Les nouveaux spagyristes du placebo
En se plaçant dans un registre de non-entrave- ment des processus physiologiques de guérison, la plupart des médecines naturelles ou parallèles s’ins- cl ivent dans le droit fil de la pensée alchimiste. Hah’ neman, père de l’homéopathie, archétype des méde- cines douces, a d’ailleurs bâti toute sa théorie sur le principe de similitude – c’est le Similia similibuS curantur du grand Hippocrate lui-même – qui n’est rien d’autre que le principe d’analogie. De fait, l’homéopathe, avec ses consultations détaillées, son approche clinique uniciste et humaniste, son grand apparatus de prescriptions minutieuses aux noms latins mystérieux et aux présentations galéniques inhabituelles, perpétue, sans toujours le savoir, une tradition ésotérique que les allopathes aujourd’hui rejettent communément, privilégiant le fonds scienti’ fique. Mais au moment de son implantation en France, la pensée hahnemanienne représentait un véritable espoir pour les médecins. Il est vrai qu’en plein xixe siècle, la médecine officielle ne disposait quasiment pas de traitement efficace et que les soins a base de saignées et de purgations, effectués dans des conditions d’hygiène assez spéciales, se révélaient souvent particulièrement invasifs et dangereux.
Bien que discutée par les historiens, l’étude revendiquant une efficacité supérieure de l’homéopathie dans la prise en charge d’une épidémie de choléra à Marseille en 1832 démontre à quel point la pratique officielle de lepoque aggravait le pronostic de la maladie en affaiblissant le malade. Dans de telles conditions, tout traitement non agressif ne pouvait qu’obtenir des résul- tats nettement supérieurs. Primum non nocere, disent encore les homéopathes aujourd’hui.La psychanalyse, notamment l’hérésie de Lacan,
si l’on prend la peine d’y réfléchir un moment, représente, au même titre que l’homéopathie, un avatar de la pensée alchimique, dans ses fondements les plus ésotériques. Une sorte de spagyrie de l’âme. Comme l’alchimie, il s’agit d’une science (ou d’une religion?) traditionnelle. À l’inverse des sciences modernes qui poursuivent sans relâche la notion de progrès, chaque chercheur se servant des découvertes du pi’écédent pour amener une acquisition nouvelle, sans cesse plus élaborée mais sans cesse dépassée, les sciences traditionnelles reposent sur une révélation initiale, texte fondateur délivré par un grand Initié. Tous les épi- gones, sectateurs et continuateurs peuvent, au mieux, espérer approcher de la perfection du Maître. Comme les homéopathes se réfèrent en permanence à Hah- neman et à sa matière médicale, il est frappant de voir Lacan et les siens se présenter comme les vestales du temple de la pureté freudienne. Nombre de combats au sein des différentes écoles psychanalytiques portent sur le fait que tel ou tel verset de la pensée du maître viennois a ou non été interprété correctement, dans un fonctionnement digne de certains oulémas. Ainsi, dans un numéro récent de La Pratique psychanalytique éditée par la Société psychanalytique de Paris, la couverture est-elle occupée par un document autographe du maître fondateur, la troisième page par une photo du même tandis que l’introduction rappelle vigoureusement que le mouvement Association psychanalytique internationale, dont la branche parisienne est directement issue, a été créé par le divin Freud. En d’autres termes, tout Œdipe mis à part, seuls ses membres sont les fils légitimes et ont « toujours eu le souci de l’intégrité de sa transmission ».
Le parallélisme avec l’alchimie peut encore être poussé plus loin. La psychanalyse utilise l’association libre qui n’est rien d’autre qu’un mode de raisonnement analogique. L’important n’est pas dans l’explicite, le premier degré, le manifeste. L’important réside dans le non-dit, le sens caché, dans les arcanes du discours implicite. L’inconscient ne se plaît que clans le deuxième, voire le troisième degré. Sans insister sur les aspects pour le moins hermétiques de certains de ses textes, nous rappellerons l’importance chez Lacan de calembours dignes de la Kabbale autant que de l’almanach Vermot : « le nom (ou non) du père », « je ne m’adresse pas à la cantonade » à entendre aussi à « Lacan-tonade », etc. C’est « l’effet tuyau de poêle ». Par ailleurs, la psychanalyse est, pour l’essentiel, un catalyseur de la guérison, ce qui permet de la classer au nombre des médecines naturelles, trop souvent réduites à tort aux seules médecines douces. Selon le mot d’un de nos maîtres, le psychanalyste n’est que 1’« accoucheur » de l’inconscient et, partant, de la guérison. Tout le travail est accompli par l’analysant qui recèle toutes les clés en lui dès le départ mais l’ignore encore. Moins les complexes névrotiques sont enfouis profondément, moins le travail d’analyse sera difficile.
C’est sans doute pour cette raison que, selon l’aphorisme deLouis-Pierre Jenou- det, « la psychanalyse fait d’autant plus de bien que l’on va bien (au départ) », ce qui est probablement vrai d’ailleurs pour toute médecine naturelle. Enfin, dernier point de comparaison, le psychanalyste doit, comme l’alchimiste, se soumettre avant toute intervention sur la matière humaine à un long et douloureux travail d’autotransformation, l’analyse didactique. Soit, à l’image de Freud, il procède seul, c’est l’auto-analyse, soit, le plus souvent, il se place sous la direction d’un maître. Il est d’ailleurs piquant de comparer certains textes sur les vertus nécessaires de l’apprenti alchimiste et certains articles sur les qualités exigées du futur analyste. Les psychanalystes chercheraient-ils (inconsciemment) la panacée, l’universel remède ? Si l’on considère l’extension des indications thérapeutiques aujourd’hui – de la psychose au cancer, de l’ulcère à la névrose, de la politique à l’histoire de l’art – on ne peut manquer de se poser la question. Ont-ils effectivement trouvé le moyen de faire de l’or? C’est là un tout autre débat.