L'augmentation du sommeil
Pendant des siècles, on a cru que, comme les autres caractéristiques de la race humaine, la maladie et la santé dépendaient de mystérieux fluides répandus à travers tout le corps, et l’on a donc assigné la cause principale des maladies à une rupture d’équilibre entre ces fluides. De même, la quantité relative de chaque fluide présent dans un corps était supposée déterminer la personnalité d’un individu, et, depuis lors, nous utilisons l’adjectif « flegmatique » pour décrire l’apathie particulière de certaines personnes, leur lenteur et leur mollesse. Le terme, bien évidemment, dérive du mot « phlegme », qui désignait dans la médecine grecque l’un de ces quatre principaux fluides corporels. Ni Hippocrate ni Galien, les inventeurs de la théorie des fluides, n’avaient la moindre idée de l’existence d’hormones, ces produits de sécrétions internes véhiculés par le système sanguin. Le développement, au XXe siècle, de l’endocrinologie, qui porte sur l’étude des hormones et de leurs effets, a redonné une nouvelle vie à l’idée de l’importance des fluides corporels et de leurs effets significatifs sur la maladie et la santé. Il est donc peu surprenant que la découverte des variations qui se produisent dans l’activité du système nerveux pendant la transition de la veille au sommeil ait amené les chercheurs à se poser la question suivante : y a-t-il des changements qui se produisent, au même moment, dans la sécrétion hormonale ? Au même titre que le système nerveux, les hormones sécrétées par des glandes situées dans tout le corps concourent à la coordination et au contrôle de nombreux systèmes physiologiques. Il y a celles, telles les hormones sexuelles, qui affectent la fonction de certains organes spécifiques, et aussi des systèmes généraux incluant le cerveau. Certaines affectent le fonctionnement de la totalité des systèmes corporels et déterminent le rythme du métabolisme et de la croissance des organes.
La sécrétion de l’hormone de croissance a été la première à être étudiée dans les recherches menées sur le sommeil. La découverte selon laquelle l’hormone de croissance est sécrétée par la glande pituitaire a eu lieu en 1945, et le rôle important joué par cette hormone dans la croissance des tissus mous et des os a été mis en évidence peu de temps après. On croyait alors quelle était sécrétée pendant le jour, après les repas, pendant les exercices physiques et dans des conditions d’activité mentale intense. Toutefois, en 1968, lorsque Takahashi et ses collègues affirmèrent que la sécrétion journalière de l’hormone atteignait son point culminant, aussi bien chez les enfants que chez les adultes, juste après l’endormissement, pendant les stades 3 et 4 du sommeil profond, la surprise fut considérable. Quand le sommeil était dérangé pendant deux ou trois heures, une nouvelle sécrétion atteignant un nouveau pic intervenait dès que le sommeil reprenait. On pouvait en conclure que le processus de l’endormissement et l’entrée dans les stades 3 et 4 du sommeil étaient la cause de la sécrétion de l’hormone de croissance par la glande pituitaire. D’autres études ont montré que la sécrétion de l’hormone de croissance n’était pas liée au processus de l’endormissement lui- même, mais à l’apparition des ondes delta hautes et lentes qui sont l’indice du sommeil profond. Cependant, on a des preuves que le mécanisme responsable de la sécrétion de cette hormone pendant le sommeil n’est pas identique à celui qui provoque le sommeil profond : la prise de certains médicaments peut permettre de les dissocier. La sécrétion de l’hormone de croissance peut être entièrement supprimée sans affecter le cours normal du sommeil profond, et, inversement, l’apparition d’un sommeil profond peut être empêchée sans porter atteinte à la sécrétion hormonale. Nous pouvons donc conclure à l’existence de deux mécanismes séparés qui sont néanmoins étroitement liés. La sécrétion des autres hormones ne correspond pas aussi étroitement au rythme des stades du sommeil que celle de l’hormone de croissance. Le cortisol, par exemple, est une hormone sécrétée par la glande surrénale qui agit sur le cours du métabolisme. Elle est sécrétée en grande quantité dans des conditions de stress, et l’une de ses fonctions principales est la mobilisation de l’énergie nécessaire à des situations d’urgence. Il est, par conséquent, peu surprenant que le processus d’éveil s’accompagne d’une sécrétion accrue de cortisol en vue de « préparer » l’organisme à répondre aux demandes physiques qui en résultent. L’augmentation de la sécrétion de cortisol commence vers le milieu du sommeil et va croissant, selon une succession de pics, jusqu’à atteindre son maximum au moment du réveil. La différence entre le taux de cortisol dans le sang au moment de l’endormissement et au moment du réveil est si importante que l’analyse du taux de cortisol dans le sang est entièrement faussée si l’on ne sait pas exactement quand la prise de sang a été effectuée. Puisque la sécrétion du cortisol ne s’effectue pas de manière continue mais selon une succession de pics augmentant graduellement, certains chercheurs ont affirmé que le sommeil REM, qui apparaît principalement dans la deuxième partie du cycle de sommeil, était le principal facteur de l’augmentation de la sécrétion de cette hormone. Toutefois, il n’y a pas de changement immédiat dans la sécrétion du cortisol quand le sommeil est interrompu pendant quelques heures, car un tel changement prend plusieurs jours. Cela signifie que, à la différence de l’hormone de croissance, la sécrétion du cortisol se trouve soumise au contrôle d’une horloge biologique indépendante, qui, en général, n’est pas étroitement coordonnée avec l’horloge du sommeil. Il y a, cependant, d’autres hormones dont la sécrétion est coordonnée au sommeil, surtout pendant des périodes critiques de la vie du sujet. Les gonadotrophines (hormones gonadotropes), par exemple, qui sont sécrétées elles aussi par la glande pituitaire, assurent la régulation de la sécrétion des hormones sexuelles à partir des gonades, et par conséquent le développement des organes génitaux et l’apparition des caractéristiques sexuelles secondaires au moment de la puberté. À la puberté, elles sont principalement sécrétées au cours du sommeil. La mesure du niveau des gonadotrophines au début et à la fin de la puberté ne révèle aucune variation significative que le sujet soit éveillé ou endormi. Par ailleurs, pendant la puberté, on note, au cours du sommeil, une sécrétion hormonale accrue par rapport à celle qui se produit pendant la veille. Comme le cortisol, les gonadotrophines ne sont pas sécrétées continuellement mais par à-coups ; en d’autres mots, la glande pituitaire libère les hormones dans le flux sanguin toutes les quatre-vingt-dix minutes. On a découvert par la suite que cette manière de sécréter les gonadotrophines avait des effets critiques sur les organes sexuels. Il est apparu que ces organes étaient incapables de « décoder » les signaux hormonaux des glandes pituitaires à moins que la sécrétion des hormones ne s’effectue par vagues successives toutes les heures et demie. Une sécrétion permanente et continue des gonadotrophines a un effet inhibiteur, et non point stimulant, sur le fonctionnement des gonades. Il apparaît, par conséquent, que le sommeil joue un rôle de premier plan dans la régulation des sécrétions hormonales. Pendant le sommeil, les organes endocriniens deviennent actifs et sécrètent dans le système sanguin des hormones affectant le corps tout entier.