Du sommeil aux réves : à quoi sert le sommeil ?
Qu’est-ce que le sommeil et à quoi sert-il ? Malgré les milliers d’études faites, la raison d’être du sommeil n’est pas claire. Rarement dans l’histoire de la physiologie il aura existé un tel contraste entre l’importance des données acquises concernant les mécanismes du sommeil et des rêves (le comment) et l’ignorance quasi totale de leurs fonctions (le pourquoi) dit le Pr Michel Jouvet, de l’université de Lyon, spécialiste mondialement reconnu de l’étude de ces phénomènes.
Le rythme veille-sommeil de l’adulte n’apparaît pas immédiatement chez le nouveau-né, qui dort les deux tiers de son temps, indifféremment la nuit ou le jour. Ses longues périodes d’endormissement sont nécessaires, car elles favorisent l’organisation de son cerveau, et notamment la mise en place des liaisons nouvelles entre ses cellules nerveuses cérébrales. On s’interroge souvent sur les mimiques que fait le nouveau-né, sur ses sourires. La mère pense souvent que ces sourires s’adressent à elle. Des psychologues se demandent s’ils ne sont pas le témoin de rêves et qu’ils ne s’adressent à personne : ce serait l’expression d’une expérience intérieure, celle qu’acquiert le nouveau-né pendant son sommeil, au cours duquel on note des mouvements des yeux très semblables à ceux des adultes endormis.
Le fœtus, dans le ventre de sa mère, dort déjà. Entre quatre et cinq mois de son existence, on observe la première alternance presque régulière de veille et de sommeil. Chose curieuse et inexpliquée, la mère s’adapte au rythme de son enfant : son sommeil profond — celui favorable aux rêves – double de durée. Certains y voient l’inverse : ce serait la mère qui, en modifiant son sommeil, apprendrait à son enfant à rêver. Mais à quoi peut donc rêver un fœtus, qui n’a pas d’images mentales à évoquer ? Le Dr Bernard This, psychanalyste spécialisé dans les observations des enfants à naître, estime que pour le fœtus, le rêve a une fonction d’anticipation, il serait une projection vers un futur. « Il ressemblerait à une programmation, une actualisation, une répétition générale au service de l’adaptation à la vie ». C’est aussi l’avis de Claude Debru, biologiste et philosophe, qui a travaillé à Lyon dans le laboratoire d’étude du Sommeil du Pr Michel Jouvet. Il se demande si la pensée ne naîtrait pas du rêve. S’il ne serait pas la matrice de la pensée, en tant « qu’il est une répétition hallucinée de l’expérience vécue ». La stimulation venue de l’intérieur, endogène, jouerait un rôle crucial dans le développement du fœtus, comme chez le nouveau-né, juste après la naissance, avant que les stimulations venues de l’extérieur ne deviennent dominantes. Claude Debru cite un biologiste américain, Howard Roffwarg, selon lequel cela préparerait le cerveau du fœtus à traiter l’énorme flux de stimulations qui vont l’assaillir lorsqu’il sortira du ventre de sa mère. Le fœtus nourrirait ses rêves d’informations sensorielles recueillies lors de ses périodes d’éveil, car il est déjà, comme le sera le nouveau-né, à l’affût de tout ce qui peut l’enrichir. Le placenta qu’il ingurgite et qu’il côtoie lui apporte notamment ces informations, qu’il enregistre aussi dès qu’il peut entendre, car son système auditif est actif dès le troisième mois.
Certains biologistes pensent que le sommeil est un phénomène passif, lié tout simplement à l’arrivée de la nuit, à la fin de l’activité normale quotidienne des animaux diurnes. Il survient lorsque le système d’éveil cesse de fonctionner. Mais comme on connaît très mal ce dernier, cela ne nous avance guère. D’autres croient qu’il est une réponse issue de l’évolution, qui fait qu’un animal peut se reposer lorsqu’il a accompli les tâches indispensables à sa survie et à celle de son espèce. Des psychologues humoristes ont émis l’idée qu’il permettrait qu’on ne se cognât pas aux meubles dans l’obscurité. Mais il semblerait très étrange qu’un état qui dure huit heures, en général, soit le tiers d’une journée complète, ne servît à rien. A l’âge de soixante ans, nous avons passé vingt ans à dormir, dont cinq ans à faire des dizaines de milliers de rêves.
Le sommeil pourrait être une façon d’économiser de l’énergie, de faire en sorte que l’organisme se repose de ses fatigues de la journée – et surtout le cerveau. Il est vrai que lorsque nous dormons, nous consommons moins d’oxygène et de glucose. Mais notre corps n’est pas au repos complet : si beaucoup de muscles ne sont pas sollicités, nos autres fonctions se poursuivent normalement, notre cœur bat, nous respirons, nous digérons, nos ¦ glandes produisent des hormones. Le cerveau continue aussi de fonctionner, comme le prouvent les enregistrements de son activité électrique et le fait que nous rêvons. D’autre part, comme le fait remarquer Michel Jouvet, et comme nous l’avons vu plus haut, les animaux qui hibernent se réveillent régulièrement et leur température revient alors à la normale, avant qu’ils ne s’endorment de nouveau. Etant donné qu’ils n’ont pas dépensé d’énergie avant cet endormissement, on comprend mal comment le sommeil pourrait avoir une fonction d’économie.