Du sommeil aux rêves : Les rêves d'aveugles
Puisque les rêves sont, semble-t-il, essentiellement faits d’images mentales, il est surprenant de constater que des aveugles de naissance, qui ne peuvent donc avoir le souvenir de telles images, puisqu’il n’en ont jamais eu, rêvent cependant. Il semble, d’après les témoignages, qu’ils appréhendent en dormant les êtres et les objets de la même façon qu’éveillés, c’est-à-dire d’après leur forme, leur odeur, les sons qu’ils émettent, le souvenir de les avoir touchés, manipulés. Ils n’ont donc pas de rêves visuels, mais ils évoquent des sensations, des gestes, des mots, des abstractions aussi. Renée Buquet, aveugle, décrit ce qui se passe dans ces rêves. « Nos sensibilités, nous ouvertures vers le monde vont se déployer jusqu’à remplir le champ du sensoriel. L’absence de vision est gommée par les autres sensibilités. L’aveugle qui, dans la rue, se guide avec hésitation, avec, parfois, un excès de prudence, n’a plus peur, dans ses rêves, de se heurter à un obstacle et déambule, se fiant à la résonance de ses pas. Il arrive au rêveur aveugle de descendre très vite un escalier, il ne trébuche pas, dégringolant les marches à un rythme qui va croissant. » Les aveugles ne souffrent pas de ne pas avoir d’images dans leurs rêves, elles ne leur manquent pas. Les objets sont là, rendus par leur volume. Mais « le monde onirique de l’aveugle est avant tout constitué d’impressions, de situations, de discours, de voix – plus graves que dans la réalité, plus menaçantes parfois ». Dans le rêve d’aveugle, la différence avec les voyants s’estompe, sans être absente. Elle devient indifférente. « Rien de spécifique ne se dégage du contenu du rêve d’un aveugle. C’est sa façon de rêver, la construction du monde onirique qui s’avère originale par les matériaux mis en œuvre qui sont ceux dont il dispose dans sa vie quotidienne. » Les sujets qui ont perdu la mémoire, qui ont tout oublié de ce qui s’était passé pendant vingt ans, ont cependant des rêves, moins fréquents et moins riches, et surtout très mal organisés. Comme s’ils avaient perdu l’organisation temporelle, aussi bien séquentielle que chronologique, dit le neurologue Henri-Pierre Cathala.