L'ASCITE : LE TRAITEMENT
le traitement de première intention est toujours médical. Dans les ascites irréductibles, on peut avoir recours à des techniques chirurgicales, et en particulier aux dérivations péritonéo-jugulaires par la valve de Le Veen.
Le traitement médical
Il associe au repos au lit le régime sans sel et les diurétiques. Parfois, on peut avoir recours également aux perfusions d’albumine et à la ponction évacuatrice.
L’apport sodé
L’apport sodé doit être compris entre 250 et 500 mg de sel par jour ; il s’agit donc d’un régime désodé strict.
Les diurétiques
Les diurétiques les plus utilisés dans le traitement de l’ascite sont, d’une part, les spi- ronolactones et le triamtérène et, a’autre part, le furosémide.
Les premiers agissent en inhibant la réabsorption du sodium au niveau du tube contourné distal du rein ; ils n’entraînent donc pas de perte de potassium. Les spirono- lactones ont un effet retardé : il ne se manifeste aue dans un délai de deux à trois jours après le début du traitement, et se prolonge de deux à trois jours après son interruption.
Quant au furosémide, il agit en inhibant la réabsorption de sodium au niveau de l’anse ascendante de Henlé ; il entraîne donc une perte importante de potassium. Ses premiers effets apparaissent de 30 à 60 minutes après son administration orale et son action dure environ 6 heures.
En règle, le traitement diurétique est conduit progressivement selon un schéma en deux temps. Des spironolactones sont d’abord administrées, à la dose de 100 à 300 mg par jour ; si, au bout d’une dizaine de jours, l’effet obtenu apparaît insuffisant, un diurétique agissant sur l’anse ascendante de Henlé leur est associé, furosémide par exemple, dont la dose initiale est fixée à 20 mg par jour et auquel il est prudent d’adjoindre un apport supplémentaire de potassium.
La surveillance du traitement doit être attentive. Cliniquement, elle reposera sur la détermination quotidienne du poids, de la diurèse et de la pression artérielle du patient. Il est également intéressant de mesurer le périmètre abdominal avant le traitement et de répéter cette mesure au cours de ce dernier. Du point de vue biologique, la thérapeutique ne sera mise en œuvre que lorsqu’il aura été procédé à une exploration de la fonction rénale ; la surveillance se fondera ensuite sur le contrôle des ionogrammes sanguin et urinaire, effectué à raison de deux ou trois fois par semaine pendant la période initiale.
Cette surveillance a un double intérêt. D’une part, elle permet de juger des résultats du traitement qui, pour être considéré comme efficace, doit à son début déterminer une perte de poids d’environ 500 g par jour ; d’autre part, grâce à ces contrôles répétés, il est possible de dépister précocement l’éventuelle survenue des complications propres aux diurétiques que sont une déplétion sodée excessive avec hyponatrémie et une altération de la fonction rénale avec élévation de la créatinine ; la constatation d’une de ces perturbations, voire des deux, car elles sont souvent associées, impose l’interruption du traitement.
Il arrive parfois que l’ascite résiste à l’association régime sans sel-traitement diurétique, ou encore qu’il existe des désordres biologiques assez sévères pour interdire l’emploi des diurétiques. Pour ces ascites irréductibles, il faut alors envisager une solution chirurgicale car les autres techniques médicales parfois mises en œuvre — perfusion d’albumine ou de plasma, diurèse forcée au furosémide et ponction évacuatrice — ne peuvent à elles seules déterminer de résultats durables.
Les perfusions d’albumine qu de plasma
Elles peuvent augmenter la volémie efficace lorsque celle-ci est basse, mais leur effet est transitoire.
La diurèse forcée au furosémide
Exclusivement réalisée en milieu spécialisé, elle a également un effet habituellement transitoire.
La ponction évacuatrice
La ponction, quant à elle, est utile lorsque l’épanchement est abondant et entraîne une gêne respiratoire, et dans les ascites irréductibles précisément, où elle représente la seule solution possible avant le recours aux procédés chirurgicaux. Dans les services hos-‘ pitaliers spécialisés, on peut également faire une ponction-réinjection du liquide d’ascite avec ultrafiltration de celui-ci. Ce geste doit être répété à plusieurs reprises, car son efficacité est brève ; cette méthode connaît de ce fait une nette désaffection.
Les techniques chirurgicales
Au nombre de deux, les procédés chirurgicaux sont représentés par la valve de Le Veen et la dérivation portale.
La valve de Le Veen
Cette méthode repose sur le principe d’une réinfusion permanente de l’ascite dans le système veineux par l’intermédiaire d’une soupape barosensible unidirectionnelle. Cette valve est reliée à deux cathéters, l’un intra- péritonéal, l’autre placé dans la veine jugulaire interne. Lorsque la pression intrapérito- néale excède la pression cave supérieure de trois à cinq centimètres d’eau, la valve s’ouvre, permettant le passage du liquide d’ascite dans la veine jugulaire ; au contraire, lorsque la différence de pression est inférieure à ces valeurs, elle reste fermée, empêchant alors le reflux sanguin dans le cathéter.
Cette dérivation péritonéo-jugulaire permet une expansion de la volémie et la diminution du secteur splanchnique. On obtient donc très rapidement une augmentation importante du débit urinaire, avec régression corollaire de l’ascite. La natrémie augmente en même temps que s’élève la natriu- rèse. Lorsqu’il existait une insuffisance rénale fonctionnelle, on voit les chiffres de créati- nine se normaliser progressivement. Le bon fonctionnement de la dérivation, et partant l’évolution favorable des troubles, est favorisé par des mesures visant à augmenter la différence de la pression abdomino-cave : port d’une ceinture abdominale progressivement resserrée au fur et à mesure que régresse l’ascite d’une part, et pratique d’exercices respiratoires entraînant, par le biais d’une dépression respiratoire, une diminution de la pression cave supérieure d’autre part.
Cette méthode donne des résultats jugés assez satisfaisants puisque, dans la plupart des séries, une disparition de l’ascite est obtenue en six mois chez 80 % des malades. Cependant, le taux des récidives est assez élevé, estimé à 30 % en moyenne par les différents auteurs. Survenant le quatrième mois après l’opération environ, ces récidives reconnaissent des causes variées mais, le plus fréquemment, c’est une obstruction de la soupape ou une thrombose veineuse due a- cathéter de la valve qui en est responsable. En général, un changement de valve, ou la mise en place d’une deuxième valve, parvient à les juguler.
Par ailleurs, la mortalité est assez élevée, de 16 à 17 % selon les séries. Les malades à haut risque sont à cet égard les sujets atteints d’insuffisance hépatique grave d’insuffisance rénale, ou encore de cachexie Chez le cirrhotique, la dérivation péritonéo jugulaire, qui est pourtant un acte opératoire bénin, favorise, comme toute autre agression même bénigne chez lui, la survenue de complications. Aussi l’appréciation du terrain et de la fonction hépato-cellulaire représente -t- elle un élément important dans l’indication d’une dérivation péritonéo-jugulaire.
La mise en place de la valve de la Veen est enfin grevée d’un risque de complications locales ou générales
Les complications locales hématome ou infection, doivent pouvoir être évitées par une technique rigoureuse. Quand aux complications générales, elles sont dominées par la fièvre. Due selon toute vraisemblance au passage dans le sang de substance pyrogénes
présentes dans l’ascite, cette fièvre est habituelle en post-opératoire immédiat, mais elle disparaît en règle rapidement, et sa persistance doit faire rechercher un foyer infectieux. Ont également été rapportés des troubles de la coagulation et de l’hémostase, qui prennent l’aspect d’une coagulation intra- vasculaire disséminée.
Dans l’ensemble donc, la pose d’une valve de Le Veen est une technique efficace, mais non dénuée de risques. Les indications en sont les ascites irréductibles, définies, comme nous l’avons vu, par l’échec d’un traitement médical bien conduit, associant repos au lit, restriction sodée et diurétiques. En sont également justiciables certains patients porteurs d’une ascite et atteints d’un syndrome hépato-rénal, le plus souvent induit par le traitement diurétique.
Il n’existe que quatre contre- indications à cette méthode :
— une infection de l’ascite, définie biologiquement par un nombre élevé de polynucléaires dans le liquide d’ascite ou, a fortiori, affirmée par la présence de germes, d’où la règle de toujours procéder à un contrôle de la stérilité immédiatement avant l’intervention ;
— une hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes ; la constatation endoscopique de volumineuses varices, même en dehors de toute hémorragie, constitue même pour certains auteurs une contre- indication relative à l’intervention, tant est important le risque d’hémorragie ou de récidive hémorragique post-opératoire’que favorise très probablement l’augmentation de la volémie ;
l’insuffisance hépatique grave avec effondrement du complexe prothrombique à moins de 30 % et ictère, cette contre- indication étant admise par la plupart des auteurs, d’une part parce que la survenue d’une ascite irréductible dans ce contexte s’inscrit dans l’évolution terminale de la maladie hépatique et, d’autre part, parce que chez ces patients très fragiles, tout geste chirurgical, si bénin soit-il, favorise la survenue de complications, en particulier d’ordre septique et hémorragique ;
— l’insuffisance cardiaque droite, l’élévation de la pression cave supérieure empêchant le fonctionnement normal de la valve ; de plus, il existe un risque de décompensation d’une insuffisance cardiaque gauche, l’hypervolémie provoquée par l’intervention favorisant la constitution d’un œdème pulmonaire. Il est donc nécessaire d’explorer les pressions cardio-pulmonaires par un cathétérisme cardiaque lorsqu’on envisage une dérivation péritonéo-jugulaire chez un patient porteur d’une cardiopathie.
La dérivation porto-cave
La dérivation portale est certainement en théorie le geste chirurgical le plus efficace sur une ascite irréductible ; cependant, la mortalité dont est grevée cette intervention est lourde, et il existe par ailleurs un risque non négligeable d’encéphalopathie.
Il est donc finalement assez rare de recourir à la dérivation porto-cave pour le traitement de l’ascite seule. Dans ce cas, l’intervention de choix est une anastomose tronculaire de type latéro-latéral.