les drogues et addictions : Les traitements
Drogué un jour, c’est pas drogué toujours
Heureusement ! Il est vrai que sortir d’une addiction est difficile et prend du temps, mais la plupart des usagers de drogues arrêtent un jour, ne serait-ce, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Claude Olievenstein, pionnier du traitement des toxicomanies modernes, parce qu’« il n’y a pas de drogués heureux ». La dépendance n’est pas un état enviable, on s’y épuise, on s’y ennuie et après les premiers temps de bénéfice des usages de drogues, on n’en rencontre plus que les inconvénients : la douleur, la solitude, la maladie.
Lorsque les gens sont très dépendants, cela nécessite la mise en œuvre de moyens plus lourds et plus complexes, car il faut alors composer avec une biochimie et un rapport au monde très imprégnés de l’usage de drogues. Les traitements de substitution, quand ils sont possibles (ils n’existent à ce jour que pour la nicotine et l’héroïne), permettent une bonne transition, accompagnée chaque fois que nécessaire d’un soutien médico-psycho-social.
Il est vrai que l’usage prolongé de drogues, après qu’on l’a arrêté, laisse une certaine fragilité : quand on a utilisé les drogues pour résoudre ses difficultés à un moment donné, la tentation est grande de les réutiliser lorsque surviennent de nouveaux obstacles : on voit ainsi des rechutes tardives à l’occasion d’une perte d’emploi, d’une rupture, d’un deuil… Elles peuvent être brèves, si elles sont traitées à temps. Cela montre l’importance du climat de confiance qui doit régner entre l’usager et ses soignants, qui doivent autant que possible rester disponibles bien après la fin du traitement. C’est aussi tout l’intérêt des institutions de soins, qui perdurent au-delà de leurs salariés, qui s’en vont tous un jour.
C’est possible d’arrêter
La plupart des gens arrêtent de prendre des drogues à un moment ou à un autre, temporairement ou définitivement, et toute personne peut être accompagnée vers un arrêt de sa consommation si tel est son souhait. Certains usages semblent s’arrêter d’eux-mêmes : celui du cannabis, par exemple, si problématique à l’adolescence, semble pour une bonne part s’arrêter lors de l’entrée dans la vie active, l’engagement dans des études supérieures, ou bien encore à l’occasion d’un engagement plus sérieux dans une relation amoureuse. Beaucoup de gens arrêtent seuls, sans avoir besoin d’une prise en charge lourde et sophistiquée.
Il est vrai que certaines drogues sont plus additives que d’autres et nécessitent une aide médicamenteuse et/ou psychologique pour arrêter. Cette aide peut être apportée par les médecins généralistes, pour peu qu’ils soient formés à ces problématiques, ou par des équipes spécialisées, en centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST), en centre de consultation ambulatoire en alcoologie (CCAA) ou en centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les futurs CSAPA.
Plus la dépendance est forte et intriquée à des problèmes psychologiques et sociaux plus le recours à une équipe pluridisciplinaire est utile, et ces établissements disposent du « plateau technique » nécessaire.
Mais la difficulté est surtout d’organiser sa vie au-delà du sevrage, afin de limiter les tentations de revenir aux drogues. Un humoriste soutenait ainsi qu’il est très facile d’arrêter de fumer, lui-même le faisant plusieurs fois par jour…
C’est pourquoi l’arrêt de la drogue n’est pas toujours un objectif premier. Il faut parfois le temporiser pour permettre aux personnes de retrouver un environnement et des bases solides favorables à un arrêt serein et constructif. C’est tout l’intérêt des traitements de substitution, lorsqu’ils sont envisageables.
C’est une affaire de volonté
Et d’autant plus faux que les personnes sont déjà dépendantes, puisque nous avons défini la dépendance comme la « perte de la liberté de s’abstenir ». S’en remettre à la seule volonté des personnes, les exhorter à en faire preuve, les conduit directement à l’échec. Avec en plus la culpabilité ou la honte de ne pas réussir.
Si la volonté ne suffit pas, il faut en revanche des motivations, ce qui est très différent. Elles peuvent reposer sur les éléments négatifs liés à la prise de drogues, l’altération de la santé, le rétrécissement de la vie, les dépenses occasionnées par l’addiction, les ennuis légaux, etc.
Mais elles peuvent aussi reposer sur des éléments positifs, elles en sont alors d’autant plus solides : le désir d’évoluer, une rencontre, un projet personnel.
C’est souvent à partir d’une motivation qu’une démarche peut s’engager. Dans l’accompagnement d’une personne dépendante, le premier temps est donc de susciter une motivation, puis de la soutenir. Cela paraît compliqué, mais souvent, il s’agit tout simplement de s’intéresser à la personne sur un mode positif, pour qu’elle puisse penser à elle-même et qu’elle ait envie de changer. Des personnes très « désinsérées » ont pu parfois reconstruire des projets à partir du moment où des intervenants, plutôt que de leur prodiguer encore et toujours des bons conseils et de leur rappeler des interdits, se sont mis à s’intéresser à elles, à les écouter pour ce qu’elles avaient à dire, et ont essayé de répondre à leurs problèmes concrets d’hébergement, de ressources, de garde d’enfants, etc. On ne peut attendre de quelqu’un qu’il arrête de prendre des drogues si, en même temps, rien ne change dans sa situation psychologique et matérielle. L’accompagnement par les proches ou les professionnels vise donc à faire naître une motivation, tout en trouvant des réponses aux problèmes qui entretiennent l’addiction, quand ils n’en sont pas la cause.
Pour se soigner, il faut commencer par se désintoxiquer physiquement
Selon les produits. Pendant longtemps, la seule solution proposée aux personnes dépendantes aux drogues étaient des traitements de sevrage, permettant avec une aide médicamenteuse ponctuelle de se désintoxiquer en quelques jours. Très souvent, les personnes rechutaient, parce qu’elles retrouvaient le même environnement, les mêmes problèmes et que nombre de places dans les établissements de suite (tels les centres thérapeutiques résidentiels, ou postcures pour les toxicomanes) étaient dramatiquement insuffisantes.
Pour certaines drogues, on dispose maintenant de médicaments de substitution qui permettent de modifier ses habitudes, de prendre conscience de ses difficultés psychologiques et de résoudre ses problèmes sociaux avant d’envisager l’arrêt total des substances dont on est dépendant : ce sont les gommes ou patchs à la nicotine pour les fumeurs, la méthadone ou la buprénorphine pour les usagers de drogues opiacées (héroïne). Pour d’autres substances, en revanche, il n’existe pas de traitements validés équivalents et le sevrage reste non seulement un objectif mais une condition du soin : il n’existe ainsi aucun traitement médical substitutif au cannabis,
à la cocaïne ou à l’alcool (¡I faut se méfier de ceux qui vendent à prix d’or des traitements prétendument individualisés, en fait non validés par la communauté scientifique). En revanche, une aide médicamenteuse peut être apportée ponctuellement si l’arrêt de la consommation provoque des troubles anxieux ou dépressifs.
Dans certains cas, par exemple lorsqu’une personne est en difficulté avec l’alcool sans pour autant en être dépendante (les « buveurs excessifs »), on peut aussi proposer des stratégies de gestion de la consommation visant à reprendre un contrôle sur celle-ci en la diminuant. L’expérience montre que si ces stratégies peuvent être mises en place avec des personnes qui abusent d’un produit, elles ne semblent pas pertinentes dès lors qu’une personne a été dépendante : il est difficile, voire impossible, de revenir à une consommation modérée d’alcool, de tabac, ou de toute autre substance lorsqu’on en a été dépendant.
Dans tous ces cas, le sevrage doit s’inscrire dans un projet plus large, et avant même de le commencer, il est bon de savoir pourquoi on le fait, et ce qui va se passer après, quels bénéfices on va en retirer, et quelles modalités d’accompagnement de l’après-sevrage peuvent être mises en place pour éviter une rechute.
Comment on peut comprendre les toxicomanes
Faut-il avoir fait toutes les guerres pour être historien, cardiaque pour être cardiologue, psychotique pour être psychiatre ? Assurément non, et il y a un piège à le penser. Cette croyance populaire vient de ce que des usagers de drogues, devant la difficulté de mettre en mots leur expérience, ont souvent interpellé leur entourage ou leurs soignants ainsi : « Vous ne pouvez pas me comprendre, vous n’avez pas essayé. » Mais le problème est mal posé : prendre des drogues est une expérience individuelle, vécue pour soi et pour soi seul, qui ne renseigne en rien sur l’expérience qu’en fait son voisin. Inutile donc de prendre des drogues pour comprendre un toxicomane ! Il est certainement plus important de comprendre avec lui en quoi cette expérience modifie sa vie, ce qu’elle représente pour lui, ce qu’il en attend et ce qu’il en redoute. Un tel dialogue demande une certaine lucidité de part et d’autre, qui s’accommode mal de l’effet des drogues, et aussi une solide formation en sciences humaines, certainement préférable à l’expérience des drogues. Mais aussi plus longue…
Certains établissements ont cependant pu faire de cette croyance un dogme, telle la défunte association Le Patriarche, qui employait – souvent sans les rémunérer – d’anciens toxicomanes. Il est significatif que cette association ait dérivé vers un fonctionnement de secte.
Il faut aussi se méfier des témoignages, très à la mode en prévention à une certaine époque, où « ex-toxicomane » venait raconter devant une classe médusée combien les aventures qu’il avait vécues dans la drogue étaient extraordinaires mais qu’il ne fallait absolument pas suivre son exemple. Au-delà de la fascination que cela peut provoquer, force est de constater que, la plupart du temps, ces personnes projettent leur histoire, tendent à la généraliser, alors que l’expérience montre la diversité des contextes et des parcours qui peuvent conduire aux usages de drogues.
Que des anciens toxicomanes deviennent des professionnels du soin est possible, à condition qu’ils prennent suffisamment de distance avec leur propre expérience et qu’ils acquièrent, sur les bancs des écoles de travail social ou de l’université, les qualifications qui leur permettront comme tout un chacun de tirer parti de leurs compétences, d’exercer un métier reconnu et non de rester enfermés dans le rôle dangereux de I’« ex-toxicomane qui s’en est sorti ».
En revanche, des associations d’usagers, tels les alcooliques anonymes, ou les narcotiques anonymes, peuvent jouer un rôle dans le soutien de toxicomanes qui le souhaitent. Mais leur impératif d’abstinence et le dogme qui veut que seule une puissance supérieure puisse nous aider à guérir contredit parfois les abords thérapeutiques classiques.
On ne sait jamais où trouver de l’aide
En cas d’urgence (overdose, coma), il faut appeler le SAMU au 15 ou les pompiers au 18.
Pour des situations plus chroniques, il existe plusieurs interlocuteurs possibles.
D’abord, le médecin généraliste peut être un premier recours important, même si l’on doit regretter que trop peu de médecins généralistes soient formés à ces problèmes. (À leur décharge, il faut reconnaître que ces questions évoluent rapidement, et que les problèmes posés par les consommations actuelles sont très différents de ceux qui se posaient au moment de leur formation.) Dans tous les cas, ils peuvent néanmoins conseiller et adresser à des confrères ou à des établissements spécialisés si nécessaire.
On peut aussi appeler le DATIS (Drogue alcool tabac info service) au 113. L’appel est gratuit à ce jour, et on y trouve un interlocuteur à qui exposer son problème. Il ne le résoudra pas par téléphone, mais il peut aider à mieux choisir une orientation et donner des adresses.
Le site de la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) dispose aussi d’une foire aux questions sur Internet. On peut anonymement poser sa question et une réponse développée, souvent de bonne qualité, est transmise dans un délai de quelques jours, rarement plus d’une semaine. On peut aussi accéder à l’ensemble des questions posées et des réponses qui ont été données.
Enfin, on peut s’adresser à la DASS de son département, qui est en mesure de fournir les coordonnées de tous les CSST (centres spécialisés de soins aux toxicomanes) du département (il y en a au moins un dans pratiquement tous les départements français).
C’est le premier pas qui coûte le plus, car les dépendances enferment trop souvent et trop longtemps les personnes concernées dans le silence, le repli sur soi, la honte, et c’est en commençant à en parler qu’on commence à s’en sortir.
Les traitements du sida, des hépatites et de la tuberculose ne sont pas incompatibles avec la poursuite d’une toxicomanie active
Il n’y a pas de contre-indication entre les traitements de ces affections et la poursuite d’une toxicomanie. C’est important de le savoir, car 80 % des usagers de drogues injectables sont porteurs du virus de l’hépatite C, 25 % sont coinfectés par le VIH et 30 % consomment trop d’alcool, aggravant leur situation.
Pourtant, de trop nombreux services restent réticents à accepter cette population, les toxicomanes jouissant à tort ou à raison d’une réputation de « mauvais malades ». Les services de médecine infectieuse, confrontés au sida, se sont souvent adaptés à leur clientèle de toxicomanes en développant le travail en réseau, comprenant des médecins de ville, des hospitaliers, et des centres spécialisés. Ce n’est pas encore le cas de nombreux services de gastro-entérologie qui traitent des hépatites et hésitent encore à proposer des traitements longs et coûteux aux usagers de drogues actifs, sous prétexte d’incompatibilité ou de mauvaise observance des traitements. Il est vrai que cette question de l’observance est centrale, car des traitements mal suivis (en particulier pour le sida et la tuberculose) risquent de rendre résistants les germes responsables de ces affections.
La question qui se pose alors n’est pas tant celle de la compatibilité des traitements avec la toxicomanie, mais celle des conditions de vie de l’usager de drogues qui vont permettre ou non une observance satisfaisante du traitement : lorsqu’on vit dans la rue, il n’est pas aisé de garder avec soi ses médicaments et de les prendre régulièrement.
Des solutions tenant compte de ces situations existent cependant. En premier lieu, il est toujours utile de proposer aux héroïnomanes (ce sont les usagers les plus concernés actuellement par les pathologies infectieuses, du fait des injections) un traitement de substitution, que tous les établissements de santé sont habilités à prescrire, afin de stabiliser leur situation vis-à-vis de leurs consommations.
Par ailleurs, il existe des services d’hébergement spécifiques, les appartements de coordination thérapeutique (malheureusement trop peu nombreux), dont la mission est d’accueillir des personnes dont la situation personnelle nécessite une coordination médico-sociale. Cette coordination médicale est indispensable, les différents traitements prescrits pour la toxicomanie et les affections pouvant influer les uns sur les autres, en se potentialisant ou en diminuant leurs effets respectifs. Au-delà de l’accès aux traitements et de leur observance, l’objectif de ces services est de restaurer une situation sociale, psychologique et un état de santé permettant l’accès à un logement autonome et aux services de droit commun.
On peut décrocher des drogues dures qu’à l’hôpital
De nombreux protocoles permettent de mettre en place des traitements de sevrage dans d’autres cadres qu’à l’hôpital : cela peut se faire chez soi, à condition que l’environnement soit suffisamment soutenant et protecteur durant cette période qui peut être difficile, générer un malaise physique et psychique et des troubles de l’humeur, comme de l’irritabilité. Il faut que l’entourage soit partie prenante du traitement, afin que celui-ci ne conduise pas, paradoxalement, au rejet de la personne qui entreprend cette démarche.
A contrario, l’hôpital doit être privilégié dès lors que les personnes vivent dans des conditions précaires, que les sollicitations à consommer des drogues sont présentes dans l’environnement immédiat et que l’idée même d’arrêter de prendre des drogues est très angoissante pour la personne. L’hôpital offre alors un cadre sécurisant plus propice au traitement.
Le sevrage en milieu hospitalier s’impose également lorsque la personne a des antécédents de troubles psychotiques ou suicidaires, ou bien lorsque des associations de drogues nécessitent une surveillance médicale des conséquences de leur arrêt.
Dans tous ces cas, il faut bien avoir en tête que le sevrage n’est jamais un objectif en soi, qu’il doit être un moyen de vivre mieux, et que cela demande pour bon nombre de personnes un accompagnement psychologique et social avant, pendant, et après cette période.
Par ailleurs, de nombreux hôpitaux ont mis en place des équipes de liaison addictologique, qui permettent de prendre en compte les usages de drogues de tout patient hospitalisé, quelle qu’en soit la cause. En effet, on peut être dépendant et hospitalisé pour tout autre chose ! Une proposition de prise en compte de la dépendance est alors faite au malade, afin d’éviter les sevrages forcés qui aboutissent le plus souvent à sa fuite hors du service. Des traitements et des accompagnements pour faciliter le séjour à l’hôpital et une orientation vers une équipe spécialisée à l’issue de l’hospitalisation peuvent être proposés.
Le traitement ne doit pas être aussi long que la durée de l’intoxication
On ne peut être aussi schématique. Le fait est que les addictions s’installent sur des terrains très différents, et qu’on ne peut avoir les mêmes objectifs lorsqu’on a affaire à quelqu’un de 40 ans, qui organise sa vie autour des drogues depuis l’adolescence, n’a jamais travaillé, et sait à peine lire et écrire, à une jeune cadre qui abuse de la cocaïne et craint de ne plus pouvoir s’arrêter, ou bien encore à un adolescent qui abuse de cannabis.
Au-delà de l’habituation au produit et de ses conséquences médicales, ce sont les soutiens et les compétences que la personne concernée peut mobiliser, c’est-à-dire son environnement psychosocial, sa faculté à se projeter dans l’avenir et à vouloir changer, qui feront la différence.
Il est clair que plus les personnes ont organisé leur vie autour de la drogue, plus elles sont isolées, et plus il est difficile de changer, de modifier sa vie, de tisser de nouveaux réseaux relationnels. Difficile, mais jamais impossible.
On peut ainsi penser que des personnes souffrant de troubles psychiatriques graves et de difficultés d’insertion autotraités – mais mal traités – par une consommation de drogues, auront toujours besoin d’un étayage et d’un accompagnement par des professionnels.
Pour d’autres, lorsque l’intoxication est récente, il serait dommage de ne pas les aider à complètement arrêter leurs pratiques toxicomaniaques et de ne pas leur éviter de glisser sur une pente qu’ils pressentent dangereuse.
Quels qu’en soient les objectifs, les traitements proposés conjuguent le plus souvent un suivi médical, psychologique et social. Selon les situations et les moments de la prise en charge, l’un ou l’autre de ces aspects peut apparaître prioritaire. Il arrive aussi que l’accompagnement dure au-delà de la résolution du problème, par exemple qu’un suivi psychologique se poursuive après le suivi médical ou social.
II faut toucher le fond afin de mieux remonter
On entend encore trop souvent des phrases du type « Il n’a pas encore assez galéré pour vouloir s’en sortir », ou « Il faut qu’il aille jusqu’au bout de son expérience pour comprendre… » Moyennant quoi, on attend que la personne soit en état de complète désocialisation, de solitude, avec les pires difficultés physiques et psychiques pour lui proposer une aide, ou pire encore, attendre sa demande d’aide. De la même façon, on conseillait il y a quelques années aux parents de mettre leur enfant toxicomane dehors, afin qu’il se débrouille seul et se confronte à des réalités dont on attendait que la dureté le pousse à se soigner…
Aujourd’hui, on sait que plus on intervient tôt dans le parcours des personnes en difficulté avec les drogues, mieux on peut les aider, et que plus les personnes bénéficient de soutiens, en particulier familiaux, plus elles ont des chances de s’en sortir.
Il faut donc absolument se défaire de cette idée toxique que si l’on touche le fond, on rebondit : le plus souvent, lorsqu’on touche le fond, on s’écrase !
Les politiques publiques l’ont bien compris et privilégient, depuis quelques années, les actions allant vers les usagers et ne se contentant pas d’attendre qu’ils viennent trapper aux portes des établissements. La réduction des risques participe à cet effort. Parallèlement, on tente de développer, en particulier pour ce qui concerne les adolescents, des outils et une culture du diagnostic précoce, afin de proposer des aides le plus tôt possible. Suggérées précocement, ces aides peuvent rester ponctuelles et légères, alors que si l’on attend que les situations s’aggravent, les traitements seront longs et lourds, le temps perdu étant difficile à rattraper.
Les traitements de substitution, c’est ne donner pas une drogue légale
Cette image des traitements de substitution est dangereuse, car elle risque d’empêcher des personnes de se soigner. Tout d’abord, ces produits sont des médicaments qui permettent de mettre provisoirement à distance la question de la drogue et de restaurer une vie sociale et professionnelle : on ne ressent plus de symptômes de manque, on peut donc utiliser le temps précédemment consacré à la recherche et à la consommation de drogues à des activités plus constructives. Néanmoins, si ces médicaments traitent le manque, ils ne soignent pas la toxicomanie. Ils ne trouvent leur utilité qu’à être prescrits dans le cadre d’une prise en charge globale, associant les abords médicaux, psychologiques et sociaux. Si tel n’est pas le cas, ces traitements, en particulier la buprénorphine (qui peut être injectée, bien que non prévue pour cette pratique), peuvent être détournés de leur bon usage et utilisés en tant que drogues. C’est donc l’usage du produit qui le fait selon les cas drogue ou médicament. Il en est de même pour d’autres substances : la morphine est un excellent antidouleur dont la médecine moderne ne peut se passer. Pourtant, prise en dehors de prescriptions médicales justifiées, elle peut devenir une drogue redoutable.
En fait, il apparaît que la majorité des prescriptions de ces médicaments est correctement suivie. Leur trafic, bien qu’il représente une quantité non négligeable des médicaments vendus, ne semble être le fait que d’un petit nombre d’usagers.
Ces traitements peuvent être prescrits :
- par tout médecin généraliste pour la buprénorphine (Subutex®),
- en centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) ou en établissement
- de santé pour la méthadone (un relais peut alors être fait vers un médecin de ville lorsque la personne est stabilisée).
- En cas de difficulté d’observance en médecine de ville (certains usagers de drogue sont dépendants du geste de l’injection autant que des produits, ou ne parviennent pas à se tenir aux médicaments prescrits), il est toujours possible de s’adresser à un CSST pour mettre en place un suivi pluridisciplinaire adapté, avec un médicament non injectable (méthadone).
Cela ne coûte pas cher de se soigner
Ce sont surtout les addictions qui coûtent cher. En France, hormis quelques cliniques et un établissement spécialisé qui s’adresse à une clientèle fortunée et fait payer surtout la qualité de son service hôtelier, la prise en charge des toxicomanes dans les hôpitaux et les CSST est anonyme et gratuite, entièrement financée par l’assurance maladie. C’est vrai des centres de consultation, des traitements de sevrage et des hébergements en centres thérapeutiques résidentiels.
Une participation peut en revanche être demandée dans des services plus directement orientés vers l’insertion sociale et professionnelle, tels les appartements thérapeutiques, où un logement collectif ou individuel est confié à une personne en démarche d’insertion pour un temps donné. Cette participation est le plus souvent fonction des revenus de la personne.
Les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) ne sont pas destinés uniquement à des drogués « lourds »
Dans les années 1970, les centres spécialisés de soins recevaient essentiellement des jeunes, à tous les stades de la consommation. Ils s’engageaient aussi souvent sur le terrain de la prévention.
Dans le contexte du développement de l’épidémie de sida, dans les années 1980- 1990, l’administration a souhaité que les CSST recentrent leur action sur le soin, en particulier par la mise en place de traitements de substitution pour les héroïnomanes. Cela a contribué à stabiliser une grande partie d’entre eux. Revers de la médaille, ces suivis au long cours ont pu donner l’impression que les CSST ne recevaient plus que cette population.
En réalité, de nombreux établissements ont développé dans le même temps des pratiques adaptées à différents problèmes qui émergeaient, parfois avant même que l’administration ne s’en saisisse, que ce soient les consommations de cannabis à l’adolescence, ou les usages de psychostimulants. En 2003, un décret est par ailleurs venu confirmer la diversité de leur mission, qui va du repérage des consommations à risque à la réduction des risques.
Afin d’éviter le contact entre des personnes très engagées dans les consommations de drogues, des jeunes expérimentateurs, ou des familles, les établissements différencient souvent les horaires ou les lieux d’accueil en fonction de leurs publics. Les CSST ou CSAPA (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) sont à même de renseigner toute personne concernée par des usages de drogues, de conseiller et d’orienter quiconque nécessite une aide, ou se questionne sur sa consommation. Il ne faut donc pas hésiter à s’y rendre !
Si on va dans un centre, on est « fiché » et cela ne peut pas nuire pour la suite
Tous les médecins sont liés par le secret professionnel. Le transgresser, hormis les cas où la loi en fait obligation, est un délit sévèrement puni.
Par ailleurs, la loi qui réprime l’usage de drogues a prévu, pour encourager les usagers à se faire soigner sans risque de sanction (il serait paradoxal de sanctionner des personnes au moment où elles se font soigner !), de leur permettre de le faire anonymement.
On peut donc bénéficier dans tous les CSST de l’anonymat et de la gratuité des soins. Dans la pratique, on demande souvent son nom à une personne qui vient consulter, ne serait-ce que pour établir un dossier. Ce nom n’est jamais transmis à l’extérieur du centre, et les praticiens, là comme ailleurs, sont tenus aux règles de discrétion ou de secret liées à leur profession.
Mais l’anonymat va plus loin, car il autorise l’usager à ne pas donner son nom. Il permet aussi aux professionnels de faire valoir à l’extérieur cette clause pour couper court à une enquête policière éventuelle sur un usager.
Il faut bien remarquer cependant que cet anonymat peut difficilement être tenu en toutes circonstances. Par exemple, les traitements médicaux, qui sont maintenant de plus en plus souvent prescrits en ville, ne le permettent plus, dès lors qu’il doit y avoir un nom sur une ordonnance, et qu’il ne peut être fictif. Le travail en réseau, c’est-à-dire impliquant plusieurs professionnels, nécessité par certaines situations, conduit souvent à lever cet anonymat, certains prônant même l’idée d’un « dossier partagé ». De plus, certaines administrations considèrent qu’il est dans les missions des établissements de restaurer les droits sociaux des personnes qui s’y adressent, et que dans ce cas, il ne peut y avoir d’anonymat.
Les usagers doivent savoir qu’ils peuvent néanmoins en bénéficier pour tous les soins au titre de leur toxicomanie aux drogues illicites, et que toute information donnée par un professionnel à un autre dans le cadre d’un réseau ne peut l’être qu’avec son consentement.
Il est essentiel selon nous de le maintenir dans la loi tant que celle-ci inscrit l’usage de drogues dans la catégorie des délits.
Les psychothérapies efficaces
Les traitements de substitution ont beaucoup apporté au traitement des héroïnomanes, mais restent des traitements du manque, non de la toxicomanie et ne fonctionnent que pour les drogues opiacées. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’histoire des toxicomanies est une histoire du détournement des médicaments… Ceux qui cherchent encore le remède souverain qui guérira de la dépendance devraient s’en souvenir.
Le traitement des toxicomanes inclut donc souvent, à côté des prescriptions médicamenteuses, un accompagnement social et psychothérapique.
Ce dernier apparaît aujourd’hui comme une part essentielle de la prise en charge globale de la personne. Il peut prendre plusieurs formes, simple soutien psychologique, psychothérapie d’inspiration psychanalytique, ou psychothérapie cognitivo-comporte- mentale. Ces pratiques constituent de réels outils de changement, pour peu qu’elles s’adressent à des personnes motivées et soient mises en œuvre par des professionnels compétents, ayant le souci de l’amélioration de la situation de leurs patients.
Il faut aussi souligner l’intérêt des thérapies familiales, qui sont particulièrement indiquées lorsque des situations apparaissent « bloquées », chacun en souffrant de son côté.
Dire que les psychothérapies ne marchent pas est assurément faux. Elles sont cependant d’autant plus efficaces qu’elles s’inscrivent dans une démarche globale, médico-psycho-sociale. C’est l’ensemble de la démarche et la collaboration entre les différents professionnels qui y participent qui sont efficaces. Nul ne peut donc s’en attribuer seul le mérite !
Que peuvent faire les parents ?
Les parents sont bien entendu confrontés en première ligne aux usages de drogues de leurs enfants. Déjà, ils peuvent donner eux-mêmes l’exemple de la modération… ne pas abuser d’alcool, et encore moins devant les enfants, ne pas les exposer à la fumée du tabac, ne pas consommer de cannabis…
Mais une conduite exemplaire ne suffit pas toujours. Lorsque les enfants prennent des drogues, ils les mettent souvent sous le nez de leurs parents, en laissant tramer des mégots de joints dans leur chambre, par exemple, ou parfois en revendiquant bruyamment leur consommation. Chaque fois que cela est mis sous le regard des adultes, cela demande une réponse, qui n’est pas toujours facile, c’est vrai, car les parents, souvent, se sentent incompétents. La seule règle que l’on puisse donner, c’est de ne pas avoir peur du dialogue, et de ne pas avoir peur de ne pas savoir quoi dire : on peut toujours entamer le dialogue en disant son inquiétude, sa crainte, se référer à ses propres valeurs, et écouter ce que l’autre a à dire. On peut aussi affirmer ses convictions, et poser les limites de ce qu’en tant que parent on peut accepter ou non.
Mais surtout, le métier de parent étant le plus difficile au monde et aucune formation préalable ne prédestinant à l’exercer, il ne faut pas craindre de demander une aide : réfléchir avec une personne extérieure à ce que l’on peut faire permet parfois d’éclairer autrement une situation, d’entrevoir des perspectives que seul on n’imaginait pas. Si on se sent en difficulté soi-même pour aider son enfant, on peut toujours être aidé à aider son enfant.
Les sectes sont souvent intéressées par les drogues
Depuis quelques décennies, plusieurs sectes se sont intéressées aux toxicomanes. C’est le cas le l’église de scientologie, de l’association Le Patriarche, aujourd’hui disparue en France, ou autres ordres des Templiers.
Pour ces sectes, le traitement des toxicomanes répond à la recherche d’une certaine respectabilité en s’offrant une vitrine : « Regardez, nous réussissons à sauver des personnes aussi difficiles que les toxicomanes ! » Cela permet d’attirer des familles en plein désarroi, moyennant souvent espèces sonnantes et trébuchantes. Les traitements reposent alors le plus souvent sur l’enfermement et l’endoctrinement. Il est en effet très facile de montrer que des personnes enfermées ne consomment plus de drogues. En règle générale, il faut se méfier de tous ces systèmes, le plus souvent non agréés par l’État, qui proposent de faire des miracles et avancent des taux de réussite avoisinant les 100 %.
Il faut dénoncer ces escroqueries qui placent l’intérêt de leur doctrine au-dessus de celui des personnes accueillies. Elles reposent souvent sur une personnalité charismatique (comme l’association Le Patriarche) ou une idéologie forte (église de scientologie). Les techniques employées n’ont rien de scientifique ni de validé : sevrage en sauna, puis enseignement des préceptes du fondateur de la secte pour la scientologie, « sevrage bloc » puis encadrement musclé pour Le Patriarche. Cette dernière secte a connu un épilogue judiciaire, son fondateur étant toujours en fuite.
Il est nettement préférable d’avoir affaire à de véritables professionnels, qui ne garantissent pas de résultats spectaculaires, mais peuvent accompagner les usagers de drogues dans leur difficile parcours, en respectant les règles éthiques et déontologiques communément admises.
Cela pose une autre question : la fin justifie-t-elle les moyens ? Si la fin est de restaurer les capacités d’aimer et de travailler pour des usagers de drogues qui cherchent à changer leur vie, cela demande effectivement des moyens, en accompagnement, en professionnalisme, en lieux d’accueil. Mais pour ces sectes, l’objectif se résume souvent à une conception quasi mystique de l’abstinence. Or le but du traitement ne peut se limiter à maintenir des personnes abstinentes, si elles doivent pour cela renoncer à toute vie autonome et à toute insertion satisfaisante hors les murs de la secte.
Il est plus difficile, mais plus utile et plus respectueux des personnes, de les amener librement à ne plus consommer de drogues en restaurant chez elles de réelles capacités de choix, de relation et d’insertion. Cela demande aussi de réelles compétences.
n’y a pas de service adapté pour les adolescents
C’était vrai il n’y a pas si longtemps, mais l’extension des consommations chez les adolescents et les jeunes adultes a conduit de nombreux CSST (centres spécialisés de soins aux toxicomanes), des « points écoute », voire des CCAA (centres de consultation ambulatoire en alcoologie) à développer des réponses spécifiques. En effet, les jeunes consommateurs de substances psychoactives se reconnaissent rarement dans la figure du « toxicomane » : ils n’injectent pas, ne sont pas dépendants (ou ne pensent pas l’être), et il leur paraîtrait incongru de demander des soins ! Il est donc nécessaire de développer des lieux et des propositions adaptés. Par exemple, certains ont mis en place des pratiques autour de l’aide à l’auto-évaluation de la consommation, qui en deux ou trois entretiens permet de cerner la réalité de la consommation des adolescents, de la « conscientiser », première étape d’une modification de celle-ci. Les jeunes y viennent actuellement souvent adressés par l’autorité judiciaire, le milieu scolaire, ou leur famille.
Mais l’offre répondant à un réel besoin, on voit se développer aussi des consultations volontaires pour des jeunes qui se posent des questions quant à leur consommation, ou commencent à ressentir des difficultés consécutives à leurs abus. Ces rencontres peuvent si nécessaire prendre la forme de thérapies brèves, ou encore d’« entretiens motivationnels », adaptés à la temporalité des adolescents. Encore peu de professionnels sont actuellement formés à ces approches et de gros efforts restent à faire pour que ces prestations soient offertes sur l’ensemble du territoire. Néanmoins, les pouvoirs publics semblent encourager le développement de dispositifs destinés spécifiquement aux jeunes, et ceux-ci devraient se mettre en place dans les années à venir.
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