Pourquoi ne reconnait-on pas sa voix sur un enregistrement ?
Il n’y a pas un homme ou une femme sur cette planète qui reconnaisse sa voix enregistrée. Le sexe, la culture, la couleur de peau, l’ethnie, la patrie, rien n’y fait: l’être humain ne s’entend pas lorsqu’il s’écoute ! La raison en est assez simple: nous percevons les sons que nos cordes vocales émettent à la fois depuis l’extérieur et l’intérieur de nos oreilles. En revanche, nous entendons les sons prononcés par d’autres ou ceux enregistrés prononcés par nous-mêmes (ce qui revient au même), uniquement comme des bruits extérieurs.
Mais, au juste, comment percevons-nous le son? Par les oreilles, certes, mais son cheminement n’est pas indifférent. Tout d’abord, la partie visible des oreilles, le pavillon, récupère les vibrations sonores. Il les isole, les conduit dans l’organe auditif. Il les amplifie un peu. Les vibrations de l’air passent grâce à lui dans le conduit auditif externe. Elles se transmettent ensuite au tympan. Simple membrane, celui-ci réagit à la sollicitation comme la peau de tambour à la baguette. Il vibre et, ce faisant, sollicite à son tour un système d’osselets.
Nous étions dans l’oreille externe, nous voici maintenant dans l’oreille moyenne. En contact avec le tympan, le marteau fait office de premier osselet. Quand le tympan oscille un peu vers l’intérieur, il se soulève; quand le tympan se balance vers l’extérieur, il s’abaisse. Chaque fois, le marteau imprime son mouvement à l’enclume, le second osselet, lequel démultiplie le même mouvement pour mettre en branle le troisième osselet, l’étrier.
Ces trois osselets jouent un rôle de transformateur: grâce à eux, le son, qui netait qu’une ondulation de l’air dans l’oreille moyenne, devient une ondulation mécanique, un code. Lequel va être transformé en impulsions électriques par l’oreille interne. Celle-ci démarre par un second tympan, la fenêtre ovale, sur laquelle frappe l’étrier. Derrière elle, loge un long tube enroulé en spirale, en « limaçon », empli d’un liquide (dérivé de la lymphe) de pression moyenne, et divisé en trois « sous- tubes » : la cochlée. Chaque mouvement de l’étrier, amplifié par la fenêtre ovale, déplace du liquide dans la cochlée. Ces mouvements induisent des différences de pression que captent deux types de cellules sensorielles ciliées (elles portent des cils qui bougent sous l’effet de la pression du liquide). Les unes sont sensibles à des gammes de fréquence différentes, les autres amplifient les informations qu’elles envoient à l’organe sensoriel centralisateur, l’organe de Corti, en communication avec le cerveau par le nerf auditif. Et c’est ainsi que le son, simple mouvement d’air, une première fois transformé en énergie mécanique, est codé en impulsions électriques compréhensibles par le cerveau.
Cette rapide description permet de comprendre que le son peut être facilement perturbé. Les os conduisent fort bien le moindre bruit, tout comme le liquide sous pression de la cochlée. Voilà pourquoi on entend véritablement les sons de son propre corps. Quand on se figure « entendre la mer », par exemple, en collant son oreille dans le creux d’une coquille de mollusque, en fait, ce sont les battements de son propre cœur que l’on perçoit. Or, lorsque nos cordes vocales vibrent, elles émettent des basses fréquences qui font réagir tout ce qui peut trépider dans le corps. Les os de la tête, notamment, forment une caisse de résonance pour ceux de l’oreille moyenne et le liquide de l’oreille interne.
Dans le son de notre propre voix, il y a donc une part, prépondérante, captée par l’oreille externe, et une autre, directement perçue par les oreilles moyenne et interne – alors que le son venu d’un haut-parleur passe par le chemin habituel, depuis l’oreille externe… Cette perception différente de notre voix n’est pas anodine: elle procède de la notion, capitale chez les grands singes, de la conscience de soi. C’est l’un des caractères qui nous différencient fondamentalement des autres animaux. En demandant à des sujets d’appuyer sur un bouton, d’abord de la main droite, puis de la main gauche, pour indiquer si le son qu’ils entendent est celui de leur voix, d’une voix familière ou d’une voix célèbre, on obtient un résultat étonnant: la plupart des gens appuient plus vite sur le bouton de la main gauche quand ils reconnaissent leur propre voix! C’est le signe que la reconnaissance d’un son émanant de soi se trouve dans l’hémisphère droit, là où se situe également l’identification de sa propre image dans un moroir, une autre particularité des grands singes.