Les prolégomènes
Arrivée des psychotropes en Europe
On répète souvent que l’usage des psychotropes se retrouve aussi loin que remontent les traces de l’histoire humaine sur Terre. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle, en Europe, qu’il est possible de repérer les premiers signes d’un examen systématique et raisonné de l’effet des «¿»tances psychotropes sur le psychisme humain. Auparavant, les seuls signes tangibles de consommation de substances psychoaffectives ¿ont on dispose indiquent qu’elles furent l’objet d’une utilisation ritualisée, souvent en relation avec des activités religieuses.
Mais l’interrogation philosophique qu’elles peuvent induire est une spécificité européenne et n’apparaît qu’à un moment relativement tarif de l’histoire de la civilisation occidentale. Et, dès qu’elle apparaît, nous la voyons se déployer sur deux versants : artistique d’un côté, psychologique de l’autre. Art et psychologie partageront pour un temps km s méthodes et leurs intérêts. Témoin de cet intérêt naissant, cette remarque que Théophile Gautier formule au sujet du haschisch : étrange problème ! Un peu de liqueur rouge, une bouffée de fumée. une cuillère d’une pâte verdâtre, et l’âme, cette essence impalpable. est modifiée à l’instant. »’ C’est là, énoncé en peu de mots, tout le problème que soulèvent les substances psychotropes. Ce problème, longtemps délaissé par la philosophie, arrivera en Occident par la porte de 1’« Orient compliqué » (comme le nommera plus tard l’un de ceux qui ont tenté d’en scruter les profondeurs, le poète Henri Michaux). Mais reprenons l’histoire à son commencement.
Les confessions d’un mangeur d’opium
Au début du XIXe siècle, conséquence de l’instauration de liaisons commerciales régulières avec la Chine, la consommation d’opium augmente rapidement en Europe. Il n’est pas ici question, comme c’est alors le cas en Chine, de fumeries ni, comme ce sera le cas plus tard, d’une mode : l’opium est vendu en pharmacie sous le nom de « Laudanum ». Il aide à trouver le sommeil, il rend les rêves agréables. Efficace contre la douleur, il est employé comme sédatif. C’est ainsi que l’écrivain anglais Thomas De Quincey, qui souffre de douloureux maux de tête, se voit prescrire à Londres, au début des années 1820, du Laudanum. Si le produit vient à bout sans difficulté du mal qu’il était supposé vaincre, il fait aussi apercevoir à De Quincey de nouveaux horizons, et d’autres usages possibles de la même substance. Deux ans plus tard, il publie Les Confessions d’un mangeur d’opium
C’est une nouvelle forme de volupté qui est décrite dans ce livre : volupté qui associe à l’état de conscience modifié le sentiment d’un dévoilement de vérité (réel ou illusoire, peu importe tant qu’il s’agit de littérature) par l’effet combiné de la substance et de l’écriture. L’artiste, aidé de la substance, cette muse des Temps modernes, voit une vérité qu’il transmet ensuite par son œuvre. Fréquemment — c’est le cas chez De Quincey, comme ce sera le cas chez Baudelaire —, l’artiste dit avoir un besoin vital d’un contact avec le sublime. Égaré qu’il est dans un monde où il ne se reconnaît pas, il trouve dans la drogue un expédient inspiré : le contact avec la beauté s’établit par le biais d’une substance,étrangère à tout l’art par les effets qu’elle produit. La littérature qui possédait sa Il million de récit de voyage, aura aussi, après De Quincey, sa tradition de récit de voyages intérieurs (pas nécessairement moins dangereux) provoqués par des substances psychotropes. Alfred de Musset I m il »liera, la première traduction française du livre de De Quincey en1848.