Otite externe
Nous allons maintenant décrire plusieurs formes cliniques d’otite externe. Dès ce stade, il est important d’avoir en tête deux notions cliniques clés. La première est qu’en présence d’une otalgie aiguë, l’existence d’une sensibilité au toucher aide à faire la distinction entre otite externe et otite moyenne. Si vous êtes appelé au téléphone à un moment inopportun par une mère dont l’enfant hurle à cause d’une otalgie, demandez-lui de tirer le pavillon en arrière ou d’appuyer sur le tragus. Cela fera mal si le problème est externe, mais ne changera rien si seule l’oreille moyenne est infectée. Cela peut au minimum vous donner une idée de la cause, et peut-être du traitement.
Cela conduit au second point. Les germes habituellement en cause dans Y otite externe sont Pseudomonas, le staphylocoque, Proteus, Enterobacter ou d’autres à Gram négatif. En revanche, les coupables bactériologiques dans Y otite moyenne aiguë sont habituellement le pneumocoque, Haemophilus influenzae et Moraxella catarrhalis, ceux-là même qui sont souvent rencontrés dans la sinusite aiguë ou d’autres infections respiratoires d’origine bactérienne. Ces notions générales sont assez fiables et impliquent un traitement différent pour chaque entité.
Otite externe aiguë diffuse
Cet état pathologique, une infection douloureuse bien connue du conduit auditif externe, est aussi connu sous le nom d’oreille du nageur. L’immersion dans l’eau n’en est pas toujours la cause, mais cette affection survient le plus souvent dans des conditions associant chaleur et humidité. Le fait que l’oreille soit mouillée, ne serait-ce que par la transpiration, est déterminant. L’irritation locale, traumatique, du conduit est aussi un facteur favorisant. Le fait déclenchant est souvent l’implantation de germes dans l’épithélium par abrasion au coton-tige d’un conduit humide et macéré dans le but de le nettoyer ou de soulager une démangeaison. L’obscurité du conduit, sa chaleur ambiante, le pH élevé et l’humidité contribuent à favoriser la prolifération bactérienne. C’est Pseudomonas qui est presque exclusivement responsable de ces infections, bien que le staphylocoque et quelques autres puissent être sûrement mis en cause. Les germes progressent en infiltrant, poussant sous l’épithélium, accentuant la démangeaison qui se transforme en douleur.
Au stade évolué et mûr, le patient a un conduit enflé, suintant et sensible, le fait de toucher le tragus ou de tirer le pavillon en arrière provoque une vive douleur. L’oedème rétrécit la lumière du conduit jusqu’à rendre celui-ci filiforme. L’infection peut en outre s’étendre entre les fissures du cartilage antérieur vers la glande parotide et la peau adjacente, provoquant une cellulite de la région parotidienne et des adénopathies localisées.
Le traitement de cette pathologie repose traditionnellement sur des soins locaux par gouttes auriculaires, plus précisément par des préparations associant néomycine, polymyxine et hydrocortisone (Polydexa® ou ses équivalents génériques). Ces dernières années d’autres moyens sont devenus disponibles. Souvent, l’œdème du conduit obstrue celui-ci au point que les gouttes ne peuvent y pénétrer. Les nouveaux Pope Oto Wicks (bâtonnets de Merocel) sont facilement et sans trop de douleur insérés dans le conduit puis imbibés avec les gouttes auriculaires. Ils s’amollissent et se dilatent lorsqu’ils sont humidifiés et restent ainsi en place au contact du conduit comme un tampon de telle sorte que le principe actif dont ils sont imbibés peut agir « au long cours ». On remet des gouttes dessus plusieurs lois par jour et on peut ôter le Wick (ou tampon) au bout de quelques jours.
Des gouttes auriculaires à base de quinolones sont maintenant disponibles, bien que le traditionnel Polydexa® reste efficace. Dans les cas sévères, si l’âge du patient le permet, on peut administrer en plus du traitement local des quinolones, efficaces sur Pseudomonas, par voie orale. Il ne faut pas oublier les antalgiques – cette infection, lorsqu’elle est sévère, rivalise avec la colique néphrétique et la crise de goutte en ce qui concerne l’intensité de la douleur. Le patient doit maintenir sa tête surélevée à la maison et s’attendre à deux à trois jours difficiles à passer, même avec un bon traitement.
À titre anecdotique, j’ai pu voir par le passé bon nombre de patients atteints de ce mal qui avaient reçu comme seul traitement, pendant des jours, de l’amoxicilline ou des céphalosporines. Or, soulignons que Pseudomonas est de loin le germe le plus souvent en cause dans cette pathologie, et qu’il n’est pas sensible à ces derniers antibiotiques.
Otite externe aiguë localisée
Cette atteinte, bien différente de la forme diffuse, se présente aussi comme une oreille très douloureuse. Elle est aussi connue sous le terme de furoncle du conduit. L’infection est localisée dans une glande sébacée obstruée ou dans un follicule pileux, à la partie externe du conduit, près du méat. Une pustule sensible, rouge saillante, est bien visible, obstruant le méat . C’est le staphylocoque doré qui est ici le plus souvent en cause, et une antibiothérapie orale adaptée, telle que les céphalosporines et l’amoxicilline avec acide clavulanique, associée aux préparations topiques à base de néomycine, sont indiquées. Si la lésion est sous tension et fluctuante, l’incision de son apex à la lame n° 11 et le drainage sont utiles.
Otite externe maligne
L’otite externe maligne est aussi connue sous le terme d’otite externe nécrosante ou, dans sa forme évoluée, d’ostéomyélite de la base du crâne. À l’évidence, le second de ces termes est le plus anodin des trois, les deux autres en revanche évoquent ses caractéristiques de mauvaise augure. Ce type d’infection se rencontre habituellement chez le sujet âgé diabétique et immunodéprimé. Elle peut, partant du conduit, aller jusqu’à entraîner une ostéomyélite de l’os temporal avec des conséquences potentielles fatales. Le patient se présente, typiquement, avec une otalgie comparable à celle des deux autres formes d’otite externe. Cependant, l’examen de l’oreille révèle autre chose. Le conduit est certes œdématié et sensible, mais on peut aussi voir, en bas et en arrière, à la jonction entre conduit cartilagineux et conduit osseux, à l’union du tiers externe et des deux tiers internes, une zone de tissu granuleux. Cette constatation confrontée au terrain décrit plus haut doit faire évoquer le diagnostic.
Dès que ce dernier est soupçonné, un avis ORL en vue d’un traitement radical s’impose. Le germe pathogène est presque toujours Pseudomonas, mais prélèvement et culture s’imposent. Une biopsie de la zone granuleuse éliminera la néoplasie. Le traitement comprend une antibiothérapie locale et générale adaptée et le débridement agressif des collections. La prise en charge médicale du diabète ou de l’immunodéficience peut aussi contribuer à améliorer le pronostic. Le scanner en fenêtre classique et fenêtre osseuse peut objectiver la zone atteinte. Il peut arriver que, en dépit d’un traitement agressif et adapté, l’infection osseuse soit incontrôlable et que la mort survienne.
Résumé des infections aiguës de l’oreille externe
l otite externe aiguë diffuse (« l’oreille du nageur ») est beaucoup plus fréquente que le furoncle localisé, et doit être reconnue sur le caractère diffus de l’œdème et de la sensibilité. Certains cliniciens s’égarent en prescrivant h ne antibiothérapie orale qui ne « marchera » pas sur Pseudomonas, germe de très loin le plus souvent en cause. Les gouttes antibiotiques locales et l.i mise en place d’un tampon de Merocel si le conduit est obstrué par l’œdème sont les piliers du traitement. Des quinolones par voie orale, si l’âge du patient le permet, peuvent être prescrites dans les cas sévères. La culture d’un prélèvement bactériologique doit être faite si on a le moindre doute sur la nature de l’infection, et il ne faut pas oublier d’avoir recours aux antalgiques. Un furoncle du conduit évident peut être dû au staphylocoque. Dans ce cas, le traitement par des gouttes et un antibiotique oral efficace sur le staphylocoque sont indiqués.
Le généraliste peut diagnostiquer et traiter ces infections, y compris pratiquer la mise en place du tampon de Merocel dans un conduit obstrué par l’œdème. Cependant, la présence de tissu granuleux dans le conduit chez un patient âgé ou diabétique fait pressentir l’otite externe maligne et impose de consulter rapidement l’ORL.
Otite externe mycotique
Cette atteinte est aussi connue sous le nom d’otite externe fongique ou d’otite externe chronique diffuse. Elle diffère des cas décrits plus haut en ce que la douleur est moins vive, plus sourde, mais persistante. Les doléances habituelles sont l’obstruction, un écoulement épais, une douleur sourde et des démangeaisons. Ces infections surviennent plus souvent que la plupart des cliniciens ne le pensent et sont souvent traitées à tort avec des gouttes auriculaires à hase d’antibiotiques. La constatation la plus significative à l’examen de l’oreille est la présence de matière – des débris épais et humides – dans le conduit .
Aspergillus niger est le responsable le plus fréquemment en cause et son exsudât apparaît comme en partie noir, en partie gris clair, évoquant du « papier buvard mouillé » dans la partie profonde du conduit, voire au conta cl du tympan. D’autres espèces d’Aspergillus apparaissent beige ou jaune orangé et se localisent aussi dans le fond du conduit. Aspergillus a plus tendance à faire mal qu’à démanger. Quand le canal est nettoyé des dépôts, la peau sous-jacente apparaît rouge et à vif. Cet organisme est une « moisissure » qui peut s’attraper dans l’environnement, partout où peuvent se trouver des moisissures.
Candida albicans et d’autres espèces de Candida sont aussi des pathogènes fréquemment en cause. Leur exsudât a tendance à apparaître floconneux, blanc ou crème, et en plus de l’obstruction, les démangeaisons constituer!I une doléance à prendre en compte. Il est souvent rencontré chez les sujets traités par antibiotiques ou immunodéprimés (y compris les diabétiques). D’autres champignons tels que l’Actimomyces et les Phycomycètes peuvent, rarement, être en cause.
Un point diagnostic : les champignons mentionnés ont une faible odeur de moisi ou aucune odeur, alors que Pseudomonas a une odeur douceâtre de moisi caractéristique, et que le staphylocoque doré et Proteus ont une odeur franchement fétide. S’il existe un doute sur l’agent infectant, dans toute infection externe, il faut demander des cultures à la fois bactériologiques et fongiques. Parfois germes et champignons coexistent, en particulier Pseudomonas avec Aspergillus.
La clé du traitement des infections fongiques est le nettoyage complet des dépôts afin de ne laisser aucun spore susceptible de repousser. S’il n’y a pas de perforation du tympan, lavage doux et aspiration peuvent être la meilleure façon de libérer le conduit. (Attention, laver par irrigation un conduit infecté n’est habituellement pas recommandé, mais dans les infections fongiques, je n’ai pas rencontré de complications tout au long de ma carrière, à condition d’aspirer jusqu’à la dernière goutte de liquide dans le conduit.) On peut alors instiller dans l’oreille une bonne quantité d’antifongique en poudre (nystatine) ou en lait (Pévaryl). Les antibiotiques et les stéroïdes ne sont d’aucun secours, et peuvent même favoriser la pousse des champignons, en particulier de Candida. En fait, l’otite fongique peut être une complication de l’abus d’usage de gouttes auriculaires antibiocorticoïdes. L’usage d’antifongiques oraux tels que le Triflucan (fluconazole) peut être envisagé dans les cas rebelles.
Résumé
L’otite externe mycotique, synonyme de Yotite externe diffuse chronique, est caractérisée par des douleurs moins vives que celles des otites externes aiguës. Les patients se plaignent d’humidité persistante du conduit, d’obstruction, d’otorrhée de consistance épaisse, de démangeaisons et d’une gêne modérée. À l’examen, la présence d’une otorrhée épaisse dans le conduit, sans œdème important ou sensibilité vive au toucher, est caractéristique. Aspergillus ou Candida sont les coupables habituels mais il faut savoir demander des cultures pour tous les micro-organismes en cas de doute. L’efficacité du traitement repose sur Y ablation de tous les dépôts suivie de l’instillation des produits antifongiques décrits plus haut.
Le généraliste peut faire le diagnostic, mais habituellement le recours à l’ORL est indispensable pour assurer le caractère complet du nettoyage. Même alors il y a un risque de persistance ou de récidive de l’infection qui peut obliger à répéter les nettoyages et les applications de topiques. Dans les cas rebelles, l’utilisation d’antifongiques systémiques tels que le Triflucan peut être envisagée.
Vidéo : Otite externe
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