L’opium en Occident une panacée
Grâce aux commerçants et explorateurs vénitiens, les savoirs conservés par la médecine arabe trouvent aussi un canal de diffusion en Europe. Le commerce de l’opium y est fermement établi dès le XIe siècle et intéresse autant les apothicaires et les droguistes que les alchimistes et les sorcières. À la frontière de la magie et de la médication, l’opium compte parmi les dizaines de substances naturelles dont on fait les onguents, les potions et autres élixirs, au même titre que d’autres plantes psychoactives, tels la jusquiame, la belladone, la mandragore ou l’ergot de seigle.
Dans l’Occident chrétien, il faut attendre la Renaissance pour que les propriétés de l’opium fassent l’objet d’une attention spécifique. Le mérite en revient principalement au médecin suisse Paracelse (1493-1541), qui ne peut concevoir de thérapeutique sans le spécifié anodyn, ou teinture d’opium, qu’il a mis au point. À sa suite, ses confrères allemands, hollandais et anglais s’enthousiasment pour les vertus curatives de ce médicament miracle qui devient le produit phare de la pharmacopée. Vers 1660, le médecin anglais Thomas Sydenham élabore le laudanum, en diluant l’opium dans du vin de Málaga et en lui ajoutant de nombreuses épices. Prescrit à des personnalités comme Oliver Cromwell ou Charles II, le remède connaît un succès durable, qui participe de l’expansion conquérante des disciplines médicales. L’opium tant vanté reste pourtant un produit rare et cher, réservé aux élites ou utilisé avec la plus grande parcimonie. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les poudres du médecin anglais Dover lui assurent un début de démocratisation, puis le XIXe pour qu’il revête le statut de remède à tout faire, sous forme de grains ou de teinture. Il commence alors à être concurrencé par un autre produit parvenu beaucoup plus tardivement en Occident : la coca.
L’Amérique du sud : des plantes divinisées:
Au XVIe siècle, les Espagnols découvrent avec fascination la flore exubérante du Nouveau Monde, et en particulier des plantes aux pouvoirs extraordinaires tels la coca, le peyotl ou les champignons hallucinogènes. Surtout présents en Amérique centrale, ces deux derniers sont utilisés comme de puissants modificateurs de conscience par les chamanes lors de cérémonies religieuses. Séchés puis ingérés, ils provoquent d’importantes modifications sensorielles – visions kaléidoscopiques, hallucinations auditives – qui donnent pleinement le sentiment d’entrer en contact avec le divin.
Souvent confondus, le peyotl et le psilocybe mexicain faisaient l’objet d’un véritable culte dans les sociétés précolombiennes : pour les Aztèques les champignons étaient la chair même des dieux. Mais de toutes les plantes du Nouveau Monde, c’est surtout la coca qui, par son omniprésence et ses fascinantes propriétés, suscitera l’intérêt du colonisateur.
Une plante à tout faire : la coca:
La culture de YEiythioxylum coca, petit arbuste d’Amérique du Sud implanté sur les versants occidentaux des Andes, est restée jusqu’à aujourd’hui une culture presque exclusivement locale, en raison des difficultés d’acclimatation de la plante hors de son terreau d’origine. Mais, comme pour les autres drogues, son usage remonte aux temps les plus anciens, au moins à 3000 ans avant J.-C. Cette plante aux mille pouvoirs, dont les Incas ont cherché à développer la culture et qu’ils ont soumise à l’impôt, était déjà très largement consommée avant la fondation de leur empire. Les populations andines ont coutume d’en mâcher les feuilles sous forme de boulettes en des occasions très diverses, telles que le travail au champ, les veillées, les rituels religieux. Son usage en effet leur permet selon le contexte de résister à la faim, à la fatigue, de soigner certaines maladies, mais aussi d’entrer en communication avec les ancêtres ou les esprits divins. Elle joue ainsi un rôle central dans les cérémonies religieuses, où l’on a coutume de brûler des feuilles de coca pour invoquer les morts.
Son intérêt économique n’est pas moindre : la récolte, comme la distribution et la conservation des réserves, fait l’objet d’un soin jaloux. La plante imprègne si intimement le quotidien des hommes qu’il est fréquent qu’on les enterre avec des feuilles de coca.
Voyant en cette plante un « talisman du diable », une partie du clergé espagnol ne manque pas de réclamer son éradication, mais les intérêts économiques en jeu sont trop puissants.
Si les champignons et le peyotl sont bien interdits, la coca, en revanche, suscite les convoitises : non seulement l’Église elle-même finit par prélever une dîme sur les récoltes, mais les colons comprennent vite que la plante permet aux Indiens de supporter les plus durs travaux, et peut, grâce à l’impôt, financer la colonisation.
Avec la fondation des haciendas cocaleras, la culture de la coca connaît alors une nouvelle impulsion, et l’on voit même aux XVIIe et XVIIIe siècles se développer des régions de monoculture du cocaier en Bolivie et au Pérou.
Mais ce n’est qu’au début du siècle suivant que voyageurs et savants occidentaux commencent à la destiner aux pharmacopées européennes, avant que la découverte de son principal alcaloïde, la cocaïne, ne lui assure un succès plus sulfureux.
Vidéo : L’opium en Occident une panacée
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’opium en Occident une panacée