Boucler le cycle de la vie : les troubles du sommeil des personnes agées
Les perturbations du sommeil aux deux extrêmes du cycle de la vie l’enfance et la vieillesse partagent la caractéristique de netre, dans beaucoup de cas, qu’une manifestation de plus des changements liés à l’âge. De même qu’un délai dans le mûrissement du cycle veille-sommeil d’un nourrisson peut être provoqué par un comportement inadapté des parents, de même une réaction inappropriée des personnes âgées aux changements naturels qui surviennent dans leur sommeil peut conduire à des perturbations graves de celui-ci. Les changements naturels décrits au chapitre iv rendent les personnes âgées vulnérables aux troubles du sommeil. Elles sont plus sensibles à ce qui se passe autour d’elles pendant quelles dorment : le pépiement des oiseaux, une voiture qui passe sur la route, ou même la lumière qui filtre à travers les volets clos. Mais les réveils fréquents ne sont pas causés par ces stimuli, et les personnes âgées continuent à se réveiller à de nombreuses reprises la nuit, même quand elles dorment dans le silence parfait des laboratoires de sommeil ou de leurs propres chambres. Aussi, le fait de souffrir de troubles du sommeil à un âge avancé ne signifie pas nécessairement que l’on souffre d’un problème médical ou mental, mais indique bien plutôt une baisse de qualité du sommeil due à l’inévitable processus du vieillissement.
« Le sommeil, pour moi, a changé », écrivait Andy Rooney dans un article de journal intitulé à juste titre : « Dodo, l’enfant do, est parti depuis longtemps » [Rock-a-Bye Baby Is Long Gone], et il poursuivait en expliquant : « Ce n’est plus ce moment d’inconscience et d’insouciance où le corps et l’esprit récupèrent de leur fatigue. Je ne goûte plus au sommeil avec la même joie (…) peut- être ma mémoire me trahit-elle, mais il me semble qu’aussitôt que je me couchais je m’endormais et me réveillais huit heures plus tard. Si ce temps a jamais été, il est aussi passé à jamais. A présent, je vais me coucher tôt, mais je ne dors jamais longtemps. » Les personnes âgées, en effet, ont de grandes difficultés à conserver un sommeil solide. Elles souffrent souvent d’un sommeil fragmenté.
Bien que l’une des raisons en puisse être leur plus grande sensibilité à ce qui se passe autour d’elles, d’autres explications doivent être avancées, liées aux changements physiques qui accompagnent le vieillissement. Des interruptions de la respiration pendant le sommeil et des mouvements excessifs des membres inférieurs apparaissent aussi chez 20 à 30 % des personnes âgées. Ces modifications, qui peuvent indiquer également une détérioration du contrôle du cerveau sur les fonctions corporelles, interfèrent avec le sommeil, entraînant la multiplication de brefs réveils nocturnes. De même, les réveils causés par la nécessité d’aller uriner sont courants à un certain âge.
Récemment, nous avons découvert que la diminution du niveau de mélatonine« hormone de ténèbres », qui accompagne le vieillissement, pourrait bien être responsable, au moins en partie, des perturbations du sommeil dont souffrent les personnes âgées. Une étudiante en doctorat de mon laboratoire, Iris Haimov, a étudié la sécrétion de mélatonine chez les personnes âgées qui ne souffraient pas de troubles du sommeil et dans deux groupes d’insomniaques âgés : ceux qui vivaient de manière indépendante et ceux qui habitaient dans des maisons de retraite. Elle a découvert que, bien qu’il n’y ait pas de différences entre le niveau de mélatonine des personnes âgées en bonne santé et celui des jeunes adultes, les insomniaques âgés avaient des niveaux nettement moins élevés de mélatonine dans le sang. Cela était particulièrement grave chez les insomniaques des maisons de retraite, chez qui on ne pouvait détecter pratiquement pas de mélatonine. Ces observations nous ont amenés à la conclusion que les faibles niveaux de mélatonine dans le sang pouvaient constituer une cause supplémentaire d’insomnie chez les personnes âgées. Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons soigné ces insomniaques âgés qui manquaient de mélatonine en leur administrant de la mélatonine par voie orale. Les résultats ont démontré le bien-fondé de notre hypothèse : le traitement à base de mélatonine écourtait le temps nécessaire pour s’endormir et permettait aux insomniaques âgés de garder une meilleure continuité de leur sommeil tout au long de la nuit.
Il n’y a aucun doute que les maladies physiques et mentales peuvent considérablement aggraver l’effet de l’âge sur le sommeil. C’est particulièrement le cas chez des gens âgés qui habitent dans des maisons de repos ou de vieillesse. Dans ces habitations, l’absence d’activités et d’intérêts oblige les personnes âgées à aller se coucher trop tôt, ce qui augmente encore leurs difficultés à dormir. Étant donné que certaines d’entre elles souffrent de difficultés à se déplacer, elles ne sont pas exposées à des cycles lumière-obscurité réguliers. Cela peut inhiber leur cycle de mélatonine et les empêcher encore plus de trouver le sommeil, comme l’a montré Haimov.
Une conséquence inévitable de ce sommeil nocturne fragmenté est la propension accrue des personnes âgées à faire de petits sommes pendant la journée. Il est très courant de rencontrer des personnes âgées qui somnolent sur le banc d’un jardin public, dans un autobus ou dans la salle d’attente d’un médecin. Ces sommes répétés au cours de la journée, qui compensent dans une certaine mesure la perte de sommeil pendant la nuit, sont susceptibles d’empêcher davantage encore les personnes âgées d’atteindre la quantité nécessaire de sommeil nocturne, en réduisant leur besoin de sommeil.
Il n’est guère étonnant, en définitive, que la consommation de somnifères chez les personnes âgées soit considérable, tout particulièrement dans les maisons de retraite. Bien qu’une mauvaise utilisation des somnifères existe chez des populations d’adultes de tout âge, les patients âgés sont plus enclins à éprouver des problèmes résultant d’une utilisation inadéquate de ces médicaments. Premièrement, il existe chez elles un risque accru de toxicité, à cause de la capacité réduite de leur corps à métaboliser et à excréter le produit, et à cause des interactions possibles avec d’autres médicaments. En fait, les réactions toxiques à des médicaments sont l’une des causes principales d’hospitalisation des personnes âgées.
Deuxièmement, parce que les somnifères restent dans le corps de ces personnes plus longtemps que chez des adultes plus jeunes, elles s’accumulent, entraînant un risque accru d’effets secondaires pendant la journée. Ceux-ci peuvent se traduire sous forme d’agitation, de manque de coordination, de confusion mentale, de défaillances de la mémoire, et même d’hallucinations. Du fait des risques potentiellement élevés causés par le mauvais usage des somnifères chez les personnes âgées, les médecins doivent s’assurer que ce traitement médical est vraiment nécessaire. Assez souvent, quand on lui prescrit des somnifères, c’est plutôt l’entourage de la personne sa famille ou l’équipe d’infirmières de la maison de retraite, agacées par les réveils des patients au cours de la nuit qui devrait être soigné.
En somme, le sommeil est fragile aux deux extrémités du cycle de la vie. Tandis que, chez les nourrissons, les épisodes de sommeil sont en passe dextre consolidés en un unique épisode continu qui doit aussi être adapté à l’environnement, à un âge avancé, les liens entre les stades du sommeil sont affaiblis, et le sommeil est fragmenté. Il faut prendre un soin accru de ces patients afin d’éviter que les changements de structure de leur sommeil dus à leur développement-vieillissement ne se transforment en de sérieux troubles chroniques.