Cerveau sexe et politique : béquilles cérébrales et dopage humain
Avec le développement des neurosciences s’ouvrent de nouvelles et importantes perspectives économiques. Le marché des médicaments psychotropes, de la «neuroinformatique» (pour traiter les données sur le cerveau), voire des «neurojeux» pour «muscler les synapses» est en explosion aux Etats-Unis.
Les médicaments psychotropes destinés à soigner les désordres mentaux et troubles psychiques de tous ordres représentent déjà dans nos sociétés modernes d’énormes enjeux financiers, d’autant qu’un tiers, estime-t-on, des dépenses de santé concernent les maladies mentales.
Leurs indications s’élargissent de plus en plus à des états de simple «mal-être», dont certains sont désormais qualifiés de maladies. Ainsi, le SAD, désordre anxieux caractérisé par l’angoisse devant un auditoire, est devenu soudainement la troisième cause de maladie mentale outre-Atlantique.
Un autre champ d’intervention est en plein essor, celui des « smart-drugs », sorte de « Viagra du cerveau », destinés à stimuler la mémoire de patients atteints de la maladie d’Alz- heimer, mais aussi à améliorer le bien-être de tout un chacun. Les effets de ces psychostimulants sont pourtant peu probants, d’après des spécialistes comme Steven Rose (université M. Keynes, Grande- Bretagne), qui les juge «pasplus efficaces que la caféine» et s’interroge sur la finalité de tels dopages.
L’implantation de puces électroniques dans le cerveau pour stimuler les neurones et provoquer des sensations de plaisir ou combattre une dépression, ou encore le recours à l’imagerie cérébrale comme détecteur de mensonges sont d’autres applications envisagées, que. là encore, aucune donnée scientifique sérieuse ne vient conforter.
Quoi qu’il en soit des possibilités réelles ou imaginaires, le «dopage cérébral» est à la mode. «Ces neurotechnologies vont permettre d’améliorer les capacités émotionnelles, sensorielles et intellectuelles des individus, de leur conférer des avantages de créativité et de productivité», affirme Zack Lynch, spécialiste en neurotechnologie et directeur de l’institut de la neurosociété (Etats-Unis).
La montée en puissance des neurosciences pour le développement de notre bien-être s’accompagne aussi de nouvelles revendications. Des associations américaines réclament le libre usage des psychostimulants et des implants cérébraux. Dans cette mouvance, le Centre américain pour la liberté et l’éthique cognitive (CCLE), créé en 2000, se montre très actif. Cette organisation, qui déclare vouloir «affranchir la race humaine de ses contraintes biologiques », rejoint les réseaux des « transhumanistes ».
A la tête de l’association transhumaniste mondiale (WTA), le philosophe suédois Nick Bostrom, favorable au clonage reproductif, recommande la « reprogrammation de l’être humain car l’humanité ne doit pas stagner ». Pour lui, l’homme ne devient pas meilleur par l’éducation et les réformes sociales et politiques, mais par l’application de la technologie à l’espèce humaine. Ces déclarations trouvent un écho chez certains biologistes, comme Gregory Stock, directeur du programme de médecine, technologie et société de l’université de Californie, qui se prononce en faveur du «remodelage de l’humain».
Ce courant de pensée s’inscrit dans un projet plus global de convergence entre nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (sigle «NBIC»). L’acte fondateur de ce courant tient dans un volumineux rapport intitulé Technologes convergentes pour améliorer les performances humaines, remis au gouvernement des Etats- Unis en juin 2002. Elaboré par le physicien Michael Roco et le sociologue des religions William Bainbridge, au sein de la prestigieuse National Science Foundation (NSF), ce document au titre éloquent, fixe un cap idéologique, celui du dopage humain. En Europe, peu d’intellectuels prennent position sur ces perspectives pour le moins discutables. Les instances européennes se montrent, quant à elles, assez critiques vis-à-vis de cet horizon.