La pandémie grippale de 2009: Chronique d'une pandémie annoncée
Tout commence le 24 avril dernier : une succession de dépêches tombent en rafales dans les rédactions pour annoncer que la grippe A (H1N1) a déjà tué au moins vingt personnes au Mexique, contaminé des centaines de malades et serait responsable d’une soixantaine d’autres décès. Elle progresserait rapidement aux Etats-Unis et au Canada, alarmant les experts médicaux de ces pays ; on compterait alors une dizaine de cas suspects en Amérique du Nord. De son côté, le Mexique lance une campagne de vaccination (!) et prend des mesures prophylactiques draconiennes : les écoles sont fermées, la population est invitée à limiter ses déplacements, les regroupements dans les lieux publics sont interdits et des masques de protection sont distribués par l’armée.
Aussitôt, les autorités sanitaires mondiales se mettent en état d’alerte. Le lendemain, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’OMS, prévient le monde du «potentiel pandémique» du nouveau virus de grippe d’origine porcine de type A (H1N1) se transmettant d’homme à homme. Au moins quatre foyers sont découverts au Mexique, qui décrète l’isolement de ses malades. En quelques jours, les mesures de vigilance se multiplient dans le monde. L’OMS fait savoir que le virus peut muter et s’avérer alors «beaucoup plus dangereux ».
Le 27 avril, l’Europe est à son tour touchée : trois premiers cas sont recensés. Le niveau d’alerte international passe de 3 à 4 sur une échelle de 6. Les jours qui suivent donnent lieu à une progression de l’épidémie, qui atteint l’Amérique centrale et le Pro- che-Orient. Le 29 avril, un premier décès imputable à la grippe survient aux États-Unis, (un bébé mexicain est mort au Texas). Tandis que le virus se propage en Europe (notamment en Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Autriche et Suisse), l’OMS relève à 5 son niveau d’alerte et appelle à se préparer à une pandémie «imminente». Les premiers cas avérés endogènes sont diagnostiqués aux Etats-Unis, en Espagne, puis en Allemagne.
Tout début mai, le virus apparaît en Asie, – en Corée du Sud et à Hong-Kong. Au Canada, le premier cas de contagion homme-porcs est révélé. Pourtant, le terme de «grippe porcine» est impropre, car le virus n’a pas, à ce jour, été isolé sur des animaux. Il serait en fait un «cocktail» créé par «des réassortiments de différents virus d’origine porcine, aviaire et humaine», explique fin avril le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale, Bernard Vallat. Quoi qu’il en soit, l’on craint de plus en plus une résurgence ultérieure du virus sous une forme plus virulente. Le 6 mai 2009, un séquençage génétique du virus H1N1 est effectué à Ottawa. La semaine suivante, le virus fait ses premières victimes au Canada et au Costa Rica. Au même moment, la Chine place des dizaines de personnes en quarantaine pour lutter contre la propagation d’un virus qui se montre beaucoup plus contagieux qu’on ne l’avait imaginé. Le 16 mai 2009, un premier cas de transmission locale est révélé au Japon, puis dix jours plus tard, en Chine.
Début juin, c’est au tour du continent africain d’être touché. L’Egypte enregistre son premier décès. Viennent ensuite le Chili et la République dominicaine.
Le 9 juin, le bilan mexicain passe à 108 morts, tandis que la Colombie enregistre sa première victime. Deux jours plus tard, l’OMS déclenche le niveau six d’alerte, qui correspond à «l’état de pandémie mondiale». À cette date, le virus A (H1N1) a contaminé 26 563 personnes dans 73 pays, faisant 140 morts. Un mois plus tard, la propagation du virus est de plus en plus rapide. L’OMS s’inquiète aussi du fait que le virus cause un nombre «disproportionné» de «maladies graves» parmi des personnes âgées de 30 à 50 ans et qu’il risque d’affecter plus durement les pays en développement. Elle précise qu’il est important que les pays affectés maintiennent leur niveau de vigilance et que ceux qui ne sont pas encore touchés se préparent. La Directrice Générale de l’OMS, Mme Chan, demande aux laboratoires de «s’atteler rapidement» à la production d’un vaccin, aussitôt qu’ils auront terminé celui contre la grippe saisonnière. Car, même si le monde est mieux préparé qu’il ne l’a jamais été face à la première pandémie de grippe du XXIc siècle, l’OMS prévoit que le virus de cette nouvelle grippe «va circuler dans le monde entier pendant un à deux ans».
Mercredi 14 juillet, l’Australie dit compter plus de 10000 malades de la grippe porcine, précisant que «le nombre de cas réels pourrait être plus élevé». Le Japon recense le même jour 3 000 personnes infectées sur son territoire, dont plus de 1 000 au cours de la dernière semaine. L’Allemagne envisage désormais de vacciner un tiers de sa population; l’Italie, officiellement épargnée jusqu’alors, prévoit entre 3 et 4 millions de cas au cours de l’hiver. Au Royaume-Uni, la tension monte d’un cran, depuis qu’un médecin sans antécédents particuliers est mort début juillet, après avoir contracté le virus. Près de 10000 contaminations sont confirmées à la mi-juillet en Angleterre, mais le nombre de cas réels pourrait se chiffrer en centaines de milliers. Signe de l’impuissance générale : face à l’explosion de l’épidémie, les autorités britanniques renoncent à confirmer systématiquement la présence du virus H INI. Quant à la France, elle annonce le 15 juillet, par la voix de ses ministres de l’intérieur et de la santé, avoir passé commande de 94 millions de vaccins auprès de trois laboratoires, pour un montant d’un milliard d’euros, et une délivrance prévue au mois d’octobre.
Les chiffres mondiaux officiels publiés à la fin juillet font donc état d’environ 147607 cas authentifiés et 1012 morts. Mais, peut-on vraiment se fier aux chiffres ?
Afin d’éviter la confusion avec les quelques cas de la grippe saisonnière qui subsistent à cette saison et avec d’autres infections respiratoires, il a été convenu que seuls les cas ayant fait l’objet d’une validation virologique (prélèvement et diagnostic comportant l’identification du virus) seraient comptabilisés par l’OMS. Il est i vident que beaucoup de cas échappent à cette procédure complexe, surtout dans les pays où l’infrastructure technique est plus faible.
Le British Médical Journal confirme cette situation alarmante, par une étude révélant que le nombre de cas et la mortalité de la grippe A seraient bien supérieurs aux statistiques officielles. La propagation du virus est en réalité beaucoup plus rapide que ce que les chiffres publiés laissent entendre. Or, l’absence de données fiables pourrait aussi retarder la prise en compte d’une mutation du virus. Car à quelques semaines de la fin de l’été et des premiers rhumes automnaux, le décalage expose à de lourdes répercussions : croisé à la grippe saisonnière, le virus H1N1 aurait toutes les chances de gagner en virulence et en dangerosité.
Les projections les plus pessimistes vont bon train, mais nul ne saurait prédire avec précision l’avenir du virus. En attendant, chaque pays prend les précautions qu’il juge nécessaire pour protéger sa population. Bien que l’OMS ait recommandé aux États de ne pas fermer leurs frontières et de ne pas restreindre les voyages du fait de l’épidémie, ils sont nombreux à avoir renforcé leurs contrôles aux aéroports et à déconseiller les voyages non indispensables au Mexique. Dès fin avril, le Japon a demandé à ses ressortissants séjournant au Mexique de rentrer au plus tôt. La Chine a promis de dévoiler dès que nécessaire tout cas humain de grippe porcine. Même si la consommation de porc n’est pas source de contamination, plusieurs pays ont restreint leurs importations de viande porcine. Et dans ce domaine, l’Egypte est allée encore plus loin.
Au nom de la protection de ses citoyens, l’abattage de tous les porcs du pays y a été préconisé par la force, dès la fin du mois d’avril. «Il a été décidé de commencer immédiatement à égorger tous les porcs en Egypte en faisant tourner les abattoirs à leur maximum », claironnait le ministre égyptien de la Santé Hatem el-Gabali le 27 avril. 300 à 400 000 bêtes sont aussitôt éliminées, provoquant la colère des chrétiens coptes qui en sont les éleveurs exclusifs dans un pays où le cochon est considéré comme impur. Sous prétexte d’une mesure d’hygiène, pourtant considérée par les scientifiques comme absolument inutile, l’Egypte a davantage donné des gages aux islamistes qu’aux médecins et experts qui n’avaient rien demandé de tel.
En Argentine, où un bilan chiffré début juillet fait ii.it de 100000 personnes infectées et de 137 morts, la circulation du virus est facilitée par les basses températures de l’hiver austral (dans l’hémisphère sud, la saison hivernale commence début juillet). L’état d’urgence est décrété par certaines autorités locales, à Buenos-Aires et dans plusieurs provinces. Les tribunaux sont fermés et 45 000 fonctionnaires sont mis en congé maladie dans la province de la capitale. Les médecins hospitaliers se plaignent du manque de matériel permettant un diagnostic rapide. «Plus d’alcool en gel, ni de masques antigrippe», affichent les pharmacies. La capitale s’est transformée en ville fantôme : les théâtres privés ont suspendu leurs programmes ; les centres commerciaux, les transports publics, les bars et les restaurants sont à moitié vides. Et dans les cinémas qui restent ouverts, les spectateurs sont systématiquement séparés par un fauteuil inoccupé. En revanche, défiant tous les conseils de prévention, des milliers d’amateurs de football continuent de remplir les stades.
Est-ce dans l’espoir d’être contaminé plus vite pour développer des anticorps contre la maladie ? C’est en tout cas l’objectif revendiqué des amateurs de plus en plus nombreux de soi-disant «swine flu party», dont une rumeur diffusée sur le réseau social virtuel Face- book suggère l’existence aux États-Unis et en Angleterre. Le principe est simple : comme cela a déjà été pratiqué pour la varicelle, réunir dans un même endroit un jeune atteint du virus et ses amis bien portants pour faire la fête, histoire d’attraper le virus une bonne fois pour toutes, et d’échapper, croient-ils, aux conséquences plus graves de l’éventuelle mutation de la grippe A. Le National Health Service juge cette mode irresponsable, car en attrapant volontairement le virus, les sujets contribueraient à aggraver la diffusion de l’épidémie. De plus, rien ne prouve que certains de ces malades volontaires ne souffriraient pas gravement de l’infection en cas de facteurs de risque insoupçonnés.
Les rassemblements publics restent déconseillés. Le plus célèbre d’entre eux, qui réunit chaque année environ deux millions et demi de personnes a de quoi inquiéter l’OMS. Il s’agit du pèlerinage à la Mecque, traditionnellement prévu pour la fin du mois de novembre, qui fait l’objet de toutes les craintes. Les autorités sanitaires d’Arabie Saoudite n’ont pas encore pris de décision. Mais puisqu’il est inconcevable d’annuler le pèlerinage, des plans de secours sont actuellement à l’étude pour pallier les conséquences d’une contagion et d’une diffusion massives. Le déplacement est d’ores et déjà déconseillé aux sujets fragiles et aux femmes enceintes.
En attendant, un peu partout sur la planète, et surtout dans les grandes villes, on traque le moindre signe du virus. Quiconque éternue, tousse ou se mouche est jugé (voire se sent lui-même) suspect d’être porteur de la grippe, et de représenter une menace pour ses concitoyens. Et il faudrait être sourd et aveugle, pour échapper à la peur diffuse de la pandémie qui infiltre les esprits. Plus un journal télévisé, ni un flash radio sans de nouvelles informations sur la grippe, quant à sa prise en charge, au rôle des hôpitaux et des médecins généralistes, à l’état des stocks de Tamiflu® (antiviral), à son retour dans les officines ou à la préparation du vaccin.
Depuis le mois d’avril, le site internet dédié par le gouvernement au suivi quotidien des pandémies grippales a bien entendu connu un sursaut dans ses statistiques de fréquentation. Des bulletins épidémiologiques y sont publiés tous les deux jours, proposant au citoyen averti un bilan régulier du nombre de cas signalés, confirmés, groupés ou en cours d’investigation, sur le territoire français et dans le monde. L’institut de veille sanitaire édite également un bulletin hebdomadaire, et de manière générale, le net est totalement trusté, de manière souvent délirante, par des informations et de la désinformation sur le H1N1.
Vidéo : La pandémie grippale de 2009: Chronique d’une pandémie annoncée
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La pandémie grippale de 2009: Chronique d’une pandémie annoncée
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