La pédopsychiatrie en 2004 : Les principaux acquis actuels
Le foetus:
La pédopsychiatrie ne commence pas avec la naissance.
On assiste aujourd’hui à l’émergence d’une psychiatrie fœtale qui fait partie intégrante de la psychiatrie dite périnatale sur laquelle je reviendrai.
En témoigne, me semble-t-il, la tenue récente, à Paris, d’un colloque intitulé « Passions pour l’embryon » (colloque « Médecine et Psychanalyse » organisé par D. Brun), l’embryon et le fœtus se situant en effet au carrefour de notre curiosité pour l’énigme du dedans (du corps maternel) et de notre interrogation quant à la quête de nos origines.
On commence à mieux savoir aujourd’hui ce qu’il en est de l’instauration séquentielle des différentes sensorialités fœtales : le tact tout d’abord, puis l’olfaction, puis le goût, puis l’audition, puis la vision enfin.
La question des représentations du bébé dans la tête des parents s’est vue désormais précisée, en relation avec la mise en place progressive de la parentalité.
On distingue ainsi désormais quatre groupes de représentations du bébé dans le psychisme des parents (les « bébés-dans-la-tête »), à savoir l’enfant imaginaire, l’enfant fantasmé, l’enfant narcissique et l’enfant mythique ou, enfin, culturel.
De la maturation de ces différents groupes de représentations mentales, dépend aujourd’hui grandement la qualité de l’accueil psychique du nouveau-né.
Exercice, expérience et pratique de la parentalité ont alors pu être distinguées par Didier Houzel.
Les enjeux psychologiques et psychopathologiques des AMP (aides médicales à la procréation) et la préparation de l’accueil des enfants adoptés s’en sont trouvé considérablement renouvelés.
Mais une question apparaît alors, ou insiste : le fœtus pense-t-il ?
Il faudrait sans doute distinguer ici, à la manière des philosophes, une conscience thétique (capable de se penser pensante) et une conscience non thétique.
En tout état de cause, la naissance de la vie psychique apparaît aujourd’hui comme fondamentalement progressive, hétérogène (parties « nées » et parties « non nées » du psychisme du bébé lors de la naissance physique) et enfin, interactive, et de ce fait, la fin de la vie psychique peut sembler parfois plus facile à définir que le début de la vie psychique.
Pourquoi ?
Parce que l’autre, bien sûr, peut parfois mettre à mal voire tuer notre pensée (les expériences totalitaires et nazies nous en ont donné la triste illustration) mais, généralement, pour mourir à la pensée nous n’avons besoin de personne, alors que pour naître à la pensée, le bébé a fondamentalement besoin de l’autre.
Un mot enfin, pour signaler toute la réflexion qui s’ébauche aujourd’hui quant à la difficile question des éventuelles racines prénatales de la sécurité ou l’insécurité de l’attachement.
Ce type de questionnement renvoie, en réalité, à la nécessité qu’il y aura, au cours des années à venir, à savoir de mieux en mieux distinguer entre l’inné génétique et l’acquis prénatal.
Le bébé :
La psychiatrie du bébé s’est développée de manière intensive dans la dernière partie (le dernier tiers ?) de notre siècle.
Avant d’envisager l’objet de cette discipline ainsi relativement nouvelle, il nous faut d’abord faire quelques remarques historiques afin de mieux comprendre comment l’émergence de la psychiatrie du bébé s’intégre dans l’histoire générale du mouvement des connaissances.
Mouvement général des idées:
Plusieurs éléments semblent concourir à l’avènement de ce nouveau champ de réflexion et de travail.
Tout d’abord, et ceci sur un plan très général, il est habituel de constater que toute approche du vivant et de ses modalités de développement débute généralement par l’approche des individus adultes ou matures de l’espèce considérée avant de se porter, de manière rétrograde, vers les individus les plus jeunes encore en cours de croissance et de maturation.
Ce phénomène a été très net en matière de psychiatrie puisque l’histoire de celle-ci a commencé par la psychiatrie adulte, s’est poursuivie progressivement par celle de l’adolescent, puis par celle de l’enfant et donc, de nos jours, par celle du bébé, laquelle se voit maintenant prolongée par l’essor d’une psychiatrie fœtale.
Ajoutons que ce mouvement antidromique qui fait le vif de la dynamique rétrospective de la démarche analytique, se retrouve également dans le champ des sciences humaines, l’étude du langage ayant par exemple d’abord concerné le système langagier instauré (étape de la linguistique structurale de Ferdinand de Saussure dont on sait l’aspect relativement statique) avant de se pencher-dans le cadre, précisément, de la psychiatrie du bébé – sur les prérequis, les précurseurs prélinguistiques ou infraverbaux et les premières formes du langage chez l’être humain (avec l’apparition d’une linguistique dite subjectale et dynamique).
Certains événements historiques ont également eu une influence et notamment la Seconde Guerre mondiale.
Jusque-là en effet, les professionnels (à la différence des parents sans doute…) avaient surtout considéré le bébé comme un nourrisson, c’est-à-dire comme un être essentiellement digestif avec une entrée (alimentation) et une issue (excrétion), et passant le plus clair de son temps à dormir, surtout au tout début de son existence.
Cette vision du très jeune enfant s’avérait donc éminemment passive.
Avec les souffrances liées à la guerre, souffrances qui n’avaient épargné personne mais auxquelles les très jeunes enfants avaient payé un bien lourd tribut, les adultes ont alors peut-être ressenti une culpabilité profonde qui les amena à considérer les très jeunes enfants non plus comme des nourrissons mais comme des bébés, c’est-à-dire comme des personnes, certes en devenir, mais déjà dignes de respect et de considération.
Cet effet de la culpabilité paraît en effet important à prendre en compte pour comprendre le retournement qui s’effectua chez les professionnels, d’un enfant d’abord conçu comme essentiellement passif, nous l’avons vu, à un individu d’emblée interactif, capable d’engager la relation avec l’adulte et aussi de s’en désengager, soit à un individu à orientation sociale immédiate et apte à s’inscrire très tôt dans un système inter relationnel complexe.
C’est d’ailleurs à l’issue de la Seconde Guerre mondiale que virent le jour deux descriptions cliniques princeps : celle de l’autisme infantile précoce par L. Kanner (1943) et celle des dépressions du bébé (A. Freud, D. Burlingham, R. Spitz, J. Bowlby…), un peu comme si, dès lors qu’on avait reconnu officiellement une sorte de droit du bébé à la vie psychique, force était aussi d’admettre les inévitables avatars qui s’attachent à celle- ci, soit la souffrance (dépressions) et le risque de perturbation profonde du fonctionnement de la psyché (autisme et psychoses précoces).
Enfin, last but not least, chaque fin de siècle semble exacerber des angoisses existentielles qui lui sont spécifiques.
La fin du siècle dernier s’est vue fortement préoccupée par l’énigme du « dedans » de l’objet avec en 1895, simultanément, la découverte des rayons X par W. C. Roentgen (pour le « dedans » des corps) et la publication par S. Freud et J. Breuer des Études sur l’hystérie qui marquait le début de la découverte psychanalytique (pour le « dedans » du psychisme).
La fin du XXe siècle (qui se trouve être également une fin de millénaire) voit alors se développer toute une série d’interrogations concernant les origines (de l’univers, de la Terre, du temps, de la vie biologique) et il est plausible d’imaginer que la psychiatrie du bébé correspond ainsi, pour une part, à une tentative de réponse à la question particulière du début de la vie psychique dans le champ de l’ontogenèse.
Quelques repères chronologiques:
— La publication par Sigmund Freud (1905) des Trois essais sur la théorie de la sexualité qui contiennent de nombreuses notations concernant l’enfant très jeune.
— Les travaux d’Anna Freud et Melanie Klein, dès avant la Seconde Guerre mondiale, sur l’approche psychanalytique de l’enfant et notamment du très jeune enfant (effets des carences et des séparations, notion d’Œdipe précoce, description des positions schizoparanoïde et dépressive).
— Les travaux historiques de René Spitz sur la genèse de la relation d’objet et sur le concept de dépression ana- clitique (1946).
— La description de l’autisme infantile précoce par Léo Kanner (1943).
— Le rapport de John Bowlby sur les effets des carences maternelles (1951) et la reprise de la question
des angoisses de séparation (1956) comme prélude au déploiement de la théorie de l’attachement.
— En France, les travaux de Léon Kreisler, René Diatkine, Michel Soulé et Serge Lebovici qui font une place de plus en plus importante au nourrisson et à ses interactions dans le cadre de la réflexion métapsychologique de 1960 environ jusqu’à nos jours.
— En Suisse, les travaux contemporains de Bertrand Cramer et Daniel N. Stem (approfondissement de l’étude des interactions précoces, des projections parentales, développement des thérapies conjointes parent(s)/bébé, concept d’accordage affectif…).
— Aux Etats-Unis, l’émergence d’un courant de psychologie et de psychanalyse dites « développementales » qui s’appuie de manière centrale sur la théorie de l’attachement de John Bowlby (M. Ainsworth, I. Bretherton, R. Emde, M. Main… ).
Sur le fond de tout ceci, on peut noter une centration d’intérêt de plus en plus nette depuis une quinzaine d’années sur les dysfonctionnements interactifs en rapport avec une psychopathologie maternelle (dépressions maternelles postnatales notamment) et l’avènement récent du concept de « psychiatrie périnatale », John Cox ayant été nommé dans les années 1990 à la tête de la première chaire existante de psychiatrie périnatale, à Londres.
Le premier congrès international de psychiatrie péri-natale a eu lieu à Monaco en 1996 à l’initiative de Philippe Mazet et de Serge Lebovici, et la littérature dans ce domaine croît désormais de manière véritablement exponentielle.
De ce survol très cursif et bien évidemment fort incomplet, ce qu’il faut surtout retenir c’est d’une part la longue période qui a précédé et préparé l’émergence de la psychiatrie du bébé et d’autre part les deux lignes de force qui articulent ce domaine depuis le début et jusqu’à maintenant – à savoir : la référence métapsychologique et la référence à la théorie de l’attachement.
Objet de la psychiatrie du bébé : principales problématiques:
L’objet de la psychiatrie du bébé est évidemment l’étude de la croissance et de la maturation psychiques du nouveau-né et du très jeune enfant (de 0 à 3 ans environ) ainsi que le traitement des perturbations de celles-ci.
Un élément principal de cette réflexion est désormais de ne plus considérer l’enfant comme un être hors relation et qui posséderait en quelque sorte son propre programme interne de développement susceptible de lui permettre de se structurer indépendamment des divers effets de rencontre.
Actuellement au contraire, le développement de l’enfant ne peut plus être conceptualisé que dans le cadre de son système interactif, dyadique et triadique, ce qui rejoint d’ailleurs la position de Sigmund Freud qui parlait déjà, en son temps, de « destins » et non pas de développement des pulsions, afin de ne pas se situer dans une vision par trop endogène qui aurait exclu le rôle de l’environnement (même s’il n’a pas eu le temps d’approfondir véritablement celui-ci).
Autrement dit, et selon Donald W. Winnicott, « un nourrisson tout seul, cela n’existe pas », ce qui signifie qu’un nourrisson tout seul ne peut ni survivre corporellement ni mettre en place les bases de son appareil psychique.
Les outils de la psychiatrie du bébé sont essentiellement constitués par l’approche clinique des différentes situations et ceci dans une perspective interrelationnelle, soit les diverses modalités d’observation directe des bébés et l’analyse microcomportementale des interactions (telle quelle se voit par exemple pratiquée au Centre d’étude de la famille, à Lausanne, par Elisabeth Fivaz-Depeursinge et ses collaborateurs), ainsi que par l’utilisation de toute une série de paradigmes expérimentaux et d’instruments d’évaluation liés, notamment, aux différentes données issues de la théorie de l’attachement (Strange Situation, Attachaient
Adult Interview, Still-Face, etc.) mais pas seulement (échelles d’interaction, GEDAN, etc.).
Dans le champ de la psychiatrie du bébé – plus encore qu’ailleurs -, la prise en compte du vécu contre- transférentiel du praticien se montre essentielle, en rai¬son du fonctionnement projectif intense propre à cette période de la vie.
A partir de là, quels sont les axes principaux de travail de la psychiatrie du bébé actuelle ?
De manière très schématique et en prenant le risque d’être réducteur, nous citerons ici :
1) Sur un plan très général et relativement expérimental, tout d’abord :
— l’étude des différents types d’interactions (biologiques, comportementales, affectives, fantasmatiques et symboliques ou présymboliques) ;
— l’étude des compétences précoces du bébé ;
— l’étude du développement cognitif ;
— l’étude du développement du langage ;
— l’étude de l’instauration des bases de l’appareil psychique et de ses différentes fonctions ;
— l’étude des systèmes dyadiques et triadiques.
2) Dans une perspective plus clinique et psychanalytique ensuite :
— l’étude des distorsions interactives et des dysfonctionnements relationnels précoces (situations de carence, organisations dépressives et psychosomatiques précoces, bébés à risque autistique ou psychotique, etc.) ;
— l’étude des modalités de la transmission inter et transgénérationnelle du matériel psychique ;
— la réévaluation de la théorie des pulsions, de la théorie de letayage et de la théorie de l’après-coup ;
— l’étude des modalités de passage de l’intersubjectif à l’intrapsychique ;
— la mise au travail de l’hypothèse d’une topique initiale indifférenciée (dyadique ou triadique) qui précéderait le processus de double différenciation extra et intrapsychique ;
— l’étude du système projectif intense et réciproque qui existe entre parents et bébé et pour laquelle les apports de la théorie de W. R. Bion, et de tout le courant post-kleinien se sont révélés décisifs ;
— l’étude des diverses psychopathologies parentales et de leur retentissement sur le développement de l’enfant (parents psychotiques, dépressions maternelles, personnalités limites…) ;
— la mise au point de modalités d’intervention précoces et analyse de leurs mécanismes d’action (thérapies conjointes parents-bébé, thérapies brèves, observations directes à visée thérapeutique selon une méthodologie dérivée de celle décrite par E. Bick…).
3) En référence à la théorie de l’attachement, enfin :
— l’étude des « modèles internes opérants » ( Working Internai Models) et de leur transmission intergénérationnelle ;
— l’approfondissement des différentes procédures d’attachement et de leur ontogenèse ;
— l’analyse des caractères de stabilité ou au contraire de plasticité des différents schémas d’attachement.
4) Pour conclure ces quelques lignes qui n’ont d’autre ambition que de fournir une vision générale de la psychiatrie du bébé à l’heure actuelle, nous insisterons sur quatre points :
— Cette discipline récente et prometteuse a à réfléchir sur les liens qui existent entre le bébé dit « observé » des pédiatres ou des psychologues expérimentaux du développement et le bébé dit « reconstruit » des psychanalystes. Ce débat, souvent polémique en France, pourrait pourtant s’avérer très heuristique (D. N. Stem).
— Les développements actuels de la psychiatrie du bébé ont conduit à l’émergence de la psychiatrie dite périnatale fondée sur une transdisciplinarité très intense. Cette psychiatrie périnatale représente probablement un deuxième temps très fécond d’articulation entre les somaticiens et les professionnels de la psyché, après l’époque des années 1960-1970 qui avait vu naître la collaboration entre pédiatres et psychanalystes d’enfants autour du registre de la psychosomatique précoce (M. Fain, L. Kreisler, M. Soulé).
— Si la psychiatrie du bébé se montre essentielle dans le champ de la prévention à court, moyen et long terme, elle se doit certainement d’éviter les pièges et les tentations de la prédiction.
— Enfin, si la psychiatrie du bébé représente bien entendu une extension de la discipline psychiatrique générale aux âges les plus tendres de la vie, elle représente en même temps beaucoup plus que cela, offrant une possibilité nouvelle d’étude de la mise en place, chez l’être humain, des processus de subjectivation, de symbolisation, de sémiotisation et de sémantisation.
Finalement, on retiendra que la croissance et la maturation psychiques du bébé se situent à l’exact entrecroisement de l’endogène et de l’exogène, imposant de ce fait une approche résolument polyfactorielle et multidimensionnelle de leurs processus et de leurs perturbations, ce qui rejoint, mutatis mutandis, la notion freudienne de « série complémentaire ».
Pour se construire, même les bébés ont besoin d’une histoire, et d’une histoire qui ne soit pas seulement une histoire biologique, génétique et médicale, mais d’une histoire qui soit aussi, et fondamentalement, une histoire relationnelle.
L’histoire est, partout et toujours, la cible de toutes les dictatures, et chaque fois que nous oublions l’histoire des sujets dans nos pratiques cliniques ou dans nos modélisations, nous courons le risque d’être extrêmement réducteurs et traumatiques.
C’est dans cette perspective que se voient désormais appréhendées un certain nombre de problématiques chez le bébé avec, en toile de fond, la prise en compte d’une narrativité analogique et préverbale préparant l’accès au langage verbal et à la narrativité verbale (on citera ici les travaux d’U. Eco sur les processus de production des signes), et l’importance de la prise en compte du contre- transfert du clinicien dans sa dimension inévitablement phénoménologique.
Un mot enfin sur le concept de psychiatrie périnatale :
— De la conception à 12 ou 18 mois.
— Concernant le prépartum et le post-partum.
— Centré sur l’étude du système père-mère-bébé (ce qui arrive à l’un arrive à l’autre, les dépressions maternel¬les et les dépressions du bébé devant alors être conceptualisées comme des maladies de l’interaction).
— Les troubles de la mère en post-partum (post-partum blues, dépressions maternelles postnatales et psy-choses puerpérales) ont été, jusqu’à maintenant, plus étudiés que la période du prépartum et les difficultés du père.
— Champ d’application d’une indispensable et très féconde transdisciplinarité.
— Problème de santé publique mais il importe ici de savoir résister soigneusement à toute tentation linéaire qui ferait des troubles du bébé la conséquence directe et automatique des troubles psychopathologiques parentaux, ceux-ci n’étant toujours qu’un élément, parmi d’autres, du modèle polyfactoriel de la psychopathologie.
Les dépressions du bébé:
Nous avons assisté, peu à peu, à un formidable affinement sémiologique de ces différents tableaux (atonie psychique, retrait interactif, ralentissement psychomoteur, désorganisation psychosomatique), et à un démembrement nosologique précieux (carences quantitatives de R. Spitz et de J. Bowlby, carences qualitatives avec les tableaux de « dépression blanche » et de « syndrome du
comportement vide », carences mixtes) mais lepidémiologie des dépressions du bébé demeure encore balbutiante, en raison de nos outils épidémiologiques qui ont toujours du mal à prendre en compte conjointement les difficultés de l’enfant, celles de l’adulte et les spécificités du lien qui les unit.
Les bébés à risque autistique:
La question est aujourd’hui de savoir dépister les bébés qui ont besoin de nous sans les enfermer dans la prédiction d’un devenir psychopathologique étroit, et en laissant ouvertes un certain nombre de potentialités évolutives.
Plus le dépistage est précoce, plus il importe, en effet, de réfléchir à une éthique attentive du maniement des informations afin de ne pas figer les parents, par une pré-diction délétère, dans leurs fantasmes de disqualification et afin de ne pas renforcer les risques des dangers mêmes que l’on prétend dénoncer.
Seule la prévention se justifie ici, et non pas la prédiction.
L’utilisation d’outils comme le CHAT (Check-list for Autistic Toddlers) doit être inscrite dans cette réflexion.
Tout ceci sous-tend l’essor considérable des techniques d’intervention précoce qui changent tout au devenir psychologique des enfants (observations directes, visites à domicile, soutien social, offre de continuité, thérapies conjointes …).
Nous savons mieux aujourd’hui ce qu’il faut faire pour être utiles aux bébés, mais de multiples obstacles (et pas seulement économiques) s’opposent souvent à la mise en pratique de nos connaissances nouvelles, et notamment le fonctionnement psychique des bébés eux- mêmes ainsi que notre ambivalence inconsciente à leur égard, ce qui est d’autant plus frustrant.
L’enfant:
Nous ne citerons, ici, que quelques exemples paradigmatiques de la pédopsychiatrie actuelle dans le champ de cette tranche d’âge (3 à 10 ou 12 ans) en y associant seulement la mention lapidaire de quelques lignes de force de la réflexion actuelle.
• L’autisme infantile précoce et les troubles apparentés :
— Epidémiologie et sex-ratio (« épidémie » apparente depuis l’usage du DSM III, en 1986).
— Vaste ensemble à démembrer (autismes au pluriel).
— Précurseurs polyfactoriels et « processus autistisant » (J. Hochmann).
— Vulnérabilité génétique (modèle d’une épigenèse épistatique).
— Analyse des films familiaux.
— Entrave profonde à l’intersubjectivité et trouble des racines de l’humanisation psychique.
— Maladie mentale plutôt que handicap.
— Centres Ressources (crédits Simone Veil, 1996).
• La latence n’a pas dit son dernier mot (attention à ne pas l’oublier) :
— Les difficultés scolaires : affaire de QI ou de procédures cognitives ?
— Intelligences hétérogènes (retards d’organisation du raisonnement et dysharmonies cognitives).
— Latences à répression ou à refoulement (P. Denis) ?
— Liens entre dépressions infantiles, phobies, obsessions, psychoses maniacodépressives et pathologies limites.
• Le paradigme emblématique de l’hyperactivité :
— Evaluation ou compréhension ? (Le choix thérapeutique en dépend.)
— Tout se passe un peu comme si plus une société était agitée, moins elle tolérait l’hyperactivité de ses enfants.
L’adolescent:
La notion de crise d’adolescence continue à centrer nos réflexions, même si elle s’est quelque peu relativisée.
On insiste désormais sur les mouvements dépressifs physiologiques de cette période de la vie en raison de la mise en jeu de « deuils » multiples : de l’image de soi toute-puissante, de l’image idéalisée des parents, de la stabilité relative de la latence, d’un corps non entièrement sexué.
Le concept de Breakdown des LAUFER a eu beau¬coup de succès, et un approfondissement de la dynamique à l’œuvre dans les tentatives de suicide des adolescents a pu alors avoir lieu (faire taire les mauvaises parties de soi, flirt avec la mort et vérification de l’invulnérabilité supposée).
On considère actuellement que 20 % d’adolescents se trouvent en difficultés mais pas qu’ils sont tous, pour autant, psychopathologiques (Ph. Jeammet).
Quels sont les éléments qui peuvent rendre l’adolescence d’aujourd’hui plus difficile qu’auparavant ?
— Le délai de plus en plus long entre la puberté physique et la puberté sociale.
— L’intensification des identifications parentales à rebours.
— La dimension ordalique de l’adolescence elle- même, compte tenu de la disparition des rituels sociaux en la matière.
— Les effets de résonance entre mutation pubertaire et mutation sociale.
Le besoin de maîtrise étant toujours au premier plan, les adolescents vérifient aujourd’hui que lorsque tout échappe, il demeure qu’on peut toujours maîtriser l’échec et le sabotage.
À quoi s’ajoute la problématique de la dépendance désormais intensément étudiée. Les adolescents ont à la fois besoin et peur de la dépendance (l’adolescent se sent persécuté précisément par ce dont il sent qu’il a besoin).
D’où la difficulté à trouver la bonne distance relationnelle et thérapeutique avec eux, ce que Philippe Jeammet exprime sous le terme de « syndrome corse » (si on s’en occupe, ils se sentent persécutés, mais si on les laisse libres, ils se sentent abandonnés !).
De nombreux auteurs réfléchissent désormais aux racines périnatales de la violence, en considérant que l’agressivité des adolescents renvoie peut-être, en partie, à une agressivité ancienne du bébé envers l’environnement périnatal dépressif et carencé afin de s’assurer de sa résistance et de sa solidité, malgré tout.
Quant aux psychotropes comme « outils de liberté » (Ph. Jeammet), leur utilisation fait l’objet de nombreuses études de plus en plus documentées, mais il faut bien comprendre que ce ne sont pas les neuroleptiques qui résoudront le problème de la violence dans les banlieues, ce dont les politiques commencent, enfin, à s’apercevoir.