Pourquoi n'entend-on plus quand on baille ?
La sensation de bien-être procurée par le bâillement est souvent gâchée par l’impression de ne plus rien entendre. Dans un avion, les hôtesses – que l’on n’écoute jamais assez – invitent les passagers à bâiller en cas de douleur au niveau des tympans. Quel rapport existe-t-il entre le fait de bâiller et celui d’avoir mal (ou de n’avoir plus mal!) aux oreilles?
La tête est un organe plutôt creux, formé de cavités reliées entre elles afin d’équilibrer les pressions différentes qui y régnent. L’évolution a ménagé ces cavités chez tous les vertébrés pour alléger les crânes, si lourds à porter pour les fragiles colonnes vertébrales. Le mal aux oreilles que l’on ressent quand l’avion chute dans un trou d’air, lorsque la voiture entre dans un tunnel ou que l’on plonge vers le fond de la mer signifie que le tympan est soumis à une augmentation de la pression. Cette membrane est la peau de tambour de nos oreilles. En vibrant, elle permet à tout
un système d’encoder les vibrations de l’air – qui donnent les sons – en impulsions électriques que le cerveau analyse. Quand l’air le comprime, le tympan s’incurve vers l’intérieur. Mais il ne peut rester indéfiniment dans cette posture, qui ne lui est pas naturelle. Autrement, il deviendrait douloureux et risquerait de se déchirer.
Pour remettre le tympan en place, bien droit, il suffit d’augmenter la pression de l’air de l’autre côté. Cet équilibrage s’effectue en injectant une toute petite partie de l’air aspiré – à la pression ambiante – dans un conduit, la trompe d’Eustache, qui débouche sur la face intérieure du tympan. Ce tube prend naissance au sommet des fosses nasales. Or, lorsqu’on bâille, le mouvement vers le haut de la mâchoire force leur ouverture (à l’inverse, un rhume les bouche). De l’air est conduit en force contre le tympan (il se produit la même chose quand on se mouche), qui s’incurve vers l’extérieur.
Dans le cas d’une pression moins élevée à l’extérieur, dans une cabine d’avion par exemple, c’est le contraire qui se produit: le tympan, aspiré, est incurvé vers l’extérieur. En injectant de l’air dans l’oreille moyenne par la trompe d’Eustache, on égalise les pressions régnant sur les faces interne et externe de la membrane, et tout rentre dans l’ordre. Quel que soit le mouvement, il est douloureux, et provoque une chute de l’audition de l’ordre de 15 à 20 décibels, ce qui est beaucoup. En avion, en auto ou en plongée, ce mouvement est salutaire car il permet d’équilibrer la pression entre l’extérieur et l’intérieur de l’oreille.
Mais pourquoi bâille-t-on? Est-ce d’ennui, par manque de sommeil, ou parce que le cerveau a soudainement besoin d’augmenter son oxygénation? Aussi familier qu’il paraisse, le bâillement est un phénomène assez complexe. On bâille parce que le corps veut nous avertir d’un possible changement de l’état de vigilance. Le système nerveux végétatif nous informe que nous allons devoir changer d’attitude. Il nous « secoue », en quelque sorte, parce que nous ne nous sommes pas – encore – rendu compte de l’évolution des besoins de notre organisme. Notre corps nous indique, en bâillant, qu’il faudrait envisager d’aller se
coucher ou, au contraire, de sortir du lit, de manger ou de cesser de manger, ou encore de changer d’activité.
Le bâillement est un réflexe qui a cours, ou presque, depuis qu’il existe des vertébrés. Tous les animaux charpentés par un squelette interne bâillent, sans exception, incontrôlable, le bâillement provoque une sorte de dilatation générale du corps. La bouche, le cou, les poumons, la face, tout s’ouvre. Les glandes lacrymales, comprimées, laissent s’échapper quelques gouttes. La bouche, momentanément hors contrôle, abandonne un peu de salive. Les muscles antagonistes qui la commandent, à la fois ceux qui la ferment et ceux qui l’ouvrent, sont excités en même temps : on risque la luxation. Le pharynx quadruple sa « lumière » (son ouverture): l’air entre en masse, mais ce n’est là qu’une conséquence du bâillement, et point le but recherché. Puis le corps tout entier s’étire. On tend ses muscles, souvent en se manifestant bruyamment. On se sent mieux et, sans le vouloir, on est redevenu plus vigilant. Curieusement, les centres nerveux à l’origine de ce phénomène (tronc cérébral, hypothalamus et hippocampe) et les hormones mises en jeu (dopamine, ocytocine, acétylcholine) sont également impliqués dans la succion chez le fœtus.
Quant au caractère communicatif du bâillement, bien réel, il s’explique au niveau neuronal par une activation du lobe frontal, impliqué dans la sociabilité. Comme chez les grands singes, dont nous sommes, le bâillement serait un acte social permettant de jauger l’empathie à l’égard des autres. Les primates ont pour caractéristique évolutive dominante la capacité à s’exprimer par les mimiques faciales. Le bâillement doit donc être considéré comme un signe avertissant d’un changement d’émotion, diversement interprétable: l’autre peut se mettre lui-même en situation de vigilance en bâillant à son tour, ou, au contraire, se contenir en signe de méfiance. L’absence de bâillement serait alors le signe d’un manque d’empathie^ ou d’une grande méfiance vis-à-vis de ses congénères. À l’inverse, bâiller en groupe pourrait être interprété comme un moyen de mettre l’ensemble du groupe en état de vigilance. Cette stratégie sociale de survie viendrait donc de la nuit des temps…
Vidéo : Pourquoi n’entend-on plus quand on baille ?
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Pourquoi n’entend-on plus quand on baille ?
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