Les toxicomanes ont connu une enfance difficile
Ou plutôt, ce n’est pas une condition nécessaire pour devenir toxicomane. On rencontre chez les usagers de drogues toutes sortes de trajectoires individuelles et les difficultés liées à l’enfance n’entrent que pour une part dans la
construction des toxicomanies. Il faudrait d’ailleurs définir ce qu’est une enfance difficile : quels points communs entre l’enfant torturé physiquement et privé d’amour, l’enfant grandissant dans des conditions matérielles difficiles et l’enfant gâté qu’on ne veut pas voir grandir ? Il existe en effet de nombreuses causes possibles à la souffrance, de nombreux modes d’expression de celle-ci, et il n’y a pas de lien direct entre son intensité et la façon dont on l’exprime ou dont on tente de la résoudre.
Sigmund Freud voyait trois causes principales à la souffrance conduisant à utiliser des drogues :
- la douleur et l’angoisse, qui sont inséparables de la condition humaine ;
- le monde extérieur, qui, écrit-il, « s’acharne à nous anéantir » ;
- les rapports avec les autres hommes, qui sont peut-être la source de la plus grande souffrance.
On peut aisément transposer de nos jours ces trois points :
- la douleur et l’angoisse (rebaptisée parfois « stress ») trouvent dans les drogues une atténuation certaine ;
- le monde extérieur est pour certains hostile, dès lors qu’il présente un avenir bouché, un environnement triste, des conditions de vie trop éloignées des aspirations des personnes ;
- enfin, les rapports avec les autres hommes constituent depuis l’aube de l’humanité le terreau de toute la psychopathologie, c’est-à-dire la manière dont on façonne sa relation aux autres, qui repose sur la façon dont on a grandi, en intégrant plus ou moins bien ses expériences précoces, sa propre histoire et ses vicissitudes. Les usages de drogues prennent de nos jours une place de plus en plus importante dans ces tableaux, sous forme de tentatives d’automédication.
La clinique montre aussi que les toxicomanies liées à des carences affectives précoces sont souvent graves et difficiles à abandonner : les tentatives d’arrêt des drogues réveillent des douleurs à vif et laissent ces personnes à leurs difficultés relationnelles graves, nécessitant une prise en charge soutenue et un accompagnement au long cours.
Pour autant, la souffrance que l’on croise dans nombre d’histoires individuelles ne doit pas conduire à l’apitoiement, mais à la recherche de solutions adaptées, aidant les personnes à vivre avec leur passé pour aller vers l’avenir.