phénomène de l’urgence : Réagir vite et bien
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Le phénomène de l’urgence : Réagir vite et bien
https://youtube.com/watch?v=q9jRf8RZLcM%26feature%3Dfvsr