Quelques aspects du métabolisme: la fonction glycogénique du foie: fonction glycogénique du foie
La capacité de l’organisme à synthétiser et à dégrader ses propres constituants fut pressentie par les physiologistes dès le milieu du XIXe siècle. Ainsi, en 1848, Claude Bernard nota la présence de glucose dans le sang d’animaux à jeun. Cherchant à en comprendre l’origine, il nourrit pendant une semaine un chien exclusivement avec de la viande puis sacrifia l’animal. Il détecta alors de grandes quantités de glucose dans la veine irriguant le foie en provenance de l’intestin (veine porte), qu’il attribua à un reflux sanguin issu du tissu hépatique. Le rôle du foie comme «réservoir» de glucose distinct de celui consti¬tué par la ration alimentaire commençait ainsi à se dessiner. En 1850, cinq ans avant que Claude Bernard n’apporte un éclairage important sur le sujet avec sa célèbre expérience dite du «foie lavé», le physiologiste allemand Karl Gotthelf Lehmann (1812-1863) conforta l’hypothèse de la formation de sucre par le foie grâce à des dosages de glucose à la sortie et à l’entrée de cet organe.
L’experience de lehmann (1850):
Lehman compare la teneur en sucre dans la veine porte (entrée du foie) et dans les veines hépatiques (sortie du foie) chez des chiens soumis à différents régimes alimentaires et
chez des chevaux. La technique expérimen¬tale qu’il met en œuvre est précise : des ligatures placées convenable¬ment sur les vaisseaux sanguins permettent d’éviter tout phénomène de reflux sanguin ou de mélange de sang lors des prélèvements. Le sucre – c’est en fait du glucose, mais la méthode de Lehman ne permet pas de l’identifier – étant dosé par une technique particulière (à partir du résidu sec alcoolique du sang), les concentrations obtenues ne reflètent pas la
glycémie de l’animal. Les résultats sont tout d’abord publiés en 1850 à Leipzig figure 24). Ils feront ensuite l’objet d’une communication orale à l’Académie des sciences de Paris en 1855, en présence de Claude Bernard. Que le chien soit à jeun ou alimenté, la veine porte est toujours dépourvue de glucose, même si quelques traces sont décelées lorsque le régime alimentaire est amylacé (pommes de terre). En revanche, dans les veines hépatiques, la teneur en glucose est conséquente et elle est peu affectée par l’état nutritionnel du chien.
Chez le cheval nourri de son, de foin et de paille, le sang de la veine porte recèle du glucose, à une concentration inférieure à celle que Lehman détecte dans le sang des veines hépatiques. Dans l’organisme, c’est d’ailleurs dans ces dernières que la teneur en sucre est la plus importante (par comparaison, la même méthode de dosage donne une concentration de 0,35 % au niveau de la veine cave).
Par ces expériences, Lehman montre que le glucose qui circule dans le sang en aval du foie n’est pas directement issu de la ration alimentaire, apportant ainsi un argument supplémentaire suggérant que le tissu hépatique est capable de synthétiser ce glucide.
L’expérience de Claude Bernard (1855):
L’expérience du foie lavé va permettre à Claude Bernard de confirmer ses observations préliminaires de 1848 et d’expliquer les résultats obtenus par Lehman. Le célèbre physiologiste français relate ainsi l’expérience :
«J’ai nourri un chien adulte, vigoureux et bien portant, qui depuis quelques jours était nourri exclusivement avec de la viande, et je le sacrifiai par la section du bulbe rachidien, sept heures après un repas copieux de tripes. Aussitôt l’abdomen fut ouvert ; le foie enlevé en évitant de blesser son tissu, et cet organe encore tout chaud et avant que le sang eût le temps de se coagu¬ler dans ses vaisseaux, fut soumis à un lavage à l’eau froide par la veine porte […].
Pour cela, je pris un tube de gutta-percha, long d’un mètre environ et portant à ses deux extrémités des ajutages en cuivre. Le tube étant préalablement rempli d’eau, une de ses extrémités fut solidement fixée sur le tronc de la veine porte à son entrée dans le foie, et l’autre fut ajustée au robinet de la fontaine du Collège de France. […] En ouvrant le robinet, l’eau traversa le foie avec une grande rapidité, car la force du courant d’eau était capable, ainsi que cela fut mesuré, de soulever une colonne d’eau de 127 centimètres de hauteur. Sous l’influence de ce lavage énergique, le foie se gonflait, la couleur du tissu pâlissait, et le sang était chassé avec l’eau qui s’échappait en jet fort par les veines hépatiques […]. J’avais constaté au début de l’expérience que l’eau colorée en rouge qui jaillissait par les veines hépatiques était sucrée […]. Je laissai ce foie soumis à ce lavage continu pendant quarante minutes sans interruption.
[… ] Alors le foie fut enlevé et soustrait à l’action du courant d’eau ; et je m’assurai, en faisant bouillir une partie, […] que son décoctum [sa décoction] ne donnait aucun signe de réduction du liquide cupro-potassique [équivalent du test à la liqueur de Fehling qui permet de détecter les sucres réducteurs comme le glucose] ni aucune trace de fermentation avec la levure de bière.
[…] J’abandonnai alors dans un vase ce foie à température ambiante, et en revenant vingt-quatre heures après, je constatai que cet organe bien lavé de son sang, que j’avais laissé la veille complètement privé de sucre, s’en trouvait alors pourvu très abondamment. »
Claude Bernard conclut:
« Cette expérience si simple, dans laquelle on voit renaître sous ses yeux la matière sucrée en abondance dans un foie qui en a été complètement débar-rassé ainsi que de son sang, au moyen d’un lavage, est une des plus instruc-tives pour la solution de la question de la fonction glycogénique qui nous occupe. Cette expérience prouve clairement, que dans un foie frais à l’état physiologique, c’est-à-dire en fonction, il y a deux substances, à savoir :
- le sucre très soluble dans l’eau et qui est emporté avec le sang par le lavage
- une autre matière assez peu soluble dans l’eau pour qu’elle soit restée fixée au tissu hépatique après que celui-ci avait été dépouillé de son sucre et de son sang par un lavage de quarante minutes. »
Claude Bernard prouve donc que le foie est capable de libérer du sucre – du glucose, mais tout comme Lehman, sa méthode ne lui permet pas d’identifier ce glucide – et établit ainsi, sans la nommer, la fonction glycogénique de cet organe.
D’autres étapes clés:
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le glycogène, encore dénommé « amidon animal», «substance amyloïde» ou «zoamyline», est peu à peu identifié dans tous les tissus animaux. C’est ainsi qu’en 1858, Charles Rouget (1824- 1904), professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris, termine comme suit un mémoire sur le glycogène :
« […] la présence de substances amyloïdes comme partie constituante ces éléments de tissus normaux n’est plus limitée à un seul ordre d’animaux […], ni à un seul organe chez les vertébrés (le foie), mais il est commun aux éléments de beaucoup d’organes tantôt seulement pendant certaines périodes de leur déve-loppement, tantôt pendant toute la vie, et joue le rôle le plus important dans la constitution définitive des tissus du plus grand nombre des invertébrés. »
La composition chimique du glycogène, de même que les mécanismes de formation du glucose sont encore inconnus à l’époque. En 1872, Claude Bernard revient ainsi sur la conception la plus répandue dans la communauté des physiologistes, selon laquelle le glucose est produit par un phénomène de fermentation :
«J’ai montré que chez les animaux le sucre ne se produit pas directement par le dédoublement d’une substance albuminoïde ou grasse, mais qu’il dérive d’une matière amylacée animale qui est sécrétée par la cellule glycogénique. J’ai appelé ce produit de sécrétion: matière glycogène, principe glycogène, parce que c’est lui qui est l’origine du sucre (glycose) dans l’organisme animal. »
Vidéo : Quelques aspects du métabolisme: la fonction glycogénique du foie
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