Des horloges solaires aux horloges bologiques
Au terme de ces considérations, j’espère que le lecteur est convaincu que le rythme du sommeil est le résultat de l’activité cérébrale et non pas de facteurs extrinsèques. Il convient à présent d’effectuer un court détour afin de jeter un coup d’œil sur le domaine nouveau et passionnant de la chrono-biologie, ou de la science des rythmes biologiques, qui s’est développée au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Pour quelqu’un qui est né dans un monde où le jour et la nuit alternent toutes les vingt-quatre heures, il est très difficile d’imaginer d’autres formes de vie. En fait, si la terre ne tournait pas autour de son axe, l’une de ses moitiés resterait constamment plongée dans la lumière, tandis que l’autre moitié serait à jamais confinée dans l’obscurité. D’importantes différences existeraient alors sans doute entre ceux qui vivraient dans la lumière et ceux qui vivraient dans l’obscurité, et deux règnes animaux seraient créés : celui des créatures du jour et celui des créatures de la nuit. Ni les unes ni les autres ne pourraient vivre dans l’environnement opposé. La rotation de la terre condamne tous les habitants de la planète à une alternance trémelle de lumière et de ténèbres. Trois formes d’adaptation à la révolution terrestre se sont développées au cours de l’évolution : celle des animaux nocturnes dont l’activité commence au coucher du soleil; celle des animaux diurnes qui S’éveillent à l’aube ; enfin, celle des animaux qui déploient leur activité deux fois par jour : à l’aube et au crépuscule.
L’existence est mise en danger par l’obéissance aveugle aux conditions de l’environnement. En hiver, par exemple, quand la lumière du soleil ne parvient pas à traverser la couche épaisse des nuages pendant des jours entiers, et en l’absence de tout signal annonçant le début de l’activité diurne, les animaux diurnes ne sont pas loin de se laisser mourir de faim. Afin de rompre avec cette totale dépendance à l’égard de l’environnement, des horloges biologiques endogènes se sont développées tout au long du procès de l’évolution. Il s’agit de mécanismes neurologiques capables de mesurer le temps et de signaler à l’organisme le moment opportun pour commencer ou pour faire cesser son activité périodique. Les horloges biologiques permettent à l’organisme de se conduire correctement au moment voulu avec une grande souplesse. Elles accomplissent également d’autres fonctions dans lesquelles est requise une coordination étroite avec l’environnement extérieur. Les horloges biologiques jouent un rôle de premier plan dans les mécanismes d’orientation des oiseaux migrateurs, ainsi que sur la façon dont les animaux mesurent la longueur du jour afin de prévoir le meilleur moment pour se reproduire. En conséquence, il est proprement stupéfiant que la reconnaissance de l’importance des horloges biologiques se soit fait attendre aussi longtemps. Les médecins de l’Antiquité étaient bien conscients de l’existence de changements cycliques dans le corps humain, qu’il soit sain ou malade. Ils cherchèrent une explication à cette périodicité dans les mouvements accomplis par les corps célestes. Hippocrate, le père de la médecine grecque, en conclut qu’un médecin ne devait pas être autorisé à traiter des patients avant d’avoir prouvé sa familiarité avec les mouvements des astres, car « le lever et le coucher des étoiles ont un grand effet sur les maladies ». Bien que la première expérience scientifique à avoir montré que l’origine des cycles biologiques était interne et non externe ait été menée au XVIe siècle, son importance ne fut pas reconnue avant environ deux cents ans. En 1728, Jean de Madiran, un astronome français, fit un rapport à l’Académie royale des sciences de Paris sur une expérience qu’il avait effectuée sur le mouvement des feuilles du mimosa, plante qui ouvre ses feuilles pendant le jour et les referme à la nuit tombée. Madiran entreposa une plante dans une importance de premier plan dans la régulation des processus physiologiques.
Comme nous l’avons relevé au chapitre v, Jürgen Aschoff, qui a probablement contribué plus que tout autre à l’étude du fonctionnement de l’horloge biologique contrôlant le sommeil et la veille, affirmait qu’il avait été amené à étudier les horloges biologiques de manière presque involontaire. Il ne commença à leur prêter une réelle attention qu’après s’être aperçu que des modifications importantes de la température du corps se produisaient tout au long du jour, modifications qui ne pouvaient pas s’expliquer par des changements de l’environnement ou des conditions d’expérience.
Le nombre de chercheurs travaillant sur les horloges biologiques est en constante augmentation chaque année, et on en trouve aujourd’hui sur toute la planète. Il y a également trois revues scientifiques qui leur sont consacrées exclusivement.
La recherche nous a montré que le corps possède de multiples systèmes qui fonctionnent de manière cyclique. La durée de ces cycles varie considérablement : le cycle du cœur se mesure en secondes ; celui du sommeil REM dure quatre-vingt-dix minutes environ; le cycle circadien est quotidien; ceux qui régulent les comportements liés à la reproduction sont mensuels ou annuels.