Quelle action préventive sur le vieillissement?
L’illusion de la jouvence a fourni dans l’histoire de la médecine mille recettes, cocasses ou non, illusion qui se poursuit dans le questionnement du secret de leur longévité demandé aux centenaires : le petit verre d’alcool après le repas, le cigare quotidien, etc. Le même esprit, paré d’habits neufs, prévaut dans les médias pour baby boomers en mal de jeunesse, fait la fortune de quelques malfaisants et vit de modes sans cesse renouvelées. Sans passer en revues les dizaines de propositions farfelues actuellement en vogue, on insistera sur les concepts expérimentaux ayant donné lieu à études animales sérieuses et à retombées potentielles crédibles chez l’homme et sur les études humaines.
les modèles de restriction calorique
On peut chez des souris augmenter de 20 à 30 % la longévité de la souche sous l’effet d’une restriction draconienne de la ration alimentaire. Mais ces souris sont tellement fragiles qu’elles ne survivent que dans des conditions de laboratoire, leur système immunitaire étant particulièrement déficient. La pertinence humaine de ce modèle est bien évidemment douteuse car les restrictions caloriques humaines sont associées à une mortalité accrue, notamment dans le grand âge. Cependant, un lien entre équilibre alimentaire et réduction de la glycation des protéines est établi. Une alimentation « saine » est également associée à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires. Les caractéristiques de cette alimentation « saine » ne sont pas encore clairement identifiées mais la présence des fruits et légumes frais, la réduction des graisses animales, l’apport d’huile végétale et de certains acides gras sont utiles.
les antioxydants
Dans l’état actuel de la science, rien ne légitime l’engouement pour les supplémentations vitaminiques, qui actuellement se focalise sur la vitamine E. Aucune étude correctement menée n’a montré de bénéfice à prendre quotidiennement des comprimés de vitamine E, que ce soit dans le vieillissement ou dans certaines pathologies fréquentes avec l’âge (des essais ont été menés dans la prévention de certains cancers, sans succès). Tout juste devine-t-on qu’une alimentation pauvre en vitamine E exposerait à certains risques morbides. Et une alimentation riche en vitamine E est justement ce que nous venons de décrire. Quant aux préparations cosmétiques antioxydantes censées lutter contre les rides et autres « taches de vieillesse », aucune étude sérieuse n’a montré un quelconque effet. Elles ne reflètent qu’une part de rêve.
L’enthousiasme pour la vitamine E est encore plus fort aux États-Unis, compte tenu d’une surprenante recommandation de l’Association des neurologues américains, qui pare la vitamine E d’un pouvoir préventif face à la maladie d’Alzheimer et à ses conséquences fonctionnelles.
Cette recommandation ne repose sur aucune preuve tangible et n’est pas reprise par les médecins des autres pays.
l’intervention hormonale : doutes et échec
La réduction de la production d’un grand nombre d’hormones avec l’avancée en âge a fourni un exemple quasi idéal au concept du vieillissement-perte. Il est vrai que la ménopause provoque l’effondrement des hormones sexuelles chez la femme, que l’hormone de croissance, la DHEA, etc., diminuent au fil des années dans les deux sexes. Reste à prouver que cette réduction ait un effet délétère (autre que les inconforts sérieux de la carence brutale en hormones lors de la périménopause) et que sa correction modifie positivement des paramètres chez les sujets âgés sains. On dispose maintenant d’études humaines nombreuses et à la méthodologie rigoureuse permettant de répondre pour certaines hormones et d’ouvrir un débat passionnant pour d’autres. Elles sont, dans l’ensemble, non seulement décevantes, mais pour certaines très pré¬occupantes car on observe des effets secondaires significatifs. On pourrait alors imaginer que ces « carences » hormonales non seulement ne seraient pas délétères mais constitueraient peut-être une adaptation pour une plus grande longévité.
Les essais d’apport en hormone de croissance ont été négatifs ou n’ont montré qu’un accroissement modeste de la masse musculaire, sans augmentation significative de la capacité d’effort. Un tel résultat aurait sûrement pu être obtenu par un peu d’exercice physique. Quant aux essais avec la DHEA, substance très médiatique, ils sont négatifs, y compris l’étude française DHEAge. Cette dernière mérite un commentaire méthodologique car la presse, plus que ses promoteurs, en a fait un rapport positif, à tel point que l’Agence française de sécurité sanitaire a été obligée, devant la prolifération de prescriptions, de rappeler aux médecins la réalité scientifique. Lorsqu’une étude d’intervention pharmacologique est menée, sa méthodologie suit un certain nombre de règles, dont la définition préalable de la variable de résultat principale, celle des variables de résultats secondaires ainsi que les groupes sur lesquels seront menées les analyses statistiques. Sinon, on s’expose à ce que le simple hasard rende significatifs sur le plan statistique des résultats qui ne le sont pas. C’est ainsi que l’on pourrait expliquer certains résultats statistiquement significatifs de DHEAge et c’est ce que rappelle l’Agence. Plus encore, elle met en garde contre les effets délétères potentiels, notamment carcinologiques.
Enfin, les récentes données portant sur les effets au long cours des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause ont bouleversé l’opinion médicale sur ce traitement. Il était antérieurement paré de toutes les vertus, modèle idéal des bénéfices à corriger une perte liée au vieillissement. La ménopause constituait un modèle idéal du vieillissement-perte : perte d’une fonction hautement symbolique, inconfort fonctionnel, handicap à l’épanouissement sexuel. Les premiers essais de traitement, assez mal construits, semblaient conclure à des bénéfices tous azimuts : prévention de l’ostéoporose, des cancers, des maladies cardiovasculaires, de la maladie d’Alzheimer, etc. Malheureusement, une série d’essais récents, portant sur des dizaines de milliers de femmes, démontre le contraire, c’est-à-dire que le traitement hormonal substitutif est responsable d’un risque accru de maladies cardiovasculaires, de cancers et, chez les femmes de plus de 65 ans, d’un doublement du risque de démence. Soit une augmentation du risque de maladies liées à l’âge, comme si finalement la ménopause pouvait être interprétée comme une adaptation pertinente pour lutter contre certaines maladies auxquelles nous expose l’avancée en âge ou avait à voir avec la longévité féminine. Même si cela était au prix d’une certaine désadaptation, qui était la
perte de la fonction de reproduction. Encore que des expériences, contestables sur le plan éthique, montrent que la capacité de mener à bien une grossesse à partir d’embryon implanté était préservée chez des femmes âgées, pour peu que des hormones leur soient administrées. D’où la recommandation médicale actuelle de limiter le traitement à la période inconfortable périménopausique. Certes, les caractéristiques des traitements employés dans ces études prêtent à débat, mais il est tentant de regrouper ici tous ces échecs des substitutions hormonales.
les bienfaits de l’exercice physique
Le seul « traitement » ayant démontré quelques bénéfices est moins séduisant que la prise de petites pilules :
il s’agit de l’exercice physique régulier et soutenu. Son étude a montré qu’il était paré de nombreux bienfaits, portant sur des variables « sérieuses », bien plus que la couleur de la peau des hommes de plus de 70 ans (en référence à un résultat hasardeux de DHEAge). L’exercice physique améliore la qualité de vie et l’autonomie fonctionnelle dans le grand âge, accroît le débit cardiaque et la force musculaire, réduit la fréquence de maladies du grand âge (cardiovasculaires, ostéoporose et fracture du col fémoral, etc.). Ces bienfaits sont d’autant plus importants qu’il est pratiqué longtemps, y compris à des âges très avancés. À tel point que le vieillissement musculaire « physiologique » observé chez les sujets très âgés semble avant tout lié à la sous-utilisation des muscles et serait donc réversible. On voit illustré ce propos dans la figure 4 qui montre le retard à l’entrée dans la perte d’autonomie chez les sujets âgés pratiquant un exercice physique par rapport à ceux qui n’en pratiquent pas.
les chemins du vieillissement en santé
La santé est définie comme un bien-être physique, psychique et social et cette définition s’applique parfaitement au grand âge. Le vieillissement en santé (ou réussi) est une alchimie complexe qui relève moins des processus de vieillissement que de l’absence de maladies sévères ou incapacitantes et d’exclusion sociale, ou de la capacité à faire face à ces dernières. Ainsi, en ce début de XXI siècle, les obstacles à l’harmonie du vieillissement des Français relèvent plus du regard social porté sur la vieillesse et des conséquences des maladies que de la glycation des protéines… Ce qui laisse espérer de réels progrès pour les années à venir, autant que les années précédentes en ont apporté. Car le xx siècle aura été aussi le siècle de l’émergence d’un épanouissement au grand âge et que rien ne s’oppose à ce que les progrès médicaux et sociaux se poursuivent.
Il reste encore beaucoup à faire dans la qualité de la prévention des maladies cardiovasculaires et des cancers (j’ai parfois vu dans le sac à main de personnes venues consulter pour « ne pas vieillir » des boîtes de vitamine E et de DHEA côtoyer un paquet de cigarettes) ainsi que dans un grand nombre d’affections incapacitantes. Et surtout dans la correction des inégalités d’accès à ces actions, car les écarts entre catégories sociales demeurent importants. Comme dans toutes les problématiques sanitaires et sociales, l’enjeu est multiple, personnel et collectif.
Mieux soigner dans le grand âge
Cela suppose une réflexion sur la représentation du vieillissement, de la maladie et notamment du déclin cognitif chez les professionnels de santé. Certains malades sont privés de leur chance au nom du « à son âge à quoi bon » et par méconnaissance des spécificités de la morbidité et de la thérapeutique des malades âgés. La médecine du grand âge, la gériatrie, n’est enseignée dans les facultés de médecine que depuis la fin des années 1990. Ce qui revient à dire que plus de 90 % des médecins en exercice n’ont pas eu de formation à la gériatrie et à ses pratiques spécialisées. Celles-ci reposent sur une lecture globale de la fragilité des malades âgés, fragilité médicale tout autant que sociale ou psychocognitive. Lorsqu’on compare dans des essais randomisés la gériatrie au soin usuel, l’écart observé, en termes de résultats pour les malades, est important. De nombreux travaux montrent que la prise en charge gériatrique permet de réduire la perte d’autonomie, le risque d’entrée en maison de retraite et de réhospitalisation, améliore la qualité de vie. Et surtout on observe une réduction de la mortalité à un an de 12% ! Quelle est l’urgence ou l’action la plus utile pour un vieillissement réussi des Français dans les années à venir : la DHEA ou le développement de la gériatrie ? Car pour le moment la France est très en retard dans le développement de la gériatrie. Très peu de professionnels la pratiquent et des oppositions corporatistes ne favorisent pas son développement en ville comme à l’hôpital.
Cesser de faire de la vieillesse un âge de relégation sociale
Les politiques sociales dirigées vers les sujets âgés en France ont toujours été en retard sur celles concernant les autres classes d’âge. Les compensations de handicap sont plus modestes passé 60 ans à désavantage équivalent. Les effectifs des maisons de retraite sont squelettiques en comparaison avec ceux des centres d’accueil pour enfants en difficulté. Notre société tolère la maltraitance des aînés par manque de moyens dans les maisons de retraite alors qu’une gifle donnée par un enseignant à un enfant turbulent révulse la France entière. Ce décalage sociétal est d’autant plus surprenant qu’individuellement jamais les Français n’ont fait autant pour leurs aînés. Le discours de l’été 2003, privilégiant la responsabilité individuelle des Français dans les morts de la canicule (y compris dans la présence hautement signifiante du président de la République aux obsèques de ceux dont probablement la lignée était éteinte), était en opposition absolue avec la réalité. Quinze mille Français âgés sont morts faute d’une politique sociosanitaire généreuse et non par rupture de solidarité familiale.
Se prendre en main
Il reste enfin à rappeler que chacun est acteur de sa santé. L’éducation pour la santé doit faire passer les vrais messages : la vitamine E et la DHEA sont dépourvus d’effet, tandis que l’activité physique en a et le vieillisse¬ment réussi est aussi le fruit d’action personnelle.
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