L’environnement anticancer : La maladie des riches
Précurseur comme souvent, le général de Gaulle a été à l’origine du premier centre international de l’OMS pour « déterminer les causes du cancer », créé à Lyon en 1964 sous le nom de Centre international de recherche sur le cancer. C’est aujourd’hui le plus grand centre d’épidémiologie sur le sujet. L’épidémiologie est un véritable travail de détective qui cherche par association et déduction à identifier la cause des maladies et à en suivre la progression. Cette science des épidémies est apparue à l’époque où les villes d’Europe et d’Amérique étaient régulièrement dévastées par le choléra. Au milieu du xixe siècle, on n’avait pas encore découvert l’existence des microbes. Le choléra restait sans explication. Il en était d’autant plus terrifiant.
Lorsque les épidémiologistes n’ont pas encore identifié la cause d’une maladie, il arrive que les autorités sanitaires disent n’importe quoi pour rassurer la population et entretenir la confiance dans les mesures officielles. En 1832, désemparé devant l’ampleur d’une nouvelle épidémie, le Conseil médical de la ville de New York publia un édit selon lequel les victimes du choléra étaient des personnes « imprudentes, au tempérament excessif, ou qui prennent des médicaments en excès ». Pour éviter la maladie, il était recommandé de ne pas boire d’alcool, d’éviter les courants d’air, d’observer des habitudes de vie strictes, et de ne pas manger de salade10. Si la découverte du bacille du choléra par Robert Koch en 1882 a bien permis d’établir le rôle joué par la salade crue, le reste était digne des médicastres de Molière.
Annie Sasco se souvient que, à l’âge de 12 ans, elle avait écrit dans son journal qu’un jour elle serait médecin et qu’elle travaillerait pour l’OMS. Peut-être était-ce en partie pour démontrer à son père, brigadier de police, ancien résistant, passionné par les enquêtes compliquées, qu’elle aussi saurait se battre pour de grandes idées. Après des études de médecine en France et un doctorat d’épidémiologie à Harvard, elle a effectivement passé vingt-deux ans au Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS. La quête de données fiables l’a emmenée sur le terrain, en Chine, au Brésil, en Amérique centrale, en Afrique. La cartographie du cancer établie grâce à ces enquêtes donne les meilleures pistes pour résoudre l’énigme de la brusque expansion de la maladie. Elle affiche sur son écran d’ordinateur les cartes correspondant à l’incidence des différents cancerset compare les pays les plus touchés et les moins touchés. La première est d’une clarté aveuglante : les cancers du sein, de la prostate, du côlon sont des maladies des pays industrialisés, et particulièrement des pays occidentaux. Il y a 9 fois plus de ces cancers aux États- Unis ou en Europe du Nord qu’en Chine, au Laos ou en Corée, et 4 fois plus qu’au Japon (voir cahier illustré, figures 1 et 2).
Au vu de ces cartes, on ne peut s’empêcher de se demander si les gènes asiatiques ne jouent pas un rôle protecteur contre ces cancers. Mais ce n’est pas une question de gènes. En Chine où elle enquêtait sur le cancer du sein, Annie Sasco avait demandé à un confrère chinois comment il expliquait qu’il y lit si peu de femmes touchées. Avec un air amusé, il lui avait ¿pondu : « C’est une maladie des femmes riches. Vous la trouverez à Hong Kong, mais pas ici… »
De fait, chez les Chinois et les Japonais installés à Hawaï mi dans le Chinatown de San Francisco, les taux de cancer se rapprochent très vite de ceux des Occidentaux13’14. Et dans les dix dernières années, les taux de cancer dans les grandes villes chinoises, et à Hong Kong, ont triplé.
Dans son introduction au rapport du Centre international de recherche sur le cancer, le directeur général de l’OMS conclut que «jusqu’à 80 % des cancers pourraient être influencés par des facteurs externes, tels le style de vie et l’environnement ». De fait, le plus grand succès occidental dans la lutte contre le cancer est la quasi-disparition du cancer de l’estomac dans les pays industrialisés. Alors que tous les jeunes externes des années 1960 étaient familiers avec ce cancerparticulièrement grave et fréquent, il est aujourd’hui devenu tellement rare qu’on ne l’enseigne pratiquement plus dans les facultés de médecine. Sa disparition en quarante ans est attribuée à l’amélioration de la chaîne du froid dans l’alimentation occidentale et à la réduction des méthodes de conservation à base de nitrates et de salaison : un facteur purement « environnemental ».
Il est aujourd’hui largement reconnu en biologie et en médecine que la présence de nombreuses substances toxiques dans l’environnement joue un rôle dans ce qu’on appelle la « carcinogenèse » : l’apparition des premières cellules cancéreuses dans l’organisme – puis leur transformation en une tumeur plus agressive. Dans un rapport récent, les experts du National Cancer Institute aux États-Unis soulignent que la carcinogenèse n’est pas seulement un processus déclencheur de la maladie, mais qu’elle continue après que la maladie s’est déclarée.
Il est donc essentiel de se protéger des toxines qui encouragent la croissance des tumeurs, qu’on soit en pleine santé ou déjà touché par la maladie. La « détoxification », ce concept fondamental de la plupart des médecines anciennes, chez Hip- pocrate comme dans la médecine ayurvédique, est aujourd’hui une nécessité absolue.
Comme presque tous ceux qui ont un jour reçu un diagnostic de cancer, j’ai voulu savoir ce que j’aurais dû faire pour l’éviter. À ma grande surprise, je n’ai reçu que des réponses évasives : « On ne connaît pas de façon formelle la cause de votre maladie. Ne fumez pas. C’est tout ce qu’on peut vous conseiller. » C’est vrai, en dehors du tabac et du cancer du poumon, il existe peu de preuves formelles que tel aliment, tel comportement, telle profession déclenchent tel cancer. Mais, comme nous verrons plus loin, il existe suffisamment de présomptions pour commencer tout de suite à se protéger. D’autant plus que l’effort exigé n’est pas écrasant.
Une cassure dans le siècle
Si les cancers sont plus fréquents en Occident, et s’ils augmentent depuis 1940, il convient d’examiner ce qui a changé dans nos pays depuis la guerre. Trois facteurs majeurs ont bouleversé notre environnement en cinquante ans :
- l’augmentation considérable de la consommation de sucre ;
- la transformation de l’agriculture et de l’élevage, et par voie de conséquence de nos aliments ;
- l’exposition à de multiples produits chimiques qui n’existaient pas avant 1940.
Il ne s’agit pas d’une évolution anecdotique. Tout porte à penser que ces trois phénomènes de société sont en cause dans le développement des cancers. Pour s’en protéger, essayons d’abord de les comprendre.
Vidéo : L’environnement anticancer : La maladie des riches
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