Les pratiques de consommation du drogue
Pourquoi ?
On se drogue pour rechercher des plaisirs supérieurs
Toutes les drogues peuvent générer des sensations de plaisir, qui vont de l’euphorie alcoolique ou cannabique à un plaisir puissant, tel celui lié aux premières injections d’opiacés, en passant par le plaisir du « lâcher prise », recherché par certains. Dans les années 1970, certains héroïnomanes comparaient le plaisir de l’injection d’héroïne à un orgasme puissance mille, ce qui a pu laisser rêveurs quelques thérapeutes, avant que ces discours ne cèdent le pas à des propos plus réalistes, relatifs aux difficultés qui précédaient les consommations.
Il n’en reste pas moins qu’un trait commun aux « drogues » est leur capacité à évacuer les tensions accumulées dans la vie quotidienne. Ce soulagement est d’autant plus apprécié et vécu comme un plaisir que ces tensions sont fortes et n’ont pas trouvé d’autres moyens d’apaisement.
Il faut cependant bien savoir que ces sensations de plaisir s’épuisent vite, au fur et à mesure que l’accoutumance ou la dépendance s’instaurent. Elles font alors place aux sensations du manque et du mal-être, qui contraignent à poursuivre la consommation de produit alors même que toute notion de plaisir a disparu. Commence le temps peu enviable de la recherche des plaisirs perdus.
On se drogue parce qu’on est malheureux
Freud appelait les drogues des « briseurs de soucis » (Sorgenbre- cher) et il ne faut pas oublier que toutes ont été un jour ou l’autre des médicaments. Ainsi, l’alcool et les opiacés notamment permettent de s’oublier en anesthésiant la pensée, ce qui procure assurément un soulagement si l’on est envahi par des pensées persécutantes ou tristes. D’autres substances ou les mêmes permettent d’interposer une sorte de filtre entre soi et le monde extérieur, on en est plus distant, on se sent moins vulnérable.
De nombreux travaux ont mis en évidence une fonction autothérapeutique de certains usages de drogues. Mais si les drogues agissent sur les perceptions et les sensations, elles n’agissent pas sur les causes de ces pensées et de ces affects, qui reviennent, après que l’effet de la drogue est passé, d’autant plus fort qu’ils ont été pendant un temps anesthésiés : c’est ce qu’on appelle un « effet rebond ».
L’utilisation autothérapeutique des drogues conduit alors le plus souvent à une dépendance majeure et risque d’aggraver les éventuels troubles préexistants. C’est pourquoi il faut toujours rechercher sur quel terrain vient se greffer un usage régulier de substances psychoactives.
Des circonstances sociales peuvent aussi conduire à des usages de drogues, lorsque l’environnement est peu propice au développement de l’individu, voire vécu comme hostile, et que l’avenir apparaît barré, ou qu’on ne peut même pas se le représenter. Les drogues semblent alors le seul moyen d’échapper à l’existence présente, au risque de réduire considérablement les possibilités d’agir sur celle-ci et de la transformer.
C’est l’éternel piège des drogues : on les utilise pour se sentir mieux, et ce faisant, on perd toujours un peu plus de possibilités de transformer vraiment sa réalité.
Le recours à la drogue est lié à un problème de communication
Certains spécialistes ont soutenu cette idée que la drogue serait liée à un problème de communication, en particulier intergénérationnelle. Il est vrai que l’on trouve dans certains cas de toxicomanies de graves dysfonctionnements familiaux. C’est le cas par exemple des « secrets de famille » que tout le monde connaît sauf l’intéressé, comme ce patient qui n’avait jamais connu son père, et qui a pris des drogues jusqu’au jour où il a su ce que tout le monde savait sauf lui : que son père était prêtre au moment de sa conception, et n’avait jamais pu assumer sa naissance.
Il est vrai aussi qu’il est parfois difficile de communiquer avec quelqu’un qui centre son existence sur l’expérience des drogues, et modifie ainsi son rapport aux autres. En dehors de cas pathologiques, est-ce que des « problèmes de communication » peuvent causer une toxicomanie ? L’adolescence est souvent faite de problèmes de communication, ne serait-ce que parce que la communication devient adulte, et nécessite quelques ajustements. De tout temps, on a remarqué ce décalage entre les adolescents et le monde des adultes. Il est vrai aussi que, de nos jours, les liens sociaux sont plus lâches, moins assurés, et que les individus vivent de plus en plus dans l’illusion constamment renforcée par le discours ambiant de l’auto-engendrement (l’individu se construit lui-même et ne doit rien à personne) et de la toute-puissance de l’individu sur son destin. Ce n’est donc pas tant un problème de communication que l’on retrouve au cœur de ces toxicomanies, qu’une perte d’appuis personnels et sociaux, dont le manque de communication n’est que la manifestation visible. C’est pourquoi, parmi les facteurs de protection contre les drogues, on remarque l’adhésion à des valeurs collectives fortes, qui participent à une cohésion sociale, et le fait de savoir que l’on peut, quoi qu’il arrive, compter sur quelqu’un. Si la capacité de communiquer avec d’autres sans les agresser et sans se sentir menacé est essentielle à la vie sociale, c’est surtout l’existence ou l’absence d’un tissu de liens porteurs de cette communication qui détermine la fragilité ou la protection d’une personne.
Addiction avec drogue et addiction sans drogue, c’est la même chose
L’addiction désigne un attachement exclusif à quelque chose. Le terme a été proposé pour regrouper les comportements de consommation de substances psychoactives, après que plusieurs rapports d’experts ont montré l’intérêt de concevoir dans un même champ conceptuel l’ensemble des consommations de drogues, licites ou illicites. Les compétences de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ont alors été étendues à l’alcool et au tabac. Certains cliniciens regrettent que ne soient pas pris en compte dans ce champ d’autres comportements qui, sur le plan clinique, apparaissent très proches des addictions à des substances psychoactives. On peut ainsi citer le jeu, les achats compulsifs, le sexe (certains professionnels considèrent qu’il y a addiction au-delà de vingt et un rapports sexuels par semaine), l’alimentation (anorexie/boulimie), les tentatives de suicide, voire le crime dont relèveraient les serial killers, tueurs en série.
On voit que le terme « addiction » se prête à de nombreuses extensions, et l’on a aussi pu décrire l’addiction au travail, au sport, à la télévision, autant de situations dont il faudrait analyser plus finement les enjeux et déterminants personnels et sociaux avant de les « pathologiser » par un terme aux apparences scientifiques mais aux contours flous : toute activité humaine peut être caractérisée d’« addictive », dès lors qu’elle monopolise l’énergie de la personne, et le prototype pourrait en être l’état amoureux, lorsque plus rien ne compte que l’être aimé. Il est pourtant souhaitable que chacun l’ait rencontré au moins une fois dans sa vie…
Les addictions sans drogues se traitent plus facilement que les autres
Allez expliquer à un joueur pathologique qu’il lui est facile d’arrêter ! Non, toutes les addictions, c’est-à-dire tous les comportements répétitifs qui s’imposent à la personne, quelle que soit sa volonté d’y échapper et quels que soient les désagréments qui s’ensuivent, sont extrêmement difficiles à abandonner. Les addictions impliquant des substances sont plus spectaculaires, et posent davantage de problèmes, car à la perte de liberté s’ajoutent les effets directs des produits sur la biochimie du cerveau et l’éventuelle toxicité de ces substances sur l’organisme.
Les traitements proposés aux « addictions sans drogue » sont le plus souvent comportementaux (on apprend aux personnes à identifier les moments où survient le comportement addictif, à anticiper l’acte et à adopter des stratégies d’évitement des situations favorisant ces comportements). On utilise aussi beaucoup les psychothérapies en groupe, afin que les personnes se sentent moins isolées et voient leur détermination soutenue par le collectif. Il convient aussi de s’intéresser aux éventuels troubles sous-jacents, comme la dépression, ce qui nécessite parfois un traitement médicamenteux, associé le plus souvent à un suivi psychothérapique au long cours. Parfois, des succès sont perceptibles après des temps de traitement brefs, surtout si les problèmes sont pris à temps et que les personnes acceptent de changer certaines habitudes de vie. Mais comme pour les drogues, des rechutes peuvent survenir, ou des transferts vers d’autres addictions, nécessitant un suivi prolongé. Il faut signaler aussi que les addictions sans drogues sont souvent accompagnées de consommations excessives de substances psychoactives : alcool, tabac, cocaïne, etc.
Les drogues ne développent pas les capacités artistiques
L’idée est séduisante mais elle est fausse ! Aucune drogue n’a jamais transformé un piètre écrivain en auteur à succès, un mauvais musicien en virtuose, un gribouilleur en peintre de génie… Pourtant, des artistes ont pris des drogues et certains ont laissé leur nom attaché à des substances : Charles Baudelaire, Théophile Gautier, Eugène Delacroix au club des Haschichins, Henri Michaux et Aldous Huxley à la mescaline et autres hallucinogènes, De Quincey à l’opium… Plus près de nous, de nombreux musiciens : Jimi Hendrix, Janis Joplin et d’autres figures du rock ou du jazz ont contribué à populariser l’héroïne et le LSD et à auréoler les usages de drogues d’un « sombre romantisme ».
Il faut bien distinguer l’impression que l’on peut avoir, sous drogues, d’être un génie et la perception d’une œuvre, littéraire, musicale, picturale, lorsqu’on n’est plus sous drogues, qui correspond rarement à ce qu’on croyait avoir fait. Un musicien peut avoir le sentiment de jouer merveilleusement sous l’effet de drogues, et être très déçu lorsque à jeun, il écoute l’enregistrement de sa performance.
Pourtant, l’usage de drogues a certainement modifié, parfois fortement influencé l’œuvre de certains artistes, mais pas tant parce que les drogues apportent la créativité que parce qu’ils ont su évoquer et transmettre une part de leur expérience. Cette capacité à restituer une expérience le plus souvent incommunicable, à la transcrire dans leur œuvre, repose non pas sur les produits mais sur le travail des artistes : la plupart ayant utilisé des drogues ne les consomment pas pour créer, mais créent dans un second temps, en s’appuyant éventuellement (pas tous, et certains s’en défendent) sur leur expérience.
Par ailleurs, si l’on connaît des artistes qui ont réussi tout en consommant des drogues, n’oublions pas ceux qui n’ont pas réussi à cause des drogues, ou ceux dont les courtes carrières ont été stoppés par la mort ou l’incapacité à poursuivre leur métier. Baudelaire, inoubliable auteur des Paradis artificiels et souvent invoqué comme exemple de ces artistes consommateurs de drogues, dénonçait leurs méfaits et leur accordait plus de vertus thérapeutiques qu’il ne les considérait comme des supports à la création.
On ne peut pas vivre bien avec une addiction
Dans l’addiction, il y a toujours une perte de liberté et la notion d’une contrainte plus forte que la volonté, qui pousse à faire des choses que l’on sait nuisibles pour soi. Pourtant, certains s’en accommodent : c’est le cas des fumeurs de tabac, qui mettent souvent un temps relativement long à questionner leur dépendance, car elle ne pose pas de problème immédiat : les maladies induites sont toujours, et d’autant plus qu’on est jeune, renvoyées à une perspective lointaine. C’est lorsque l’addiction présente un inconvénient dans la vie quotidienne que l’on en prend conscience : par exemple, lorsque le prix du tabac augmente et atteint plus que de raison le budget du fumeur.
De même, les personnes qui vivent dans des environnements où l’alcool (ou la cocaïne dans certains milieux) coule à flot peuvent être dépendantes sans s’en rendre compte tout de suite, car jamais confrontées au manque : c’est le cas de certains représentants de commerce, de « jet-setters » allant de cocktails en dîners, ou d’élus locaux coutumiers d’inaugurations et commémorations arrosées… Mais si l’addiction peut être longtemps entretenue, si l’on peut pour un temps se la cacher à soi-même, elle n’en est pas moins présente, et de plus en plus exigeante. Arrive pratiquement toujours un moment où les consommations dérapent, elles deviennent solitaires, une partie d’entre elles est masquée au regard des autres (les deux ou trois verres, le joint ou la ligne de cocaïne avant la soirée). Dans le même temps, l’entourage va percevoir une différence de comportement, une baisse des performances que même les drogues ne permettent plus de retrouver. Alors, les résultats professionnels baissent, la réputation se ternit, on est moins invité et l’on rencontre moins d’opportunités, le décalage se creuse entre l’entourage et celui qui ne gère plus – ou moins bien – ses consommations, qui va alors être exclu, parfois s’exclure de lui-même : c’est le début d’une dérive lente ou rapide vers la solitude de celui qui n’a pour tout compagnon qu’une substance inerte, et pour toute ressource qu’un comportement dramatiquement répétitif.
Vidéo : Les pratiques de consommation du drogue
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Les pratiques de consommation du drogue