l' indifference du mécanisme du reve
Grâce à la fenêtre ouverte sur le monde des rêves par les découvertes physiologiques du sommeil REM, il devient possible de tenter de reconstruire les expériences de Maury en utilisant une procédure susceptible de contrôle et en soumettant le dormeur à des stimuli au moment précis où il rêve. De nombreux chercheurs se sont efforcés d’intervenir pendant le cours du rêve ; certains d’entre eux versaient des gouttes d’eau froide sur le pied du dormeur, d’autres se contentaient de faire du bruit, d’émettre des sons musicaux ou de prononcer simplement le nom du dormeur. D’autres encore faisaient dormir leur patient les paupières ouvertes et leur envoyaient des flashes lumineux dans les yeux pendant la phase de sommeil REM. On découvrit que la contribution des stimuli externes à l’histoire du rêve était au mieux partielle, voire marginale. Il n’y avait pas un seul cas où les stimuli externes devenaient le sujet central du rêve, et, dans beaucoup de cas, le stimulus n’apparaissait pas du tout à l’intérieur du songe. La déception provoquée par l’impossibilité de détourner l’attention du rêveur de la création du rêve vers les canaux de l’information sensorielle conduisit Allan Recht- schaffen, l’un des plus éminents chercheurs contemporains sur le sujet, à baptiser le processus de création du rêve « processus monomaniaques » (single-minded process). La possibilité que des stimuli ayant leur origine dans le corps lui-même aient une influence significative sur le « montage » des rêves fut, elle aussi, rejetée. Micha Gross, arrivée de l’université de Zurich dans mon laboratoire pour y achever ses études doctorales, examina cette question dans des conditions fiables. Il étudia les rêves de personnes qui souffraient d’apnée du sommeil. Ce trouble du sommeil particulier, que je discuterai en détail au chapitre xix, est caractérisé par des centaines d’arrêts de la respiration, chacun d’eux durant entre vingt et quarante secondes. Il n’y a pas de doute que l’arrêt de la respiration constitue un stimulus physique puissant dont les impressions sensorielles atteignent rapidement le cerveau. Pendant 1 apnée, le niveau d’oxygénation du sang chute, et des changements dramatiques se produisent aussi bien dans le rythme cardiaque que dans la tension artérielle. Ces modifications qui atteignent le cerveau entraînent le réveil du dormeur et l’empêchent ainsi de suffoquer. Puisque l’apnée du sommeil se produit au cours de tous les stades du sommeil, incluant le sommeil REM, nous avons étudié les rêves de personnes atteintes par ce syndrome : nous pensions que les scénarios oniriques des sujets qui s’arrêtent de respirer pendant leur sommeil devaient contenir des détails liés à la suffocation, aux difficultés respiratoires, ou encore une peur ou une anxiété issues du stress auquel ils étaient soumis. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que pas un seul des rêves parmi les centaines effectués par les malades souffrant d’apnée du sommeil ne contenait des éléments touchant de près ou de loin à la respiration ou à la suffocation ! Il fut tout aussi impossible de repérer des rêves significatifs d’anxiété évidente. Ces conclusions confortaient la thèse de Rechtschaffen concernant le caractère « monomaniaque », imperméable, du mécanisme de création du rêve pendant le sommeil. Ce mécanisme est presque entièrement isolé vis-à-vis des zones du cerveau dont la fonction réside dans la réception sensorielle.