qu-est-ce que s-endormir?
Dès 1935, quand les premiers enregistrements du sommeil ont été effectués à l’Université Harvard, il est apparu clairement qu’un changement progressif dans l’activité électrique du cerveau se produisait pendant la transition de la veille au sommeil. Dans l’état d’éveil, les ondes du cerveau sont extrêmement rapides ; elles surviennent à une fréquence de plus de quinze ondes par seconde et elles se caractérisent par un voltage très faible. Tandis que le niveau d’attention s’accroît et s’intensifie, les ondes du cerveau (appelées « ondes bêta ») deviennent de plus en plus rapides, et leur voltage diminue. Un premier changement dans l’activité du cerveau se produit dans l’état de veille qui prépare l’endormissement, juste avant que celui-ci ne se produise.
Lorsque la lumière vient de s’éteindre et que le sujet est confortablement installé, l’activité de son cerveau se modifie — surtout s’il a fermé les yeux. L’activité électrique rapide et de faible voltage qui prévalait dans son cerveau pendant les périodes d’attention soutenue est remplacée par une activité plus lente de quelque huit ou dix ondes par seconde. On appelle ces dernières les « ondes alpha » : elles possèdent un plus haut voltage que celles qui surviennent pendant les phases d’éveil intense du sujet. L’un des traits caractéristiques des ondes alpha est leur configuration régulière, qui fait penser aux dents d’un peigne. En effet, elles sont parfois si régulières qu’il est difficile de croire qu’elles ont été produites par un cerveau humain et non par un appareil électrique. Le fait d’ouvrir les yeux ou tout autre dérangement extérieur venant troubler l’état de calme du patient engendre la disparition immédiate des ondes alpha et leur remplacement par les ondes bêta indiquant la reprise d’une activité cérébrale d’éveil intense. Les ondes alpha étaient connues précédemment sous le nom d’« ondes Berger », d’après le nom du premier scientifique qui réussit à les enregistrer, Hans Berger.
Dans la mesure où elles sont liées à un état de relaxation, les ondes alpha ont rapidement gagné une certaine renommée. Les années soixante et soixante-dix ont vu l’apparition d’une industrie entièrement consacrée à la production d’appareils électroniques capables de contrôler les ondes alpha en utilisant des techniques biologiques de fend-bock qui « disaient » aux utilisateurs de se décontracter. Des chercheurs soutenaient que le fait d’acquérir la capacité de produire des ondes alpha volontairement amènerait infailliblement un état de relaxation. Puisque la tension nerveuse était impliquée dans certains troubles psychosomatiques comme l’hypertension ou la migraine, on encourageait les personnes qui n’étaient pas capables de se décontracter en utilisant les méthodes traditionnelles à essayer le « biofeedback » afin de contrôler leur activité alpha. Mais les grandes attentes nées de ces techniques furent suivies d’amères désillusions : de nombreuses études établirent que, même si le contrôle des ondes alpha pouvait être mené à bien, il n’y aurait pas même un commencement de preuve que ce contrôle puisse jouer un rôle quelconque dans le traitement médical.
Le changement des ondes bêta, rapides et de faible voltage, en ondes alpha plus régulières, se produit au moment où les sujets se détendent, ferment les yeux et s’apaisent. Chez des sujets extrêmement fatigués, ou qui rentrent d’une soirée qui s’est terminée tard, cet état éveillé de détente et de calme, en attendant le sommeil, peut durer seulement une minute ou deux, mais, chez des patients qui souffrent d’insomnie, il peut se prolonger pendant une heure ou davantage. Le moment précis où ils s’endorment est plus difficile à saisir. Il n’est pas facile de le localiser avec précision sur un diagramme d’ondes cérébrales, car, dans la plupart des cas, la modification qui se produit dans les ondes du cerveau de l’état d’éveil paisible à 1 état de sommeil est progressive et peut s’étaler sur plusieurs minutes. Dans le cas où ce processus peut se prolonger sans empêchements, l’activité intense des ondes alpha va céder progressivement la place à des ondes moins rapides, d’une fréquence de quatre à six ondes par seconde. On appelle ces dernières les « ondes thêta », et leur amplitude est semblable à celle des ondes alpha. Dans de nombreux cas, le remplacement des ondes alpha par les ondes thêta prend plusieurs minutes, et l’impression que l’on a en observant l’encéphalogramme du patient est celle de deux forces opposées rivalisant pour la conquête du cerveau. C’est à bon escient que cette phase est appelée « sommeil stade 1 » « demi-sommeil » ou encore « stade transitionnel » (transitionnel stage).
En plus des modifications qui se produisent dans les ondes du sommeil, l’endormissement s’accompagne d’autres changements physiologiques, dont le plus important concerne le squelette et les muscles oculaires, les mouvements respiratoires et la vitesse du pouls. Dans l’état de veille, le tonus musculaire nous permet, entre autres choses, de maintenir la tête droite, mais, quand nous nous endormons, les muscles du squelette se relâchent, entraînant ce « hochement » bien connu de la tête qui se produit, par exemple, assez fréquemment, pendant une longue et ennuyeuse réunion. Quand on s’endort dans une position assise, le relâchement des muscles du cou entraîne la chute de la tête sur la poitrine, le contact du menton avec celle-ci réveillant brusquement le dormeur, lui faisant momentanément relever la tête, et le processus recommençant ainsi plusieurs fois. D’où la pittoresque description de cette activité : pour l’observateur, le dormeur « hoche la tête ».
Le relâchement musculaire qui accompagne l’endormissement est parfois interrompu par un sursaut soudain, appelé « secousse hypnique », phénomène pour lequel nous ne possédons aucune explication bien établie, même si l’on peut affirmer qu’il provient d’un changement interne au cerveau en vue de modifier le tonus musculaire. Exactement comme le bond en avant qu’effectue une voiture lors d’un changement de vitesse maladroit, une modification cérébrale pourrait induire une sorte d’« erreur » dans l’activation d’un groupe de muscles, provoquant ainsi le sursaut soudain. Les effets de la secousse hypnique sont de faible durée, et le dormeur revient immédiatement à un état de demi-sommeil. Une stabilisation des mouvements respiratoires et du rythme cardiaque se produit en même temps que le relâchement des muscles du squelette. La respiration profonde tend à se réduire, et il est parfois même difficile d’observer les mouvements respiratoires. Un important changement a lieu aussi dans l’activité musculaire des yeux. Dans l’état de veille, nous parcourons notre environnement immédiat en fixant des objets et des images à l’aide de mouvements oculaires incessants, rapides et coordonnés entre eux. Dans l’état d’endormissement, au contraire, ces mouvements oculaires, principalement latéraux (de droite à gauche et de gauche à droite), cèdent la place à des mouvements verticaux lents, récurrents et en zigzag. Ces mouvements oculaires lents sont plus aisément observables chez les nourrissons, qui dorment les yeux à demi ouverts. Dans la phase d’endormissement, on peut voir la pupille des nourrissons disparaître pour de courtes périodes, remplacée par la cornée, le mouvement vertical en question ayant fait pivoter vers le haut les globes oculaires. Après l’endormissement, les mouvements oculaires disparaissent et ne réapparaissent qu’une heure et demie plus tard environ, sous une forme totalement différente.