Du sommeil aux rêves : Freud et les rêves
L’absurdité des rêves n’a, en effet, pas gêné Freud, qui estime qu’il ne faut pas s’attacher à cette apparence, mais décoder la logique qui s’y trouve cachée. Freud a longuement écrit sur les rêves, que la psychanalyse considère comme de précieux révélateurs de l’inconscient des sujets. Pour résumer en la simplifiant la thèse de Freud, il existerait deux sortes de rêves. Le rêve intelligible, sensé (mais en existe-t-il réellement ?) serait l’accomplissement d’un désir voilé. Le rêve obscur, confus, traduirait aussi un désir, mais refoulé, qui prendrait souvent son origine dans la petite enfance. Ce serait le rêve le plus fréquent pour Freud, celui qui a besoin de l’analyse pour être compris. Cette analyse ramène souvent des rêves à des désirs érotiques refoulés, dont une censure interdit l’expression et qui n’apparaissent que sous la forme de symboles. Mais les neurologues modernes, qui réveillent systématiquement leurs sujets d’observation pour leur faire raconter leurs rêves, notent une quantité infime de songes sensuels ou érotiques.
En même temps, Freud estime que les événements de la journée précédant le sommeil influent sur le contenu des rêves. L’oubli du rêve s’expliquerait par l’action de la conscience, qui exercerait une sorte de censure, refusant d’admettre ce qui lui a été arraché dans un moment de faiblesse, pendant le sommeil. Mais étant donné qu’on fait de nombreux rêves pendant une nuit, souvent fort différents, sur lequel va s’appuyer le psychanalyste pour faire son analyse ? La thèse, avancée par Freud, que les rêves seraient comme « comprimés » au réveil est contredite par les observations modernes. On peut établir de façon certaine qu’il n’y a aucun support expérimental en faveur de la théorie de Freud de la genèse du sommeil « paradoxal », dit Michel Jouvet. Freud voit aussi dans le rêve ce qu’il appelle le « gardien du sommeil ». Il écrit que le rêve « liquide le désir refoulé ou réprimé, en le posant comme réalisé. Mais il satisfait, en même temps, l’autre instance, en permettant la poursuite du sommeil. Il accorde créance aux images, comme s’il voulait dire : « Oui, tu as raison, mais laisse moi dormir… » « Le rêve est un veilleur de nuit consciencieux. »
Les psychologues et les neurologues modernes ont fait récemment de grands progrès dans la compréhension du sommeil et du rêve, qui n’étaient pas envisageables du temps de Freud. Le rêve, pour Michel Jouvet, n’est ni du sommeil, ni de l’éveil, mais un troisième état du cerveau, aussi différent du sommeil que ce dernier l’est de l’éveil. On aurait découvert un «centre du rêve », situé dans une région bien précise, au centre du cerveau. « Cela ruine la théorie freudienne du rêve, dit Pierre Cheymol. Le rêve n’est pas un produit caché – refoulé – de l’instinct, dont le sommeil serait le gardien. C’est, au contraire, le produit d’une activité spontanée du cerveau. On peut le concevoir comme une énergie aveugle et littéralement insensée – d’où sa bizarrerie – qui fore son chemin, telle une taupe, à travers l’esprit endormi. C’est l’éveil qui le lui révélera soudain. »