La privation de sommeil dans le livre des records
Deux tentatives pour rester éveillé pendant plus de deux cents heures sont devenues partie intégrante du fonds de la recherche moderne sur le sommeil. En 1959, une personnalité de la radio, Peter Trip, essaya de rester éveillée pendant deux cents heures afin de recueillir des fonds pour l’American March of Dimes. Il s’installa dans un studio de radio complètement transparent placé dans Times Square, à New York, où les passants pouvaient le voir tout au long de son marathon. C’est seulement vers la fin que son comportement commença à se détériorer : pendant la nuit, des signes patents de psychose firent leur apparition, accompagnés d’hallucinations. Trip commença à penser que des gens mettaient des somnifères dans sa nourriture pour qu’il s’endorme. William Dement, qui a raconté l’histoire de Peter Trip dans son livre Some Must Watch while Some Must Sleep [Certains doivent regarder pendant que d’autres doivent dormir], affirme à son propre sujet que, parfois, quand il devait rester durant de longues périodes au laboratoire de Nathaniel Kleitman, il se découvrait soudain en train de se méfier de ses compagnons et de les soupçonner de comploter contre lui. En tant que chercheur parfaitement conscient des effets trompeurs du manque de sommeil, il se disait alors : « Il n’y a aucune raison d’avoir cette impression. Je sais que c’est ridicule et je sais que la cause de telles illusions est le manque de sommeil. » Mais les peurs irrationnelles et la parfaite conscience de leur origine survenaient simultanément.
La seconde tentative pour établir un record de veille se déroula sous contrôle scientifique. En 1965, un jeune homme de dix-sept ans de San Diego, Randy Gardner, s’attaqua au record de deux cent soixante heures qui apparaissait dans le Guiness Book of Records. Au fur et à mesure que la tentative de Randy se prolongeait, l’intérêt public et scientifique allait croissant. Après soixante-dix heures, l’équipe de Dement arriva de Sanford pour se joindre à l’équipe de tournage de la télévision et aux journalistes, et remplir un rôle d’observation. Comme on s’y attendait, Randy avait le plus de difficultés à rester éveillé la nuit, et il lui fallait alors un effort
surhumain pour résister aux attaques répétées de somnolence. Dement, qui suivait l’expérience attentivement pour être certain que Randy ne dormait pas, raconte qu’un de ses souvenirs les plus marquants au sujet de cette expérience fut un match de basket-ball qu’il joua avec Randy à trois heures du matin la dernière nuit. C’est Randy qui gagna, et Dement affirme que la victoire du jeune homme montrait que ses fonctions physiques et motrices n’avaient pas été atteintes. Après avoir établi un nouveau record de deux cent soixante-quatre heures, Randy participa à une conférence de presse et répondit aux questions qu’on lui posait avec beaucoup d’humour. Une fois la conférence achevée, Randy alla se coucher dans le laboratoire de sommeil de l’US Navy, à San Diego, où il dormit dix heures et quarante minutes. Après son réveil, il se sentit frais et dispos toute la journée, et ne dormit que huit heures la nuit suivante, ce qui était son quota habituel. Tout au long de l’expérience, on ne constata aucun phénomène anormal, tel que des hallucinations, des illusions perceptives ou des changements extrêmes d’humeur.
La conclusion que l’on peut tirer des résultats du « saut périlleux » et de la prouesse de Randy Gardner est que des gens extrêmement motivés sont capables de rester sans dormir pendant plusieurs jours, surtout quand ils bénéficient d’une constante surveillance et de stimuli qui les excitent. Puisque la seule manière de lutter efficacement contre le sommeil consiste à avoir une activité physique pendant la période critique des premières heures du jour, la condition physique est très importante. Une bonne condition physique constitue le meilleur équipement pour résister à de longues périodes sans sommeil.