L'insomnie et les maladies mentales
De graves troubles du sommeil font partie du tableau clinique de nombreuses maladies mentales. Dans des syndromes psychiatriques qui découlent de la démence, par exemple, les troubles du sommeil sont un autre aspect de l’agitation globale. Les malades sont susceptibles de se réveiller perdus et désorientés, et, parfois, ils se conduisent de manière automatique par exemple, ils sont atteints de somnambulisme.
Dans une étude effectuée au Technion Sleep Laboratory sur des patients atteints de grave démence, nous avons découvert que la majorité d’entre eux souffrait de troubles du sommeil, affectant aussi bien la continuité de leur sommeil que sa durée. Il n’est pas impossible que ces problèmes d’insomnie soient causés par la dégénérescence des centres cérébraux qui contrôlent la régularité du sommeil, ou des voies nerveuses qui conduisent à ces centres.
De graves troubles du sommeil sont caractéristiques aussi de patients qui souffrent de schizophrénie ou d’autres psychoses. Une difficulté à s’endormir et des réveils fréquents sont susceptibles de se développer à cause de l’anxiété qui s’ajoute aux forts soupçons des patients, aux sentiments de culpabilité, ou à des processus déréglés de pensée. Les malades sont parfois effrayés à l’idée de dormir à cause de l’illusion que quelque chose de terrible va leur arriver. Parfois, des pensées turbulentes diurnes ou nocturnes les empêchent de s’endormir : le degré de perturbation du sommeil est proportionnel à la gravité des symptômes psychiatriques.
Les études menées en laboratoire n’ont révélé aucun symptôme typique du sommeil des psychotiques, mais quelques comptes rendus indiquent que les patients schizophréniques auraient, comme les patients dépressifs, des latences REM raccourcies, et qu’au moins la moitié d’entre eux souffriraient d’un sommeil profond réduit environ de moitié. Dans presque tous les cas, les troubles du sommeil ne constituent pas la principale source de souffrance du patient psychotique ; la littérature médicale sur ce sujet rapporte, en revanche, le cas de crises psychotiques qui surviennent après une période d’insomnie aiguë.
En d’autres termes, le manque de sommeil prépare le terrain, pour ainsi dire, de la crise mentale. Il faut donc prêter une grande attention aux graves problèmes de sommeil qui apparaissent soudain chez les jeunes gens, surtout quand ils sont accompagnés d’une grave anxiété sans raison apparente, de dysfonctionnements des processus de pensée ou d’hallucinations terrifiantes.
La seule maladie mentale qui inclue des troubles caractéristiques du sommeil et dans laquelle la configuration du sommeil des patients montre des signes typiques est la dépression. Il est rare de rencontrer des patients dépressifs qui ne souffrent pas d’une perturbation de leur cycle veille-sommeil, et la majorité d’entre eux se plaint d’insomnie. Les deux formes de dépression dans lesquelles le sommeil a été étudié sur une vaste échelle sont la dépression majeure et l’état maniaco-dépressif. Ce dernier est caractérisé par la succession d’épisodes dépressifs et maniaques, au cours desquels le patient oscille d’une grave dépression à un état extrême d’hyperactivité. Toutes les formes de dépression ont en commun une humeur maussade, une perte d’intérêt pour ce qui arrive, une incapacité à éprouver de la joie ou du plaisir. D’autres symptômes sont la perte de l’appétit, la fatigue, la nervosité, des sentiments de culpabilité et de perte de l’estime de soi-même, de la difficulté à se concentrer. Des pensées suicidaires et même des tentatives de suicide ne sont pas rares. La fréquence des troubles du sommeil dans la dépression est si grande qu’ils servent même à la diagnostiquer.
Les enregistrements du sommeil des patients dépressifs montrent un certain nombre de changements caractéristiques, surtout dans la latence REM. Le sommeil REM, qui, chez les individus normaux, apparaît de soixante-dix à quatre-vingt-dix minutes après l’assoupissement, se déclare chez les patients dépressifs seulement trente à quarante minutes après l’endormissement, et même parfois moins. En outre, la durée du premier sommeil REM chez des sujets dépressifs est plus longue que chez des gens normaux, et leur sommeil plus agité ; il se caractérise, autrement dit, par une plus haute densité de mouvements oculaires. Les patients déprimés ont aussi un sommeil profond nettement diminué; ils tendent à se réveiller au milieu de la nuit et à ne plus pouvoir se rendormir. L’identification de ces changements dans les enregistrements du sommeil aide parfois à diagnostiquer la dépression elle-même, comme le montre l’exemple suivant.
Un jour, une infirmière obèse, dotée d’un court et maigre cou, vint me consulter au laboratoire de sowvoatil pour une fatigue diurne et de fréquents réveils nocturnes. Elle se plaignait aussi de ronfler bruyamment et d’être fourbue au réveil. Tous ces symptômes permettaient de privilégier l’hypothèse selon laquelle cette femme souffrait d’apnée du sommeil, mais ce diagnostic fut finalement abandonné car il n’y avait dans son cas aucune preuve de désordres respiratoires. Le résultat le plus tangible des enregistrements du sommeil était l’apparition du premier sommeil REM environ vingt minutes après l’assoupissement. Il se prolongeait pendant plus de quinze minutes et était particulièrement agité. Quand je revis l’infirmière pour discuter de ses résultats, la première question que je lui adressai était celle de savoir si elle n’avait remarqué aucun changement de son humeur pendant les dernières semaines. À peine avais-je formulé à haute voix la question qu’elle éclatait en sanglots déchirants. Dans un état d’agitation extrême, elle m’avoua que, depuis de nombreuses années, sa mère souffrait d’une grave dépression qui avait requis une hospitalisation et des soins spécifiques.
Elle craignait d’être, elle aussi, atteinte de la même maladie. Au lieu de s’adresser à un médecin, elle en avait simplement nié la possibilité et s’était convaincue elle-même que les changements qui étaient survenus dans son comportement avaient pour cause des problèmes respiratoires pendant le sommeil. Un traitement à base d’antidépresseurs entraîna une importante amélioration de son état, et les troubles du sommeil disparurent complètement.
En réalité, dans tous les cas où les troubles du sommeil s’ac-compagnent de désordres psychiques, le traitement doit porter d’abord et avant tout sur les perturbations mentales. Bien qu’il faille parfois suivre un traitement pour les troubles du sommeil, aucune amélioration ne peut survenir si l’état mental du malade ne s’amé-liore pas.