Le cannabis
On consomme de plus en plus de cannabis en France
La consommation de cannabis s’est accrue régulièrement depuis la fin des années 1960, et en particulier au cours des années 1990. En 1992, 18 % des 18-34 ans disaient avoir déjà consommé du cannabis, contre 35 % en 2002. Cette augmentation est d’autant plus forte que les sujets considérés sont jeunes : aujourd’hui, un jeune de 17 ans sur deux a expérimenté le cannabis, et on estime dans la population des 14-75 ans à près de 7 millions le nombre de personnes qui ont expérimenté ce produit, auxquels il faut ajouter plus de 3 millions d’usagers occasionnels et quelques dizaines ou centaines de milliers d’usagers réguliers, voire quotidiens. Il faut aussi remarquer que si l’expérimentation de ce produit a doublé en dix ans, la consommation répétée, c’est-à-dire plus de dix fois dans l’année, a triplé et la consommation régulière, c’est-à-dire plus de dix fois par mois, concerne maintenant 24 % des garçons de 18 ans et 9 % des filles du même âge. On constate que les garçons sont beaucoup plus concernés que les filles, et plus la fréquence d’usage s’accroît, plus cette différence est marquée.
Cette évolution ne concerne pas que la France, elle est européenne, et si elle a été plus marquée dans notre pays que chez nos voisins, c’est que nous avions un « retard », qui a été non seulement comblé, mais qui nous amène aujourd’hui en tête des pays de (’Union européenne pour cette consommation. Trois pays européens présentaient en 1995, parmi les élèves des lycées et collèges, une proportion d’expérimentateurs supérieure à 20 %, contre huit pays en 1999, la France arrivant en tête avec 35 %, ex aequo avec la République tchèque et le Royaume-Uni. À titre de comparaison, il est de 28 % aux Pays-Bas et de 41 % aux États-Unis, ce qui laisse penser que les politiques répressives n’ont qu’une efficacité limitée en la matière.
Cette progression tient certainement à plusieurs facteurs : d’abord une grande disponibilité du cannabis, qui est de ce fait très peu cher et accessible. C’est aussi un produit qui bénéficie – à tort – parmi ses usagers, d’une réputation de non- dangerosité. On peut aussi penser qu’il n’y a pas eu suffisamment dans ce domaine de campagnes de prévention visant ses jeunes utilisateurs. Les « années sida » ont conduit à privilégier l’intervention sur les usagers de drogues injectables, qui risquaient leur vie, plus que sur un produit dont la dangerosité ne se traduit pas en mortalité.
Actuellement, en se fondant sur des données européennes, plusieurs experts considèrent que cette évolution devrait se stabiliser au palier actuel. Mais il faut rester vigilant et mettre en place des mesures de prévention et d’aide visant à faire reculer ces consommations, en particulier chez les plus jeunes.
Il y a de dépendance au cannabis
C’est un vieil argument qui tient à une mauvaise information sur le cannabis : les conséquences de son usage ont été tellement dramatisées lors de son apparition chez les adolescents, que le discours sur ce produit est très vite apparu à ses consommateurs comme faux. On attribuait alors au cannabis les mêmes propriétés additives qu’aux opiacés et la même dangerosité immédiate, ce qui était démenti par l’expérience. Le contre-pied a alors été vite pris, et nombre de personnes ont considéré que le cannabis ne pouvait engendrer de dépendance. Or ce n’est pas si simple. De nombreux utilisateurs ont une consommation irrégulière ou espacée. Certains peuvent même en avoir une consommation régulière, mais qui s’arrête dès lors que des choix professionnels et personnels se précisent. Cela montre (et l’expérimentation animale le confirme) que le cannabis n’induit pas en lui-même de dépendance irréversible. Mais aujourd’hui, l’extension de la consommation de cannabis fait apparaître un nombre non négligeable de jeunes en difficulté avec ce produit, dont la consommation quotidienne voire pluriquotidienne ne peut s’interrompre sans qu’ils éprouvent des manifestations désagréables. Pour contourner le débat sur la dépendance et proposer une notion mieux adaptée, certains auteurs ont avancé le concept de « centration », lorsque la vie de la personne se trouve « centrée » sur l’expérience de la consommation, organisée autour d’elle. Centration, dépendance physique ou psychique aboutissent cependant au même résultat, un isolement de plus en plus grand, un désinvestissement de tout ce qui n’est pas lié à la consommation, un retrait vis-à-vis de la vie relationnelle antérieure. De 300 000 à 500 000 personnes seraient ainsi en difficulté, d’où l’intérêt de considérer que ces usages ne sont jamais anodins, et d’en évaluer – si l’on est concerné – l’impact sur sa propre vie, avec un professionnel formé. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le tabac, souvent utilisé en même temps, voire support de la consommation du cannabis, qui est lui fortement addictif.
Le cannabis est un médicament ?
Le cannabis a fait partie de la pharmacopée de plusieurs grandes civilisations, tout comme le pavot dont on tire l’opium, et d’autres plantes contenant des principes actifs apportant un bénéfice à l’homme en prise avec des maladies. Toutes ces plantes ne guérissaient pas, mais certaines apportaient un mieux-être certain. Ainsi, la thériaque, électuaire1 censé combattre toutes les maladies, comportait – lorsqu’on en avait les moyens – de l’opium, qui ne guérissait pas de ce dont on souffrait mais apportait un soulagement ressemblant à une guérison. Ces sociétés faisaient comme nous, elles utilisaient la science et les moyens de leur temps. Alors, qu’en est-il du cannabis aujourd’hui ?
Certains mouvements demandent à ce qu’on reconnaisse ses vertus thérapeutiques, et dans certains pays, il est possible de s’en procurer sur prescription médicale. En effet, il a été remarqué que pour certaines pathologies, le cannabis apporte un mieux-être : il restaure l’appétit, apporte un soulagement aux malades atteints de glaucome ou de sclérose en plaques. En l’état actuel de nos connaissances, il n’est cependant pas démontré que ses effets soient supérieurs à ceux d’autres médicaments, d’où la réticence des autorités à donner au cannabis un statut de médicament. Par ailleurs, il ne faut pas se tromper de débat : si des groupes de pression existent pour faire reconnaître les propriétés thérapeutiques du cannabis, ils se confondent souvent avec les groupes demandant sa légalisation. Or, un médicament est tout sauf un produit dont on peut user librement : il est prescrit par un tiers, le médecin, dans une situation de maladie particulière. Cela n’a rien à voir avec la liberté de consommer du cannabis ! De plus, de nombreux médicaments sont utiles dans certaines circonstances et à certaines doses, mais toxiques s’ils sont mal utilisés : même si l’on reconnaît un jour l’intérêt thérapeutique du cannabis (des essais cliniques sont en cours dans différents pays), cela ne signifie pas que le cannabis est sans danger pour la santé. Enfin, si le THC (tétrahydrocannabinol) est un jour utilisé en médecine, ce sera certainement sous forme de gélules, comprimés, ou autres sprays à teneur garantie et contrôlée en THC, et non sous forme de joints à rouler soi-même, où l’on veut, quant on veut… Revendiquer les propriétés thérapeutiques du cannabis pour étayer une légalisation de sa consommation revient donc à revendiquer un droit à l’automédication, dont la communauté scientifique dénonce les dangers pour la santé de l’homme et de la société.
Le cannabis provoque des maladies mentales
Reste à démontrer mais… Plusieurs études ont remarqué un lien entre la consommation de cannabis et certaines maladies mentales, comme la schizophrénie. Il est indéniable que l’on rencontre cette pathologie chez certains consommateurs, et qu’au fur et à mesure de l’extension de la consommation de cannabis, on tend à décrire ce tableau de plus en plus souvent.
Généralement, le cannabis provoque chez certaines personnes et en fonction de son dosage en principes actifs (THC), un état délirant transitoire, cédant en quelques heures. Mais quelquefois, rarement, cet état perdure et signe une entrée dans une « vraie » psychose. La question qui divise les experts est de savoir si cette psychose est générée par le cannabis, ou si elle était sous-jacente et se trouve révélée par cette consommation.
Il est certain, en revanche, que les personnes psychotiques « apprécient » le cannabis pour deux raisons : il traite leurs angoisses et donne une justification au délire qui les envahit. Malheureusement, cette consommation semble aggraver l’évolution de leur maladie, elle augmente le nombre d’hospitalisations et rend les personnes moins accessibles aux traitements que par ailleurs elle déséquilibre.
Dans tous les cas, lorsque la consommation de cannabis s’accompagne de troubles schizophréniques ou de sentiment d’étrangeté, et d’autant plus qu’ils durent au-delà de l’effet du produit, il est essentiel de rencontrer un médecin, de préférence un psychiatre, pour évaluer la situation psychologique de la personne et traiter aussi précocement que possible les éventuels troubles mentaux révélés par cette consommation.
On peut détecter une consommation de cannabis après plusieurs jours
Le métabolisme du cannabis fait que le THC est stocké dans les tissus graisseux de l’organisme et est ensuite lentement éliminé. On peut donc détecter du THC dans les urines quelques jours après la consommation d’un joint isolé et, dans le cas d’une consommation régulière, plusieurs semaines après la dernière prise. En revanche, on ne peut pas dire, lorsqu’on identifie la présence de THC dans les urines, si la personne est ou non sous l’effet du produit.
Pour le savoir, il faut recourir à des techniques plus sophistiquées, à partir d’un prélèvement sanguin dans lequel on va rechercher des métabolites attestant une consommation récente. Toutefois, à la différence de l’alcool, on ne connaît pas le rapport précis entre la quantité de cannabis consommée et l’altération de la vigilance. Mais il est clair que la vigilance peut être affectée dès le premier joint comme elle peut l’être dès le premier verre et que la prudence commande de ne pas conduire dans ces conditions.
Il faut souligner aussi que le contrôle de la consommation de cannabis s’est développé ces dernières années dans le cadre de la médecine du travail, et en particulier pour ce qui concerne les métiers dits « de sécurité », c’est-à-dire des métiers où l’on a la responsabilité de la vie d’autres personnes, comme les pilotes d’avion, les conducteurs de trains, etc.
Pendant longtemps, on ne s’est pas intéressé à ces consommations. Étant interdites par la loi, on supposait de fait que la population n’en consommait pas. Or la société prend désormais acte du développement de ces usages et adopte les mesures qu’elle estime pertinentes pour se protéger, dont le dépistage de la consommation de drogues préalable à l’embauche ou au cours de la vie professionnelle (et chacun préfère que le conducteur de son train soit en état de vigilance normale).
Il faut donc être bien conscient, lorsqu’on évoque une facilitation de l’accès aux substances psychoactives, du risque que cela conduise à une société où l’accès à certaines professions serait barré très tôt, selon que l’on est consommateur ou non de ces produits.
Pour savoir si un adolescent fume du cannabis, est-ce qu’on peut faire un dépistage ?
C’est dangereux, cela pose plusieurs problèmes : qu’est-ce qui motive cette crainte ? Et surtout, que fait-on du résultat ? Il arrive que des parents affolés appellent des centres de soins spécialisés en demandant d’identifier à distance
« quelque chose qu’ils ont trouvé dans le cartable de leur enfant, marron, enveloppé dans de l’alu ». Lorsqu’on leur suggère de demander à leur enfant de quoi il s’agit, on s’entend souvent répondre : « Vous n’y pensez pas, il saurait que j’ai fouillé dans ses affaires… » Techniquement, il est effectivement possible de procéder à un dépistage de drogues, sachant que l’autorisation du représentant légal du mineur est nécessaire, ou de la personne elle-même s’il s’agit d’un adulte. Il est à noter que des kits de dépistage sont diffusés maintenant en pharmacies, l’inquiétude des parents rencontrant malheureusement l’intérêt de l’industrie du dépistage.
Mais que reste-t-il alors de la relation de confiance nécessaire entre parents et enfants et entre adultes et jeunes ? Que fait-on de l’éventuelle certitude ainsi acquise ? De plus, avoir la preuve « biologique » que quelqu’un a fumé du cannabis ne renseigne en rien quant à la fréquence de cette consommation, son contexte, sa durée, et encore moins sur l’importance que le cannabis tient dans sa vie.
Il convient donc d’abord de se demander pourquoi on se pose cette question, et d’en faire part à l’adolescent concerné. Lui dire qu’on s’inquiète de voir ses résultats scolaires baisser, de le voir renoncer à ses activités habituelles, que ses dépenses augmentent de façon inexplicable… La première nécessité est de se parler, sachant que tous les bouleversements inhérents à l’adolescence ne sont pas forcément liés à une consommation de drogues. La question qui se pose s’il consomme du cannabis – et d’autant plus s’il est en difficulté avec ses consommations – c’est comment l’aider ? Confiance et attention sont alors plus efficaces qu’affolement et dissimulation.
Il est clair qu’il n’est pas facile de définir une « bonne attitude » face à ces situations auxquelles les parents ne sont jamais préparés. Il peut donc être très utile de dialoguer avec un professionnel pour qu’un autre regard sur la situation permette de la dédramatiser et de trouver les réponses adéquates au problème posé. De nombreux CSST (centres spécialisés de soins aux toxicomanes) ont développé des accueils spécifiques pour les parents, de même qu’il existe dans certaines villes des « points écoute parents », où il est possible de trouver l’aide souvent nécessaire.
Est-ce que fumer des joints mieux que boire de l’alcool ?
Un sketch du regretté Coluche illustre cette question générationnelle, lorsqu’’un père alcoolisé reproche à son fils « Gérard », fumant des « joints », d’être un drogué ! Une lecture trop rapide des conclusions du rapport Roques (1999), du nom de son auteur à qui le ministre de la santé, Bernard Kouchner, avait demandé une classification des drogues fondée sur leur dangerosité, a pu accréditer cette thèse. Le problème est de savoir ce que l’on compare : si c’est le fumeur de joints occasionnel et l’alcoolique chronique, oui l’alcool est plus dangereux. Si c’est un fumeur de cannabis pluriquotidien que l’on compare à un usager modéré d’alcool, c’est assurément le cannabis le plus dangereux ! On voit bien qu’il est stérile d’opposer les produits en fonction de leur dangerosité, puisque les modes d’utilisation en sont pour une grande part coresponsables. Ce qui est certain, c’est que toute substance dont on inhale la fumée est dangereuse (les poumons ne sont pas faits pour supporter les goudrons qui composent quelque fumée que ce soit) et que, par ailleurs, on ne joue pas toujours impunément avec des produits qui modifient les perceptions et la conscience. D’autre part, n’oublions pas un critère important : celui de l’âge. Ce n’est certainement pas la même chose d’utiliser un produit psychoactif lorsqu’on est adulte, inséré socialement avec des repères stables que lorsqu’on est adolescent, à peine sorti de l’enfance, en construction de soi et en période d’apprentissage. De plus, la dangerosité évolue en fonction des âges de la vie : on se représente trop souvent la dangerosité de l’alcool, du tabac, ou du cannabis à long terme, et les adolescents se sentent peu concernés par des cancers ou des maladies cardiovasculaires à venir. En revanche, une dangerosité plus immédiate peut être mise en avant : celle des consommations qui dégénèrent en abus, et surtout la perte de capacités et de motivation qui risque fort d’avoir un retentissement néfaste sur les performances scolaires, et sur l’avenir professionnel.
On ne peut pas conduire après avoir fumé un joint de cannabis
lia existé à ce sujet des discours contradictoires, mais qui souvent péchaient par manque de références. Certains ont ainsi avancé que le cannabis, ayant plutôt des effets apaisants, conduirait à rouler moins vite, exposant moins au risque d’accident. Pourtant, la majorité des travaux, tant au niveau international que national, montrent que le cannabis est impliqué dans un nombre non négligeable d’accidents de la circulation. De fait, conduire demande une vigilance et des réflexes qui ne doivent pas être altérés par les modifications de perception induites par une substance psychoactive. Or, de nombreuses études montrent que le cannabis perturbe la coordination motrice, le jugement, l’attention, la mémoire et augmente le temps de décision pour évaluer une situation et trouver une réponse appropriée à une urgence. Le cannabis ne peut donc être recommandé avant de prendre le volant, il doit au contraire être totalement proscrit, au même titre que toute substance affectant la vigilance !
Le législateur en a tenu compte en prévoyant des sanctions lourdes pour conduite sous l’effet de cannabis, plus lourdes encore si le cannabis est accompagné d’alcool, le risque d’accident étant encore plus grand. Depuis le 1er janvier 2003, les peines encourues pour conduite sous l’effet du cannabis sont de deux ans de prison et 4 500 euros d’amende et de trois ans et 9 000 euros d’amende si l’alcool y est associé.
Soulignons qu’à la différence de l’alcool, il n’y a pas de seuil légal de consommation : toute consommation est interdite, et on ne peut déduire de la présence de cannabis en quel état psychique se trouve le conducteur, la détection d’une consommation récente restant actuellement une technique lourde (prise de sang, analyse dans les quelques rares laboratoires équipés), qui la rend provisoirement difficilement applicable.
Par ailleurs, d’autres substances sont susceptibles de modifier la vigilance des conducteurs et de générer des accidents : ce sont tous les médicaments psychoactifs (somnifères, tranquillisants…), dont la France détient des records de consommation ainsi que certains antidépresseurs, des antitussifs, voire médications contre le rhume… Pour sécuriser la voie publique, il serait bon de s’attaquer aussi à ce chantier !