Du sommeil aux rêves : Le rêve renverserait-t-il le temps ?
On peut aussi envisager qu’Alfred Maury avait rêvé de la Terreur et que l’épisode de la guillotine, survenant avec la chute de la flèche du lit serait une coïncidence. Cela paraît difficilement croyable. Mais il ne faut pas écarter une autre hypothèse, fascinante : et s’il s’était produit une sorte de renversement du temps, si la chute de la flèche avait recréé comme une histoire à l’envers ? Si, à partir de l’épisode de la guillotine, avait été reconstituée l’histoire du procès ? Car, de toute façon, on a du mal à comprendre comment, à partir du choc sur la nuque du dormeur, lié dans le rêve à la chute du couteau de la guillotine, ont pu se placer, avant, dans le rêve, tous les épisodes qui ont précédé cet instant fatal. Pour Pierre Cheymol, il ne faut pas écarter « le choc de deux temporalités contraires qui caractériseraient !’événement, lequel apparaîtrait comme une effraction à travers le miroir du temps ».
On observe en effet que, dans les rêves, la notion de temps est toujours profondément perturbée. Les images du rêve sont en dehors de la temporalité. Le cerveau endormi n’a plus de repères temporels. On ne sait pas, en rêvant, quel jour on est, ni de quelle heure il s’agit. On ne sait pas non plus si on est dans le passé, le présent ou le futur. Le temps du rêve, lorsqu’il existe, ce qui est rare, est discontinu, souvent irrationnel, dégradé. Pourquoi ne pas envisager qu’il puisse aussi tourner à l’envers ? Le rêve est avant tout une succession d’images, de présents, très souvent absurdes. Pour certains psychologues, cette absurdité serait le résultat d’une action volontaire du cerveau sur les images des rêves, pour tenter de leur donner un sens, pour essayer de fournir une histoire cohérente que l’on puisse admettre au réveil. Il faut trouver à tout prix une continuité à cette suite d’images qui n’en possèdent pas dans le rêve même.
C’est notamment la thèse du psychiatre et neurologue américain Allan Hobson, qui s’inscrit ainsi en faux contre la thèse psychanalytique, laquelle veut donner un sens caché aux rêves, même les plus obscurs, les plus absurdes. Pour lui, les rêves n’ont pas d’autre sens que celui même du rêve, et ne servent à rien. Ils ne seraient qu’une suite d’images mentales anarchiques, illogiques, crées par un cerveau endormi, sans interaction avec l’extérieur, qui fonctionne en circuit fermé, créant sa propre énergie et sa propre information. Pour lui, le rêve est plutôt un phénomène d’ordre hallucinatoire ou même psychotique. D’autres psychologues avaient déjà relevé des rapprochements entre le rêve et ce que ressentent certains malades mentaux, comme les schizophrènes. Ils considèrent les rêves comme des délires. La raison y est abolie.
Allan Hobson admet cependant que des rêves puissent apparaître clairs et sensés au réveil, mais sans pour autant accepter qu’ils aient un sens caché. Il constate aussi que certains rêves sont plaisants ou merveilleux, et cela lui fait se demander si leur fonction ne serait pas, tout simplement, de nous faire plaisir, s’il n’existerait pas un «plaisir onirique» qu’avaient déjà évoqué des psychologues du xixe siècle. Mais il ne faut pas mettre sur le même plan les recherches récentes des neurologues, qui ont énormément progressé depuis un siècle, et ont, par conséquent, transformé notre connaissance du sommeil et du rêve – et le travail, également important, mais qui se situe sur un autre plan, de la psychanalyse, basée sur des travaux du xixe siècle, souvent dépassés.