Du sommeil aux rêves : Le sommeil paradoxal
Le sommeil est également lié au temps par son activité rythmique. Il est constitué chez l’homme d’une suite de quatre ou cinq cycles d’une heure et demie environ chacun, comprenant d’abord un sommeil léger, qui devient peu à peu plus profond, et qui est suivi par celui qu’on appelle « paradoxal », qui dure généralement une vingtaine de minutes et pendant lequel se produisent le plus fréquemment les rêves – qui peuvent cependant apparaître à d’autres moments du sommeil. Michel Jouvet a appelé ce sommeil « paradoxal », car il paraît profond, mais le seuil de vigilance y est élevé, et il est lié à une forte activité nerveuse ; le tonus des muscles est comme paralysé avec, cependant, des mouvements saccadés des yeux. L’activité électrique de l’écorce du cerveau y est forte, semblable à celle qui existe au cours de l’éveil. C’est le sommeil fondamental, indispensable, le plus important.
Il n’existe que chez les animaux à sang chaud. Des observations sur diverses espèces montrent qu’on ne peut pas priver longtemps les animaux de ce sommeil « paradoxal » : ils en meurent. Il est lié à de courtes périodes de réveil, qui traduisent l’état de vigilance qui subsiste pendant le sommeil. Ces réveils fugaces pourraient servir aux animaux à explorer rapidement du regard leur environnement, pour voir s’il ne s’y trouverait pas d’ennemis. C’est ce qu’on a appelé le «rêve- sentinelle ». De banales observations prouvent combien, chez l’animal, la vigilance est accrue pendant cette phase « paradoxale » du sommeil. Un canard prend son vol en une infime fraction de seconde, si vous tentez de le surprendre pendant son sommeil. Ce dernier est donc un exemple particulièrement démonstratif d’un rythme naturel qui possède un aspect prémonitoire, dans la mesure où il s’y passe des phénomènes préparant le sujet endormi à être à même de se réveiller et de réagir instantanément. On s’est longtemps demandé comment faisait le dauphin, qui risque de se noyer en dormant, car il est le seul animal qui contrôle volontairement sa respiration : si on l’anesthésie, il meurt asphyxié. Il possède une particularité surprenante : il ne dort qu’avec un hémisphère cérébral à la fois, l’autre contrôlant sa respiration.
Michel Jouvet propose une théorie originale : il se demande si ce sommeil « paradoxal » ne servirait pas à relier les informations nouvellement acquises à celles existant dans notre mémoire profonde, voire à faire beaucoup plus : assurer le maintien d’une mémoire encore plus profonde, celle de l’hérédité. C’est-à-dire que le sommeil permettrait au cerveau de se réadapter en permanence à son programme génétique, de reprogrammer le contenu génétique de la mémoire. Cette hypothèse est passionnante, mais difficile à vérifier. Pourtant, on a observé que de vrais jumeaux, issus du même œuf, ayant donc exactement la même hérédité, montraient au même moment des mouvements de yeux traduisant le même état de sommeil « paradoxal », preuve qu’il possède un lien avec cette hérédité. On ignore pourquoi sa durée est toujours rythmée par la même période, différente suivant les espèces. Elle est de quatre-vingt- dix minutes par nuit chez l’homme, divisée en phases d’environ un quart d’heure, de vingt-cinq minutes chez le chat, de sept minutes chez la souris, de cent quatre-vingts minutes chez l’éléphant. Les nourrissons, dont le cerveau connaît un très rapide développement, et qui dorment seize à dix-huit heures par jour, passent la moitié de leur temps de sommeil en phase « paradoxale ». Ce qui viendrait à l’appui de la thèse qui soutient que le sommeil joue un rôle important dans la mémorisation. Chez le nourrisson, qui n’a pas encore réellement de mémoire, il servirait à recueillir et à assimiler les informations nombreuses et importantes qu’il reçoit pendant la journée, du monde extérieur et de son entourage.