L'arrêt chez les victimes d'une maladie liée au tabac
Tout grand fumeur risque un jour d’etre victime d’une maladie grave liée au tabac: cancers des voies aero-digestives superieures, des branches, de la vessie, maladies vasculaires, cardio-vasculaires, broncho-pneumopathies chroniques avec insuffisance respiratoire progressive. Comme nous l’avons vu, la description d’un risque potentiel a finalement peu d’influence sur le comportement tabagique. Qu’en est-il alors de la survenue d’un accident grave, tel un cancer, un infarctus du myocarde…? On aurait pu penser que, confronte a la maladie, le malheureux fumeur allait renoncer définitivement a cette «funeste habitude », a ce « vice » selon une terminologie encore trop souvent employée par les amis, la famille et parfois les médecins; mais bien souvent il n’en est rien.
Accidents vasculaires et cardio-vasculaires
Certes, si l’accident a entraîne une hospitalisation d’urgence ou une intervention, les fumeurs arrêtent toujours, mais ce n’est souvent que temporaire. S’ils sont victimes d’un infarctus du myocarde ou sont hospitalisés en réanimation, après une intervention lourde tel un pontage, ils n’ont aucune envie de fumer, en raison des soins aigus, du changement brutal d’environnement, mais également du poids de la peur. La moitie d’entre eux environ ne récidiveront pas, mais près de 50 % reprendront la cigarette dans les semaines ou les mois suivant leur sortie de l’hopital. Les causes de ces rechutes sont multiples et elles illustrent bien toute la complexity des mécanismes de la dépendance tabagique.
— Lorsque la dépendance physique était certainement importante, le besoin de fumer réapparaît très rapidement et devient vite insupportable avec une sensation de manque très pénible.
— Chez les autres, l’arret semble se maintenir, le besoin n’est pas ressenti, mais l’envie de prendre une cigarette peut resurgir brusquement si le sujet se trouve inopinément au contact de fumeurs.
L’interdiction de fumer dans les hôpitaux et dans les centres de rééducation est donc un élément très important, encore trop souvent non ou mal applique. L’exemple du per-sonnel soignant, médecins, infirmiers, aides-soignants, est essentiel, mais hélas, cette régie implicite n’est pas toujours respectée. Il faut citer ici plusieurs exemples vécus dans les lieux de soins; chez des convalescents encore hospitalisés, la rechute a ete inévitable, car l’envie de fumer est réapparue, soit après avoir croise dans les couloirs et les ascenseurs des visiteurs la cigarette aux lèvres, soit après un rapide passage dans le hall enfumé de l’hopital pour acheter un journal; soit encore, désolante constatation, des rechutes lors d’un sejour dans un centre de rééducation cardiaque, ou parmi les malades et le personnel soignant, les fumeurs sont nombreux… C’est enfin le retour dans l’environnement familial habituel: il peut conduire a une rechute du tabagisme si le conjoint, les enfants et les amis en visite ne s’abstiennent pas de fumer devant ce sujet fragile vis-a-vis du tabac.
Tout se passe comme si les pensées se modifiaient progressivement entamant une baisse de la motivation; la peur s’eloigne a mesure que le temps passe et au contraire le souvenir des « agrements » de la cigarette réapparaît peu a peu jusqu’au jour ou il devient plus fort que la crainte. La reprise de la cigarette est alors proche, et survient a la première occasion : un stress, un environnement…
Une des causes les plus fréquentes de rechute est l’etat dépressif. Les liens entre accidents cardio-vasculaires et dépression font actuellement l’objet de nombreuses études: il est toujours difficile de dire s’il s’agit de la survenue d’une depression secondaire au traumatisme psychologique de l’accident ou, ce qui parait également possible, de l’aggravation d’un etat depressif mineur antérieur. Quelle que soit Interprétation, pour l’arret du tabac, deux faits essentiels résultant de cette situation:
— La dépression constitue en elle-même un facteur défavorable de pronostic.
— La dépression est de façon certaine, une cause de reprise du tabagisme, le sujet recherchant instinctivement les effets antidépresseur et anxiolytique de la nicotine.
La conclusion parait évidente: il faut dépister et traiter ces états dépressifs, en utilisant systématiquement les techniques d’interviews structures et diverses échelles d’ évaluation; le cas échéant, il faut recourir aux nouveaux antidépresseurs, les inhibiteurs de recapture de la sérotonine ou IRS, car ils allient efficacité et bonne tolérance cardio-vasculaire.
Les insuffisances respiratoires chroniques
Pour les sujets atteints d’insuffisance respiratoire chronique, arrêter de fxuner est impératif, car avec la persistante du tabagisme, l’aggravation progressive est inéluctable. Les fumeurs en sont prévenus et les incitations sont souvent vigoureuses et menaçantes:
«Si vous voulez être sous oxygène dans deux ans…, si vous avez envie de mourir asphyxie…»
Ici ou la peur est plus lointaine et moins précise , l’arret est encore plus rarement obtenu; le fumeur s’y soumet parfois contraint et force en cas de complications pulmonaires aiguës, mais la récidive est toujours rapide. Un exemples est frappant: dans un centre de réadaptation respiratoire situe en banlieue parisienne, dote d’un grand pare aère, il est surprenant de voir pour la traditionnelle promenade de l’apres- midi, la plupart des convalescents sortir pour fumer enfin leur cigarette! Ceci témoigne hélas, comme en cardiologie, de l’absence totale d’interet ou plutôt d’un certain fatalisme de la part des médecins devant ce problème pourtant essentiel.
Une étude américaine a ete réalisée, avec un suivi de cinq ans: un groupe témoin a reçu les simples conseils usuels; un autre, avec un choix aléatoire, a bénéficie d’un soutien psychologique prolonge et de 1’administration de gommes-nicotine « a la demande ». A cinq ans, le pourcentage d’arret a ete de 5 % dans le groupe témoin et de 22 % dans le groupe traite. C’est un progrès indiscutable et les fumeurs qui avaient arrête ont eu une amélioration nette de leur maladie pulmonaire. Mais cela indique que près de quatre fumeurs sur cinq victimes d’une maladie pulmonaire grave liée au tabac ont continue a fumer, malgré la parfaite connaissance des risques… et malgré l’aide et le soutien apportes.
La cigarette pour ces fumeurs est vraiment une drogue et 1 appellation drogue « douce » parait inadaptée. Mais, très curieusement, rien n’est fait ou presque actuellement en France pour aider ces sujets a s’en sortir. Les stratégies d aide a la motivation, la rééducation respiratoire par l’exercice physique, la diminution du nombre de cigarettes avec utilisation de la gomme-nicotine en réduisant ainsi le risque sont cependant des voies qui existent et meriteraient d’etre etendues. Tout cela pourrait etre réalise a peu de frais et permettrait de sérieuses économies en évitant ou en retardant les recours a l’oxygenotherapie et a toute une série de soins couteux et pénibles.
Les cancers
orsqu’un fumeur apprend qu’il est atteint d’un cancer et qu’il sait ou soupçonne que son affection est liée au tabac, le choc psychologique est rude. Lors de l’intervention chi- rurgicale, la cigarette est toujours interrompue. Il y a eu sur ce sujet, dans une émission televisee sur le tabac, le témoignage pathetique d’une joumaliste victime d’un cancer du larynx: elle n’a plus touche aux cigarettes pendant les six mois de chimiotherapie, ce traitement très pénible s’accompagnant de nausées et supprimant toute envie de fumer; puis, un jour après la fin du traitement, elle a ete tentée et a voulu pour essayer en prendre seulement une: le plaisir et le soulagement du stress ont ete immédiats et si intenses qu’elle a refume en toute connaissance du risque. Ce fait est très souvent rencontre lors des cancers du poumon et du larynx; l’image classique et réelle, mais finalement horrible, est celle de voir des patients laryngectomises qui fument par leur orifice de laryngotomie. On ne peut évidemment que témoigner de la compassion; les médecins et chirurgiens disent alors «a quoi bon l’ennuyer davantage, il faut lui laisser ce dernier plaisir»… et cette attitude est compréhensible. Mais pourtant, dans les cas ou un espoir persiste, il faut souligner que l’ arrêt du tabac améliore le pronostic a long terme et aug- mente les chances de guérison de ce cancer; en outre, il existe un risque non négligeable de voir survenir une autre localisation de cancer ou un accident cardiaque chez un patient que les efforts et les progrès de la médecine ont réussi a guérir et qui continue a fumer!