Du sommeil aux rêves : Le mystère des rêves
Un élément du sommeil étroitement lié au temps reste très intriguant. Qu’est-ce que le rêve ? Un même mot, sone, désigne en russe le sommeil et le rêve. On y dit aussi « il m’est rêve » pour «j’ai rêvé». Comme si l’individu était autre, lorsqu’il rêve. Les interrogations sont nombreuses à son propos. On discute ferme, entre spécialistes, sur sa raison d’être, sur sa durée et son sens. Comme le disait le poète Paul Valéry, qui s’y est intéressé pendant cinquante ans, le rêve est une hypothèse, puisque nous ne le connaissons que par le souvenir. Des psychologues soutiennent que le rêve n’est pas ce dont nous nous souvenons au réveil. Le récit du rêve n’est jamais le rêve même, c’est une continuité reconstruite par notre conscience éveillée, qui peut être très différente des images du rêve. Il se peut que les rêves ne soient pas faits pour qu’on s’en souvienne. Il existe pourtant des rêves à répétition : la littérature psychiatrique contient des cas de combattants de la guerre de 1914- 1918 qui, toute leur vie, ont rêvé chaque nuit de Verdun.
Les rêves surviennent le plus souvent pendant la phase « paradoxale » du sommeil, comme le prouve le fait qu’en réveillant alors un dormeur, il raconte son rêve bien mieux que s’il s’éveille pendant la phase lente. Mais ils peuvent exister lors d’autres phases du sommeil. Il n’est pas exclu que les rêves prennent naissance avec les courtes périodes d’éveil qui se produisent au cours du sommeil et qui mettent en activité certaines cellules du cerveau. La seule chose certaine, c’est que tout le monde rêve, même ceux qui affirment ne jamais se souvenir de leurs songes, et que l’on en fait de nombreux pendant une nuit. On estime qu’à peine 5 % peuvent subsister dans la mémoire, au réveil. Certains médicaments administrés pour des troubles mentaux empêchent l’apparition des rêves, mais cela ne semble pas gêner les patients. Les animaux, du moins les vertébrés, rêvent aussi, sauf les reptiles, les grenouilles ou les poissons, animaux à sang froid, lesquels ne connaissent pas non plus le sommeil paradoxal.
Combien de temps dure un rêve ? Il est très difficile de 1 établii avec précision. Comme l’a encore remarqué Paul Valéry, on ne sait jamais quand un rêve a commencé. Des observations faites sur des dizaines d’étudiants, dans plusieurs universités américaines, montrent une grande diversité dans la durée des rêves. On croit généralement qu’ils sont plus longs à la fin de la nuit, mais on ignore pourquoi. Certains spécialistes estiment que ces reves de fin de nuit son les plus denses, les plus complets, les plus « intéressants ». Des psychologues affirment que l’on rêve pendant tout le temps du sommeil paradoxal, soit environ vingt minutes, d’autres estiment que les rêves ne durent généralement que quelques secondes, voire une fraction de seconde, et qu ils se produisent juste avant le réveil, même si le dormeur a eu l’impression de vivre des événements qui s étalent sur une longue durée. Un psychologue américain, voulant étudier sur lui-même le phénomène, s’est fait réveiller par deux sons successifs d une cloche, et raconta qu’il avait rêvé entre les deux coups qu’il donnait un cours d’une heure. On cite de nombreux cas de ce genre. Jean-Paul Tassin suggère que lors de ce genre d’observation, le réveil n’interrompt pas le rêve, mais il lui donne naissance, au contraire. Le récit du rêve – lequel dure alors une infime fraction de seconde — finit par l’événement qui l’a déclenché.
Un exemple classique est celui du psychologue Alfred Maury qui raconte : «Je rêve de la Terreur. J’assiste à des scènes de massacre. Je comparais devant un tribunal révolutionnaire. Je suis jugé, condamné à mort, conduit en charrette sur la place de la Révolution. Je monte sur l’échafaud, l’exécuteur me lie sur la planche fatale, il la fait basculer, le couperet tombe : je sens ma tête se séparer de mon tronc. Je m’éveille en proie à la plus vive angoisse, et je sens sur mon cou la flèche de mon lit qui s’était détachée et étant tombée sur mes vertèbres cervicales. » Il est dommage qu’Alfred Mauiy n’ait pas approfondi cet étrange rêve, car il pose d’intéressantes questions relatives au temps. Il semble évident qu’il a été réveillé brusquement par la chute de la flèche de son lit. Cette chute a-t-elle été l’élément déclenchant du rêve ? Cela semble probable, mais il aurait été alors étonnamment bref, puisque Alfred Maury dit avoir été réveillé en sursaut. L’étude attentive des sujets réveillés pendant leur sommeil « paradoxal » montre que les rêves ne sont pas à ce point instantanés.