Anticancer : Changer de personnalité ?
À l’université de Toronto, le psychologue Alastair Cun- ningham suit depuis trente ans des groupes de patients souffrant de cancer. Il leur enseigne la relaxation, la visualisation, la méditation et le yoga. Il les aide à trouver la force de devenir eux-mêmes, de se rapprocher autant que possible de leurs valeurs les plus profondes. Il travaille souvent avec des patients dits « incurables » auxquels on ne donne que quelques mois à vivre. En les suivant de façon systématique, il a pu identifier les attitudes qui caractérisent ceux dont on peut prédire qu’ils auront une chance de dépasser largement (jusqu’à plus de sept ans !) ces pronostics terribles. Ses études suggèrent que ces patients-là font partie de ceux qui, dans le plus grand calme, se sont posé les questions fondamentales : « Qui suis-je vraiment ? » et « Vers quoi ai-je envie d’aller? » Puis qui en ont tiré les conséquences. Un de ces patients l’exprime ainsi :
« [Le cancer] a réorienté mon chemin de vie et les objectifs que je poursuivais… J’étais totalement concentré sur la construction d’un Moi plus « grand »… Je suivais en quelque sorte ce que notre culture considère comme la voie royale. Mais quand j’ai été confronté au fait que je ne vivrais peut-être pas très longtemps, j’ai compris que tout cela allait mourir… et j’ai commencé à me demander qui j’étais vraiment, si tout cela allait disparaître… Il m’a semblé que le centre de gravité de ma vie s’est alors déplacé. [Et maintenant] je pense que je suis capable de ressentir la vie plus profondément… d’accepter la vie comme elle vient à moi, d’en faire partie et tout simplement d’en profiter… »
Plus les patients d’Alastair Cunningham se rapprochaient de leurs vraies valeurs, plus ils se libéraient de ce qu’ils ne faisaient que par convenance, par obligation, ou par peur de décevoir et de manquer d’affection.
Un autre patient :
« J’étais quelqu’un qui cherchait surtout à suivre les règles et à faire plaisir à tout le monde… Je pense que je me sens plus à l’aise maintenant avec ma place dans le monde qu’avant mon diagnostic. Sans aucun doute. »
La plupart ont alors découvert un véritable plaisir à faire des choix qu’ils ne s’autorisaient pas auparavant, et même a dire « non »… Une troisième patiente qui a connu une survie- exceptionnelle :
« Alors qu’avant j’aurais été à l’agonie de dire “non”, main tenant je peux dire “non, pas aujourd’hui, ça ne me convient pas”… Je ne me suis pas sentie coupable quand j’ai décidé dîne pas retourner travailler l’année prochaine… Ce n’est pas ce que je veux faire… Je suis très contente de ce que je fais main tenant, et c’est bien plus facile de prendre une décision dans l’impulsion du moment, d’aller voir un film parce qu’on ;i envie d’aller voir un film, ou de s’asseoir et d’essayer de des siner même si on sait qu’on n’est pas bon en dessin mais parce que c’est si paisible et agréable. C’est tout. »
Ce que ces patients ont réussi à faire dans leur vie, commente le docteur Cunningham, c’est se défaire de la « personnalité de type C » qui cherche toujours à éviter de faire des vagues (voir chapitre 9). Plutôt que de traverser leur vie de- façon passive et soumise, ils ont progressivement appris à s’approprier leur liberté, leur authenticité, et leur autonomie. Cunningham appelle cela se « dé-type-C-iser »…
Cette évolution se manifeste d’ailleurs aussi dans la façon dont ces patients abordent leurs traitements, y compris leur façon de stimuler leurs défenses naturelles. Quand j’ai demandé au docteur David Spiegel ce qui était différent chez les trois femmes des groupes de parole qui avaient survécu plus de dix ans à leur cancer métastatique, il les a décrites ainsi : elles ne se faisaient pas remarquer, restant le plus souvent calmes et silencieuses ; mais elles avaient des idées très précises sur ce qu’elles feraient ou non pour s’aider elles- mêmes. Elles acceptaient certains traitements et en refusaient d’autres. Elles semblaient animées d’une espèce de force tranquille.
Cette attitude de conscience et de liberté dans les choix s’applique aussi aux méthodes naturelles. Qu’il s’agisse d’alimentation, de yoga ou d’aide psychologique. Toutes ne sont pas également indiquées à tout le monde, ni à tous les moments de la vie. Un jour, le plus bénéfique sera la méditation, un autre, tenir un journal, un troisième, faire de l’exercice. On retrouve chez ces survivants hors normes une capacité à se regarder sans voile, à se dire : « C’est de ça que j’ai besoin maintenant», et à avancer dans leur vie avec fermeté et souplesse. Cela veut dire qu’ils ont aussi appris à abandonner certaines choses qui faisaient partie de leur vie mais qui n’ont plus leur place parce qu’elles nuisent à leur authenticité ou, tout simplement, à leur santé.
Souvent, cette évolution ne se limite pas au fait d’apprendre à dire « non » et à affirmer ses choix. Chez les patients qui réussissent à survivre de façon considérable, la force qu’ils ont acquise s’accompagne d’une autre attitude, nouvelle elle aussi, celle de la gratitude. Ils sont devenus capables de percevoir une dimension de la vie qui leur échappait jusque-là. Comme si une sorte de rayon X leur permettait de distinguer l’essentiel au-delà du brouillard du quotidien. L’un d’eux raconte par exemple qu’un soir, au cours du dîner familial, sa femme et ses enfants se mirent à se disputer. C’était une scène coutu- mière qui avait le don de l’exaspérer. Mais ce soir-là, au lieu de ressentir de la colère, il vit tout l’amour qui circulait autour de cette table Si les sentiments s’enflammaient de cette manière, au fond c’était parce que l’opinion de chacun comptait terriblement pour les autres. L’amour qui animait ces êtres qui lui étaient chers, derrière les façades et les poses qu’ils se donnaient, lui sembla soudain tellement palpable que les larmes lui montèrent aux yeux et qu’il se sentit envahi de reconnaissance.
Au total, le changement d’attitude qui semble protéger le mieux contre le cancer correspond au processus de maturation valorisé par toutes les grandes traditions psychologiques et spirituelles. Pour décrire le fondement même de l’élan vital, Aristote parle d’entéléchie (le besoin d’autocomplétion qui mène de la graine à l’arbre entièrement réalisé) ; Jung, d’un « processus d’individuation » qui transforme la personne en un être humain différent de tous les autres, capable d’exprimer pleinement son potentiel unique ; Abraham Maslow, le père du mouvement de développement personnel, de l’« actualisation du moi». Les traditions spirituelles, elles, encouragent à l’« éveil » en développant en soi ce qu’il y a d’unique et de précieux, bref, de sacré. Dans tous les cas, il s’agit d’être au plus près de ses valeurs les plus authentiques, et de les mettre en œuvre dans ses comportements et dans ses relations aux autres. De cette démarche découle un sentiment de gratitude pour la vie telle qu’elle est – une sorte de grâce qui vient également baigner notre biologie.
Vidéo : Anticancer : Changer de personnalité ?
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