L'automatisme pendant le sommeil
Tôt ou tard, la plupart des enfants surmontent leurs difficultés à dormir et se conforment aux attentes de leurs parents. En grandissant, la plupart d’entre eux dorment tout au long de la nuit : leur sommeil est continu et réparateur pendant tout le reste de leur enfance. Quelques aspects du sommeil des enfants, cependant, sont beaucoup moins fréquents chez les adultes : le somnambulisme, les terreurs nocturnes, l’énurésie, les paroles à voix haute prononcées pendant le sommeil et le fait de se balancer dans son lit. Ces comportements automatiques parfois étranges ont suscité la perplexité des médecins depuis des siècles. Mais il y a bien longtemps que ces derniers sont conscients de leurs caractéristiques, comme il ressort de la description par Shakespeare du somnambulisme de Lady Macbeth, Il serait difficile de trouver une description plus explicite du somnambulisme, qui pût mieux souligner les caractéristiques si extraordinaires de ce comportement nocturne. Shakespeare, ici, inverse les rôles : c’est la Dame, la suivante de Lady Macbeth, qui éclaire le médecin sur les aspects les plus étranges du somnambulisme et parvient, chaque fois, à pointer les symptômes les plus importants de ce phénomène.
Ce désordre du sommeil, qui apparaît surtout chez les adultes lorsqu’ils sont soumis au stress, est, à l’instar de tous les autres automatismes du sommeil, plus fréquent chez l’enfant que chez l’adulte. Il ne survient que pendant le sommeil profond des stades 3 et 4. Le dormeur, soudain, s’assoit dans son lit, se lève et va faire un petit tour. Les yeux du somnambule sont grands ouverts mais, comme l’indique la Dame de Shakespeare, ils ne voient pas ; la personne ne s’oriente que de mémoire. Si elle rencontre sur son chemin des obstacles inattendus, elle peut se cogner à eux et tomber. Il est difficile de réveiller le somnambule ou de communiquer avec lui pendant la phase de somnambulisme. Le geste de Lady Macbeth de se laver les mains n’est pas non plus exceptionnel chez les somnambules. Pendant l’un des rares phénomènes de somnambulisme qui se soient déroulés au laboratoire de sommeil, un charmant petit garçon de six ans s’assit dans son lit, en sortit aussi loin que le lui permettaient les électrodes qui étaient attachées à lui, et il se mit à saluer autour de lui avec des gestes étranges et exotiques. Au matin, quand nous regardâmes la vidéo avec ses parents, nous nous aperçûmes que la raison de ces gestes de la main était beaucoup plus prosaïque : ils faisaient partie d’un spectacle organisé par son école dans lequel il jouait le rôle du soleil. On a donc tendance à reconstruire des comportements appris pendant la veille, à l’occasion de conduites automatiques qui se déroulent au cours du sommeil.
En fin de compte, le jugement du médecin de Lady Macbeth selon lequel « [il a] connu des gens qui se sont promenés dans leur sommeil et sont morts sainement dans leur lit » est vrai. Nous ne considérons pas le somnambulisme comme un trouble du sommeil qui porterait en soi un risque pour la personne ou comme une maladie qui exigerait un traitement. La majorité des enfants qui font du somnambulisme entre cinq et treize ans s’arrête progressivement, et leur trouble n’est plus qu’un épisode de l’histoire familiale. Très souvent, les conseils que l’on peut donner aux parents sur l’attitude à adopter avec des enfants somnambules, accompagnés de l’assurance que le somnambulisme va passer au bout de quelques années, suffisent amplement. Puisque les événements de somnambulisme surviennent pendant le sommeil des stades 3 et 4, ou pendant les deux premières heures du sommeil, les parents peuvent attendre qu’ils se produisent et aider leurs enfants à les vivre sans heurts. Il n’y a pas de raison de les réveiller, car, dans tous les cas, ils ne réagiront pas ; tout ce qu’il faut faire est de les diriger vers leur lit quand ils commencent leur petit tour. La plupart des enfants n’opposent aucune résistance et se rendorment bientôt comme si de rien n’était. Le matin, ils ne se souviennent plus de rien et ont complètement oublié leurs aventures nocturnes. Une petite fille de quatre ans, d’un kibboutz de la vallée de Jezréel, que nous avons examinée au laboratoire de sommeil avait l’habitude de se « réveiller » à onze heures tous les soirs, de quitter sa chambre et de marcher jusqu’à l’étable. Dans de tels cas, le somnambulisme peut présenter des dangers physiques réels, et il faut prendre des mesures pratiques pour prévenir le risque d’une blessure. Un autre enfant, dont la porte de la chambre à coucher menait directement dehors, quittait la maison et traversait une rue très passante. Nous recommandâmes, alors, soit de verrouiller la porte de sa chambre, soit d’en retirer la poignée la nuit.
En général, nous n’effectuons pas d’enregistrements du sommeil des enfants somnambules au Technisons Sleep Laboratory, à moins qu’il n’y ait un risque que cet épisode ne fasse partie d’une crise d’épilepsie nocturne. Une des raisons en est que les événements somnambuliques surviennent rarement à l’intérieur du laboratoire de sommeil. Le fait de dormir dans un environnement bizarre, attaché à un tas d’électrodes, semble supprimer les comportements automatiques. La plus grande partie des enregistrements du sommeil en laboratoire sont effectués sur de jeunes conscrits sur le point de partir pour l’armée. Dans des cas comme ceux-là, où l’on peut redouter que des épisodes de somnambulisme ne se déclenchent pendant le service militaire, il faut mener une investigation complète avant d’entreprendre tout traitement ou de prendre des mesures quelconques pour prévenir ce trouble du sommeil.
Bien que le somnambulisme radical soit la forme la plus grave de comportement automatique au cours du sommeil, le fait de s’asseoir sur son lit et de rejeter les couvertures — ou de s’asseoir simplement en écarquillant les yeux —, de parler, d’accomplir des mouvements rythmiques, 1 énurésie, le fait de grincer des dents (le bruxisme) et les frayeurs nocturnes tombent également sous la catégorie de ce que les spécialistes appellent « parasomnie ». La fréquence de ces événements nocturnes peut varier considérablement : de une fois dans sa vie à plusieurs fois par semaine. Les aspects communs à tous ces phénomènes sont leur lien avec le sommeil profond, une transition rapide du sommeil à la veille, leur tendance à passer au cours de l’adolescence et une activation inconsciente
des mécanismes moteurs. Un chercheur d’Ottawa, Roger Brough- ton, qui a amplement étudié les automatismes du sommeil, les a appelés « troubles du réveil du sommeil » (disorders of arousal from sleep).
Comme nous l’avons vu, il n’est pas nécessaire de prévoir une intervention thérapeutique dans beaucoup de ces cas ; il suffit de rassurer les parents et de les informer de la signification de ces troubles. C’est plus vrai encore dans le cas des terreurs nocturnes. Des parents qui sont confrontés pour la première fois à un enfant qui s’est réveillé d’une terreur nocturne font l’expérience d’un événement extrêmement inquiétant. Souvent, en entendant des cris qui glacent le sang, ils se précipitent dans la chambre de l’enfant et le trouvent assis sur son lit tout tremblant, le regard vide. L’accélération de son rythme cardiaque est évident, et il est difficile de le faire parler ; il est coupé de son environnement et ne réagit pas. Même après son réveil, il ne se souvient de rien, sinon vaguement d’un « animal » ou d’un « monstre » terrifiant qui « était tapi dans un buisson » et l’avait attaqué. L’effacement des détails de la terreur nocturne, dans la mémoire de l’enfant, contraste avec le souvenir clair et détaillé des cauchemars qui ont leur origine dans le sommeil REM. Dans ce cas, aussi, la seule chose à faire est de rassurer l’enfant et de le remettre au lit. Il n’y a pas de raison de l’amener à en parler le lendemain matin et d’accroître ainsi sa peur que quelque chose ne va pas dans son sommeil, parce que, dans tous les cas, il ne se rappellera plus rien. Les terreurs nocturnes ne se produisent pas, en général, plus d’une fois ou deux par mois, et elles disparaissent progressivement à l’adolescence.
Comme l’illustrent les errances nocturnes de Lady Macbeth, les adultes aussi peuvent souffrir de conduites automatiques pendant leur sommeil. Elles surviennent le plus souvent quand la personne est soumise à des tensions ou à un état de stress, et elles tendent à disparaître avec le stress lui-même. Dans les cas d’automatismes nocturnes qui ne passent pas, il faut faire des tests de laboratoire pour déterminer l’origine du problème.
Une forme de conduite automatique pendant le sommeil qui est propre exclusivement aux adultes est le trouble du comportement REM. Des patients qui ont un comportement violent, comme donner des coups de poing ou de pied, ou se ruer hors du lit en jouant leur rêve peuvent se faire mal ou faire mal à leur compagnon. Il faut les suivre médicalement pour éviter des conséquences fâcheuses.