Du sommeil aux rêves : Faut-il croire aux clés des songes ?
Michel Jouvet se demande si le souvenir que nous avons de nos rêves est la traduction exacte de la scène onirique, ou s’il est transformé très rapidement au réveil par la conscience vigile. Pour lui, le rêve, comme la phase « paradoxale » du sommeil dans laquelle il apparaît, est une reprogrammation du cerveau soumis à un contrôle génétique. Il serait responsable de ce que Michel Jouvet appelle l’hérédité psychologique. C’est le rêve qui ferait que chacun de nous est différent mentalement de tous les autres hommes. Il serait le gardien et le programmateur périodique de la part héréditaire de notre personnalité, et pourrait ainsi préparer de nouvelles structures de pensée qui permettrait d’appréhender de nouveaux problèmes. Cette théorie, impossible à vérifier expérimentalement, a le mérite d’ouvrir un champ de réflexions passionnant sur cet état de rêve qui nous prend quatre- vingts-dix minutes de notre temps de sommeil chaque nuit.
Les hommes de science n’attachent aucun intérêt aux « clés des songes », qui voudraient expliquer le sens caché des rêves, présentés souvent comme prémonitoires. Leur vogue se poursuit pourtant depuis des siècles : elle s’explique probablement par le très ancien passé de cette coutume, qui a longtemps marqué l’esprit des hommes. Chez les Égyptiens, les rêves étaient des signes donnés pour indiquer la route à suivre. Des prêtres interprétaient, dans les temples, les rêves qu’on leur racontait. Ce domaine est à ce point entouré de mystères que le recours actuel à ces pratiques s’explique, bien que rares soient ceux qui ont trouvé réellement l’explication d’un de leurs rêves dans une « clé des songes ». Pour certains de nos contemporains,le rêve est encore une sorte de mythologie personnelle, qui revêt une grande importance, même en dehors de tout aspect psychanalytique.
Pour nombre de peuples non civilisés, le rêve garde une forte portée symbolique et on croit a ce qu il dit, sous la forme que les chamans interprètent à leur guise, mais qui est acceptée sans discussion par les membres du groupe. Pour certaines populations, les rêves sont des messages envoyés par les morts et leurs présages ne sont généralement pas bons. Chez les Senoï, une population montagnarde de Malaisie, la première question que l’on se pose le matin est « qu’as-tu rêvé cette nuit ? » Tous les membres de la famille, jeunes et vieux, racontent leurs rêves au petit déjeuner pris en commun. Chacun commente à son tour les rêves des autres, les plus âgés félicitant les jeunes qui ont fait des rêves intéressants. Les Senoï affirment pouvoir diriger leurs rêves et les pères apprennent cette technique à leurs enfants. Pour eux, le rêve n’est pas la propriété d’un seul individu : il appartient à la collectivité. On discutera plus tard, dans la journée des rêves les plus marquants devant le conseil du village, et l’activité du groupe dépendra en partie de l’interprétation de ces rêves, lesquels forment donc un element essentiel de la vie sociale de la communauté des Senoï.