Premières critique adressées aux amphétamines
C’est au début des années 1950 qu’apparaîtront les premières critiques médicales adressées aux amphétamines. Elles inaugurent un régime de déclin qui aboutira à l’interdiction complète de la substance vingt ans plus tard environ. Timides encore, elles viseront essentiellement la suppression du sommeil qu’induisent les amphétamines. Les personnes sous amphétamines sont parfois si peu fatiguées qu’elles ne trouvent plus le sommeil pendant plusieurs jours.
Certains médecins, dans la tradition hippocratique de la recherche du meilleur équilibre naturel, expliquent alors que la fatigue est un système de protection du corps qui lui indique qu’une activité donnée ne peut continuer sans danger pour l’organisme. En masquant la fatigue du corps, les amphétamines brouillent ce message et compromettent la santé de celui qui croit trouver en elles un surplus d’énergie. Le corps a ses limites et est doté aussi du moyen de les signaler (la fatigue est l’un d’entre eux), objecte ainsi doucement la sagesse médicale.
Après l’engouement des premiers temps, donc, certains médecins, se rangeant ici résolument du côté d’une norme naturaliste, tiendront un discours nettement dissuasif, et parfois même catastrophiste sur l’usage des amphétamines. Ils mettront en avant les dommages qu’elles peuvent créer dans ce sanctuaire de la personnalité, de l’intelligence et de la sensibilité qu’est le cerveau humain. Le délabrement neurologique sera ainsi l’idée dominante dans la plus grande partie de ces mises en garde médicales.
Supposez, dit en substance le médecin, qu’une idée soit semblable au mouvement d’une feuille quand celle-ci est agitée par le vent. Si vous augmentez la vitesse du vent, vous augmentez le mouvement des feuilles ; vous pensez plus et plus vite. Mais, au-delà d’une certaine limite, ce sera la tempête et là, vous allez arracher les feuilles, voire les arbres. Et c’est pour cette raison que nous déconseillons l’usage de ces substances. Il n’est pas contestable qu’une utilisation bien réglée – qui déclenche le vent sans aller jusqu’à la tempête – suffisamment maîtrisée pour ne pas entraîner de forte dépendance, peut être bénéfique pour une personne. Mais il est très difficile de connaître ce point optimal. C’est pourquoi nous préférons déconseiller ou, au moins, mettre en garde. Dans son double mouvement d’ascension et d’effondrement, le stimulant donne aussi une leçon de modération. Et c’est à nous, médecins, de traduire cette leçon dans un langage accessible à tous.
La nature prescrit des limites à nos capacités d’action. Toute transgression de ces limites se paye par un dérèglement qui fait tôt ou tard sentir son effet. Tel sera le discours médical le plus courant. Un discours dont la forme archétypale se trouve dans les arguments, que nous avons rapportés plus haut, que le Dr Watson expose à Sherlock Holmes et qui tendent à le dissuader de cette consommation ou, à tout le moins, à l’avertir de ses dangers. Tous les médecins, cependant, ne sont pas de cet avis.
En fait, pendant toute la période où les amphétamines pourront être obtenues sur simple prescription médicale se posera, pour le médecin, la question d’évaluer la demande de son patient et de trouver la juste façon d’y répondre. Le patient, le plus souvent, est ici le demandeur de la substance. Il ne consulte pas le médecin pour savoir de quel mal il souffre et quel produit, éventuellement, pourrait le soulager. Il cherche plutôt à obtenir une prescription pour un produit précis : les amphétamines, dont il a entendu parler ou au sujet desquelles il a lu quelque article élogieux ou qu’il a déjà utilisées en telle ou telle occasion.
Bien qu’il soit ici partiellement dépossédé de son rôle d’expert, le médecin revendique une compétence sur une question qui touche au rapport d’une personne avec un produit. Il entend tout particulièrement ne pas se constituer en simple agent de la politique qui ferait de lui le moyen le plus économique trouvé par l’Etat pour ajuster les comportements individuels aux normes sociales.
Dans ces conditions, on ne doit pas s’étonner de trouver les médecins divisés sur les usages qui peuvent être fait de ces substances. Certains estiment qu’elles représentent un danger important et qu’elles doivent être proscrites dans tous les cas sauf exceptions dûment justifiées (cas de narcolepsie, par exemple). D’autres estiment au contraire que, moyennant certaines précautions, le danger peut être maintenu dans des limites acceptables et que, compte tenu de l’intérêt que leurs patients paraissent éprouver pour ces substances, ils peuvent leur en prescrire, tout en leur faisant quelques recommandations d’usage’.
D’autres encore songeront à corriger l’inconvénient que représente l’insomnie en ajoutant un relaxant ou un somnifère à la prescription d’amphétamines. C’est ainsi qu’on verra apparaître des doubles prescriptions : amphétamines pour le jour, barbituriques pour la nuit. Le corps humain n’aura jamais été autant une machine qu’on allume le matin et qu’on éteint le soir. Mais la machine possède aussi d’autres voyants d’alarme, plus alarmants justement : le rythme cardiaque, la pression sanguine, augmentent parfois dangereusement chez certains utilisateurs. L’embolie cérébrale guette alors.
Cette diversité d’opinion, au sein même du corps médical, est en partie à l’origine de l’échec des premières tentatives de régulation de la consommation d’amphétamines. En effet, avant de faire l’objet d’une interdiction généralisée, c’est aux médecins qu’a été confiée la charge d’assurer cette régulation. Le médecin intervient ici en tant qu’il est apte à donner des conseils sur l’utilisation de toute substance, mais aussi en tant qu’il est censé veiller, parfois contre l’avis de celui qui le consulte, à son avenir. Il est censé prévenir des risques qui sont invisibles dans le présent parce qu’ils se situent dans le futur à une distance inconnue, impossible à prévoir même.
Vidéo : Premières critique adressées aux amphétamines
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